Naissance d’un mouvement citoyen visant en priorité à sa réelle qualité de vie

Par Lucien Samir Oulahbib

La qualité des soins de la fraternité, de la solidarité, la liberté, l’égalité est sans doute et de plus en plus le dénominateur commun de cette vaste mobilisation qui s’amorce cette fin de juillet 2021 dans le monde avec ampleur, et ce, en France, particulièrement en province, ce qui en prouve déjà la profondeur. C’est vraisemblablement un mouvement de fond qui enfin émerge durablement, tapi dans l’ombre depuis des décennies, au-delà des tiraillements et des étiquetages partisans, et visant à la réelle qualité de vie, point de départ des révoltes des années 60 (à ne pas confondre avec les révoltes gauchistes petites-bourgeoises des années 70, aujourd’hui supplétifs du Pouvoir hygiéniste/scientiste/affairiste) et celles ayant débuté en novembre 2018 avec les « gilets jaunes » ce mouvement hétéroclite qui a été hélas parasité pour une part par les variants néo-gauchistes recyclés dans le relativisme culturel et le terrorisme intellectuel aujourd’hui de plus en plus visible.

D’ailleurs, ce néo-léninisme encore bien placé dans des rouages décisifs de la machine étatico-médiatique croit toujours que ce mouvement disparate visant à la qualité rechercherait en fait et uniquement à préserver ou à augmenter les points de retraite, le salaire, le « niveau » de vie, alors qu’il s’agit — on le voit de mieux en mieux — d’un effort politique au sens fort, cherchant d’abord à asseoir spirituellement une pensée qualitative de notre présence sur Terre, ou la vie effective.

Car au départ, la qualité de pensée prime, s’imprime dans les corps puis s’exprime. Mais c’est parce qu’elle devient qualitativement supérieure que cette expression devient quantitative, fait nombre, donc masse, ce qui fait basculer les gravitations symboliques et physiques telles par exemple ces policiers et soldats qui ne peuvent plus tirer, littéralement paralysée par ce souffle (pneuma).

Du moins si cette supériorité permet aussi de rendre visible l’incompétence de plus en plus manifeste de l’élite au pouvoir, car l’écrasement des révoltes au 20e siècle (et encore maintenant…) contredit en apparence cette idée du basculement se voulant d’abord qualitatif pour pouvoir être quantitatif. Certes. Cependant, les écrasements n’ont qu’un temps, mais l’époque des martyrs n’est pas révolue (voir tous ces héros en mort sociale). L’URSS s’est effondrée, l’Allemagne nazie écrasée, de même que le Japon militariste. Des citoyens tombent certes sous les balles (« ami, entends-tu ? »), mais la « Vieille Taupe » creuse (disait Karl M lisant Hamlet de Shakespeare).

Et même si l’on n’est pas d’accord avec « lui » (qui ne se disait pas marxiste), en particulier le fait que le feu permanent et inégal du conflit humain pourrait être définitivement éteint par l’eau tiède de l’égalitarisme, comme on le voit encore avec ce scientisme voulant substituer les fonctions immunitaires naturelles par des artificielles, il semble bien pourtant qu’il y ait en effet de plus en plus une contradiction désormais insurmontable entre le mouvement de fond de toutes ces nouvelles forces spirituelles et sociales qui aspirent cette fois à la réelle qualité de vie (ce que je nomme la néo-modernité) et l’ancienne architecture politique. Celle-ci n’a, au fond, que raffermi l’État absolutiste — au sens non républicain du terme (politeia) — à savoir la tyrannie non plus provisoire, mais se voulant perpétuelle, celle d’une ploutocratie globalisée qui veut profiter de la mondialisation des échanges multiformes pour imposer une société de plus en plus désunie, fragmentée, segmentée, avec d’un côté une élite cooptée, purifiée et éternellement jeune, et de l’autre le « peuple » — ces porteurs de sandales (étymon de piétons) —, piétaille, bétail à marquer au fer technologique instrumentalisé, parce que la nouvelle matière première est devenue le corps humain, son esprit aussi, l’élite autoproclamée scientiste hygiéniste affairiste ayant un ego démesuré et un appétit féroce (avoir des appartements partout dans le monde, du personnel, des mignon(ne)s, des jets et des hélicoptères, cela coûte).

D’aucuns cependant balaient d’un revers de main tout ceci en parlant encore de démocratie et de crise sanitaire à « gérer », critiquable sans doute, mais c’est tout, ce qui frise non seulement l’irréalité, mais bascule, sans le savoir pour certains tant ils sont aveuglés par la propagande scientiste, dans l’idéologie du 2+2=5 de 1984. Car la démocratie ce n’est toujours pas agir par état d’urgence reconductible et surtout disproportionné au vu des chiffres réels et des traitements et préventions réels à disposition.

Voilà ainsi l’enjeu, semble-t-il : la « crise » actuelle s’avère d’ampleur, mais elle court depuis plusieurs siècles, et ce sans doute en effet aura surgi en amplitude durant ladite Renaissance en Europe lorsque d’aucuns ont cru qu’il suffisait soit de revenir au Même des Anciens soit de basculer résolument dans le seul fleuve du Nouveau ; d’où la critique dernière du Romantisme, puis de tous les « ismes » à sa suite ; alors qu’il s’agit d’un « mixte » des deux, car le nouveau tout en se voulant toujours autre ne peut faire l’impasse sur la nécessité d’une durée, à moins de croire que cette dernière ne serait qu’un songe et partant la vie également, comme tentent de nous le faire croire les scénaristes actuels de la réalité virtuelle devenant de plus en plus, pour certains, la seule vie réelle qu’ils cherchent à imposer (contredisant le mot attribué à Voltaire).

Il semble bien cependant que cet hyperréalisme-là (modélisé) devienne insoutenable, au sens où précisément la prise de conscience issue de la Révélation christique fut de penser qu’il n’est point possible de vivre par procuration : admirer, oui, imiter le plus possible sans doute les Héros, Saints, Mythes, toutes ces matrices du beau, du bien et du vrai se déclinant en contes et légendes ; mais de là à passer son temps à les copier et servir, non (telle fut sans doute d’ailleurs le fond de cette Révélation comme je l’explique dans Rhombe en considérant qu’elle provient bien plus de Moïse que d’Abraham).

Être ou ne pas être pleinement citoyen au sens grec du terme devenu aujourd’hui universel grâce au christianisme (d’origine juive) à leur métaphysique fondamentale (Maïmonide, Descartes, Pascal, Bergson…) présuppose la liberté comme fondement (le défi d’Eve prenant le Fruit et l’offrant à Adam). C’est elle qui nous anime en qualité, et qui cherche aujourd’hui à atteindre une nouvelle forme plus adéquate à son développement en expansion (tout comme l’Univers). Tel est l’enjeu à la fois local et mondial aujourd’hui (ou l’Universel, morphologique, qui n’impose rien puisqu’il est pour qui veut comme je l’indique aussi dans Être et vérité du réel humain).