René Chiche: « Le pass sanitaire est une passoire et une sorte de permis officiel de contaminer ! »

[Source : putsch.media]

[Extraits (lire l’article entier sur putsch.media]

(crédit photo René Chiche)

René Chiche, professeur de philosophie, auteur du livre « La désinstruction nationale » a accordé un très long entretien à Putsch. Il évoque le pass sanitaire, la démocratie, Emmanuel Macron, l’état de droit, la désinformation de certains grands médias ainsi que l’éducation nationale sous Jean-Michel Blanquer dans une analyse au vitriol qui permet de mieux appréhender la situation dans laquelle la France se retrouve aujourd’hui, et surtout avec un point de vue très discordant. Un entretien passionnant.

PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS VIDAL

Quel regard portez-vous sur ce Pass sanitaire et la façon dont il est imposé aux Français ?

Plus de trois semaines après son allocution le 12 juillet dernier, je suis encore sidéré qu’un président de la République se soit permis de dire droit dans les yeux aux Français que désormais, le poids des restrictions pèserait sur une partie d’entre eux. Cette déclaration est extrêmement grave dans la bouche d’un homme dont le premier devoir est d’assurer l’unité de la nation et d’œuvrer à la paix civile. Car, indépendamment de tout ce que l’on peut dire pour justifier ce « laissez-passer sanitaire » (il faut appeler les choses par leur vrai nom !), la façon de le présenter ne va pas du tout, et la suite n’a fait que l’illustrer : on a clairement désigné à la vindicte une partie de la population. Pire : on a sciemment donné à une mesure censée être sanitaire une toute autre portée, suggérant que se faire vacciner était une forme de civisme et que les personnes non-vaccinées étaient de mauvais citoyens, des égoïstes, quand ce n’était pas tout simplement des ignares ou des égarés puisque, si j’en crois les dernières sorties d’Emmanuel Macron dans Paris-Match, il n’hésite plus à qualifier les opposants au laissez-passer vaccinal d’ennemis de la démocratie ou de débiles mentaux « en perte de sens » (sic) !

(…)

En résumé, le passeport sanitaire est une passoire et une sorte de permis officiel de contaminer ! (…) Le virus circule autant et surtout il se moque du taux de vaccination de la population car sa circulation dépend d’autres facteurs sur lesquels on n’a finalement que peu de prise, sauf à cloîtrer indéfiniment chez elle la population mondiale !

(…)la crise sanitaire est en réalité une crise des systèmes de santé, et il est évident qu’une sous-capacité, par exemple dans les services de réanimation (…), devient tout de suite une catastrophe en cas de pic épidémique, mais avec la grippe aussi bien que la covid. (…) Il me semble évident que si l’on ne surveille pas attentivement la maladie dans sa phase initiale, on augmente le nombre de chance de voir survenir des cas graves. (…) la médecine, contrairement à la statistique, ne porte que sur l’individu, la première règle à laquelle s’astreint l’homme de l’art étant de connaître l’histoire du patient afin de ne pas lui nuire. Je crois qu’on touche ici au cœur de la « crise » actuelle, où je vois d’abord une tentative pour l’administration de se mêler de médecine et, concrètement, d’en entraver la pratique, exactement comme elle le fait en matière d’éducation.

Comment avez-vous réagi à ces déclarations de Jean-Michel Blanquer sur la « mise à l’isolement » des élèves cas contacts/positifs non vaccinés ? Est-on en train de toucher à un fondement de l’éducation nationale ?

(…) on sait désormais que lorsqu’un membre de ce gouvernement ou de cette majorité annonce qu’il va faire beau demain, il faut se munir de son parapluie. Oui, Jean-Michel Blanquer instaure un « passeport sanitaire » qui ne dit pas son nom dans les écoles, et ce sans aucun fondement légal puisque la loi instaurant ledit passeport ne mentionne pas les établissements scolaires.

(…) Avec une telle mesure, on assiste dans le domaine de l’éducation à ce qu’on voit par ailleurs : sous prétexte d’une crise sanitaire dont j’ai déjà dit qu’elle était surtout une crise hospitalière, on tourne le dos à des principes fondamentaux comme si les circonstances suffisaient à le justifier. Cela permet surtout de constater que ceux qui invoquent à longueur de journée et d’année les « valeurs de la République » ne savent pas ce qu’est un principe et n’en ont aucun. Pendant la seconde guerre mondiale, des Français ont sacrifié leur vie parce qu’ils avaient des principes, et désormais, on sacrifie des principes pour sauver des vies. C’est une inversion terrible et qui donne à penser.

Jean-Michel Blanquer semble empiler les approximations notamment sur le processus de contamination et le vaccin ou encore sur la proportion d’enseignants aujourd’hui vaccinés. Pourquoi selon vous ?

J’ai cru en Jean-Michel Blanquer lors de son arrivée rue de Grenelle, mais très rapidement, je l’ai vu à l’œuvre et ai cessé de le prendre au sérieux. Il est capable de dire tout et son contraire, et d’aligner d’énormes mensonges avec la candeur d’un enfant de chœur, que ce soit à propos de la vaccination, de la contamination ou de tous les autres sujets (je suis bien placé pour le dire en tant que professeur mais aussi membre du Conseil supérieur de l’éducation où je représente comme vice-président du syndicat Action & Démocratie la CFE-CGC). (…)

(…) Il ne faut pas oublier que nous avons à faire à des gens qui prétendent gouverner au nom de la science ! Cette prétention est évidemment grotesque quand on sait que la science, c’est le doute, la précaution contre soi-même érigée en méthode, la prudence, alors qu’on fait présentement de la science l’usage inverse, l’argument d’autorité qui interdit toute critique et renvoie les doutes légitimes à l’obscurantisme, pour ne pas dire au « complotisme » !

