Stéphane Courtois, Françoise Thom ou la déchéance de la lutte anticommuniste

04/11/2022 (2022-11-04)

Par Lucien SA Oulahbib

À lire l’avant-propos de (feu) l’Ex-presse sur un (énième) « livre noir » contre Poutine (qui par ailleurs s’est encore fendu d’un brûlot pétri de ressentiment envieux contre Idriss Aberkane) cette diatribe en guise de préliminaire prétend justifier des « analyses » quant à la prégnance de Poutine sur une Russie qui serait « isolée », épaulée seulement par des » États parias » et qui « se rabat uniquement sur l’anti-occidentalisme » (dixit). Tant de finesse dans l’analyse émeut (pratiquement autant que celle visant Aberkane présenté comme « antivax » et, bien sûr « complotiste »).

Mais le propos n’est, ici, pas là, à savoir recenser une énième fois les errances de ce qui est devenu une feuille de choux trempant ce qui lui reste de plume dans le caniveau des ragots et du simplisme éhonté. Non, il s’agit plutôt ici d’énoncer une déception personnelle à la lecture des noms de Thom et surtout de Courtois à la tête d’une telle aventure d’écriture de guerre qui s’apparente bien plus, également quoiqu’en sourdine, à une volonté de se redorer le blason auprès de ceux qui aujourd’hui à la tête de la croisade antirusse (même plus seulement anti-Poutine) l’ont méprisé après son « Livre noir du communisme » et aussi son « Lénine ».

En effet, pour les néoléninistes qui servent aujourd’hui de garde-chiourmes de la Secte SHA (et qui veulent d’ailleurs, comble de l’absurde, créer une Milice anti-complotiste et contre la « désinformation » qu’ils produisent industriellement pourtant) Courtois a toujours été ce qu’il faut mépriser : un « anticommuniste primaire » (qui a toujours été un « chien » avait dit autrefois Sartre à l’encontre de Raymond Aron qui lui pardonna…), car des crimes communistes il ne faut pas en parler (et Badiou reste catégorique là-dessus à la différence de Bataille qui les justifiait dans La Part Maudite) pas plus que Heidegger ou Schmitt refusant de commenter les crimes nazis…

Aussi, pour se redonner une sorte de virginité (car il est dur de vivre « isolé entouré de parias » dans la jungle parisienne des Salons tenus par la lumpen-intelligentsia), il fallait montrer au moins patte anti-Poutine puisque dans la diatribe néoléniniste d’obédience trotskiste et maoïste le travail dirigé par Courtois sur les crimes communismes et son initiateur, Lénine, est un crime de lèse-majesté.

Car, comme l’a martelé Daniel Bensaïd (théoricien de la LCR qui donna un Besancenot, un Poutou et surtout un Plenel…) dans nombre de ses écrits, tout, à l’époque (tout ? Tout !) était la faute des « Blancs » (aujourd’hui des blancs avec un petit b) et aussi au fait que Lénine-est-mort-trop-tôt, hélas, sans oublier à la fin « le culte de la personnalité » d’un Staline ; sinon tout aurait été de mieux en mieux, du moins si Trotski avait pris la suite de Lénine en accélérant la militarisation du travail (la disparition de tout syndicat ouvrier indépendant après l’écrasement de Cronstadt) et la mise sur place d’une police politique (il généra avec Lénine la Tchéka) à grande échelle, celle que l’on voit au fond aujourd’hui, mais dans des « habits neufs », non plus ceux du « président Mao », mais de ses caricatures au visage d’ange made in BFM, CNN et France Inter.

Aussi l’occasion était trop belle, et épaulée de Françoise Thom qui s’en prend depuis trente ans au « clan » au pouvoir en Russie, et ce dès la première guerre en Tchétchénie (impulsée plutôt par Eltsine avec le soutien de Clinton…), nos deux illustres compères (et acolytes) qui sont historiens de formation et non pas sociologues ni politistes vont au fond benoîtement tout mélanger dans ce dit « livre noir de Vladimir Poutine »; qu’il s’agisse de la seconde guerre de Tchétchénie (bien plus complexe qu’il n’y paraît), de la situation actuelle dans les régions controversées en Ukraine, surtout depuis Minsk 2, de l’opposition idéologique enfin, et non pas seulement géopolitique, entre un Occident tenu de plus en plus en laisse par l’idéologie globaliste (sans frontièristes), scientiste, hygiéniste, affairiste, transgenre et transhumaniste et présenté pourtant sous le seul label de « démocratique » face à ce qui serait, pour nos deux historiens pourfendeurs, une sorte de monstre mutant qui tente de reconstituer un empire déchu sous le faux masque du religieux, tout en se liant à des courants occidentaux « les plus réactionnaires en Europe et aux États-Unis ».