Est-on arrivé aux limites de l’État de droit avec une décrédibilisation de plus en plus grande chez de nombreux Français pour les parlementaires et le Conseil d’État ?

(…): si des élus se croient légitimes quand ils obtiennent un mandat avec 10% du corps électoral, je ne vois pas ce qui les empêche de se dire légitimes avec moins encore ! Mais là, il s’agit de la limite de la démocratie, non de l’État de droit.

(…) il est clair que, la désinstruction nationale aidant, notre époque est celle d’une crise de la démocratie. Enfin non, le mot « crise » étant un mot bon à tout faire, je préfère parler plus exactement d’un effacement de la démocratie, dont certains éléments formels demeurent et permettent de maintenir l’illusion que nous sommes en démocratie alors que ce qui décrit plus exactement notre régime actuel, c’est la notion de despotisme technocratique.

(…) L’autre aspect de votre question concerne l’État de droit, et là, je ne parlerais pas de discrédit mais, plus gravement, d’une liquidation en douceur. Je précise que le contraire de l’État de droit, c’est l’état de nature, c’est-à-dire le pur jeu des forces. Et en effet, on est en droit, c’est le cas de le dire, de s’inquiéter quand on lit certains avis ou certaines décisions des juges du Conseil d’État qui se permettent d’écarter des objections sérieuses à l’aide de sophismes grossiers et qui me font dire de cette instance qu’elle réalise la proposition de Pascal selon laquelle, n’ayant pas pu faire en sorte que la justice soit forte, on a fait en sorte que la force soit juste.

Le Conseil d’État n’est qu’une annexe de l’exécutif, quand il n’en est pas tout simplement l’antichambre.(…)

Enfin, comment jugez-vous le traitement de certains grands médias sur les fortes mobilisations de Français qui s’opposent au Pass sanitaire depuis le 14 juillet dernier ?

Eh bien parlons donc de l’industrie de la désinformation. J’avoue que le spectacle offert chaque jour par les chaînes de bavardage en continu est impressionnant et, à part ceux qui s’y pressent ou ne vivent que de ça, je suis persuadé que personne ne les prend au sérieux, ou alors il faudrait prendre au sérieux les conversations des tontons et tatas autour du gigot du dimanche.

Mais ce spectacle présente un intérêt tout de même pour qui veut s’instruire, car on y observe un usage de la langue qui permet de comprendre bien des choses. J’en parle abondamment dans le petit livre sur la désinstruction que j’ai écrit voici deux ans, et il me sera difficile de résumer cela en deux lignes, mais pour dire l’essentiel, les mots ne sont plus utilisés comme des signes mais comme des signaux destinés à faire réagir au lieu de faire réfléchir. Les ficelles de la désinformation sont à la fois grossières, pour qui n’en est pas dupe, et subtiles. Par exemple, puisque vous faites allusion aux manifestations contre le passeport sanitaire, je suis tombé par hasard sur un journal télévisé où la speakerine (car à ce niveau, je ne peux pas l’appeler journaliste même si elle a probablement une carte de presse) évoquait les « antivax » et enchaînait en parlant de ce que « les Français » en pensaient : du coup, je me suis demandé quelle était la nationalité des « antivax ». On fait avec ce mot absolument ridicule ce qu’on a fait avec « les gilets jaunes » : en désignant de la sorte des Français qui ne sont pas d’accord avec les politiques conduites par le gouvernement, on les met insidieusement au ban de la communauté nationale, on en fait une espèce singulière, et l’on suggère ainsi à son auditoire les pires choses à leur sujet. (…) Si je devais faire un cours sur la manipulation à l’ère de la démocratie moderne, j’aurais l’embarras du choix pour l’illustrer. Pas un seul média n’y échappe, comme si les écoles de journalisme formataient les jeunes gens de la même manière, toutes choses égales par ailleurs, que l’école nationale d’administration formate les futurs gouvernants. Mais, comme je l’ai dit précédemment, ceci est très grave dans la mesure où l’existence d’une opinion publique instruite est une des conditions de possibilité d’un régime républicain, et le niveau des médias en dit long à ce sujet. Je parle bien du niveau, et pas seulement du fait qu’ils désinforment plus souvent qu’ils n’informent, au point qu’il m’était arrivé de dire, quand le documentaire Hold-up a fait jaser et que l’on a crié au « complotisme », que même si je le trouvais plutôt médiocre, il m’apparaissait beaucoup moins nuisible à la santé mentale des Français que le journal télévisé de TF1 !

Nous avons des médias tétanisés et qui n’osent plus critiquer le pouvoir, ce qui condamne des gens qui ont des choses à dire, et même parfois (ce qui est tout de même un comble !) des scientifiques de grande valeur, à ne pouvoir s’exprimer que dans des médias alternatifs et bien entendu réputés « complotistes » ou au service de puissances étrangères (…)

La désinstruction nationale, René Chiche, les éditions Ovadia