Comme si au fond, et cela déjà été dit ici (dans d’autres articles) ce « clan » poutinien avait inventé l’idée même de clan, voire de « mafia » (alors que déjà cette dénomination, bien trop généraliste, vise en réalité, surtout dans le cas russe toute structure parallèle dont l’inexistence aurait rendu la vie bien plus dure sous le communisme…). Comme si ce « clan » poutinien était à l’origine des notions de guerre civile, de luttes intestines pour le pouvoir, de raison d’État, bref, de tout ce qui constitue le meilleur comme le pire de la constitution de tout pouvoir, surtout sans contre-pouvoir effectif…

D’ailleurs, est-ce réellement ce que nous vivons actuellement en cet Occident dit « démocratique » c’est-à-dire bien sûr sans « clan », sans luttes intestines, sans ce réalisme froid qui ferme les yeux aux Yémen et en Arménie ? Et si, en effet, le totalitarisme que nous connaissons tout de même avec la censure et les excommunications jusqu’aux soignants et pompiers (car la lutte que mène ledit pouvoir démocratique est tous azimuts) reste encore soft, n’est-ce pas comme s’il en était à ses débuts à l’Ouest ?…

Alors qu’au Sud et à l’Est il est bien avancé (en Arabie, en Algérie, en Iran, en Chine par exemple), il se cherche encore en Russie (comparons la guerre civile en Algérie dans les années 90 et celle en Tchétchénie : on n’a pas entendu nos pourfendeurs là-dessus) oscillant entre autoritarisme et démocratie en prise comme aux USA entre colombes et faucons dont Poutine serait le plus avisé (huit ans d’atermoiements dans le Donbass selon ses opposants internes)…
Soyons lucides : il n’est pas question d’éluder les problèmes structurels qui secouent ce pays, sans pour autant les noyer dans le contextuel comme le font les communistes, sans éluder ce qui sied toujours à l’analyse objective du pouvoir politique, à savoir le fait qu’en absence réelle de contre-pouvoirs effectifs c’est-à-dire sans conflits d’intérêts, il n’y a guère dans ces contrées y compris chez « nous » de « régime mixte » cher aux Anciens (Aristote, Tite-Live) et Modernes (Machiavel, Locke, Montesquieu, Pareto) entre élites et peuple. 

Il semble encore rester un « idéal », tant l’Histoire de la réalité politique montre toujours l’émergence d’un pouvoir fort issu du chaos démocratique permanent, et qui va s’auréoler de sacralité (l’émergence de l’empire romain et napoléonien) ou de « vérité scientifique » de type marxiste et aujourd’hui globaliste hygiéniste rêvant à un gouvernement mondial régissant non plus des citoyens, mais des sujets transgenres numérisés tant leur citoyenneté nationale serait bannie ou alors régentée par tout un ensemble d’interdits d’une loi « morale » octroyant ou retirant des droits de manière électronique à terme au fur et à mesure de la disparition des espèces et des producteurs autonomes, l’empire de la dépendance économique s’étendant à toute la production matérielle et immatérielle.

Poutine, mais aussi d’autres dirigeants, intellectuels, artistes, prétendent, qu’au-delà du cynisme qui sied aussi à chaque pouvoir, aussi intime et sincère soit-il, ils luttent contre tout cela, contre cette humanité déchue de ses droits naturels au profit d’une fausse dimension transcendantale « augmentée » et pseudo-divinisée de l’homme, cyborg en réalité, mais camouflé en homme-dieu (alors que la nature sinon divine du moins inexpliqué encore de la vie de l’humanité est déjà là…).

Wait and see. En tout cas, ce conflit devant nous en nous autour de nous mérite mieux que tous ces simplismes faussement définitifs. Dommage qu’un Courtois soit devenu aussi aveugle au fond que tous ceux qu’il avait pourfendus naguère…

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