Liberté

[Source : Comment naissent les étoiles]

Par Lola Swann

Liberté,

Le mot jadis revendiqué,
Tu, désormais.

Trois syllabes qu’on ose
À peine susurrer,
Les lèvres dissimulées
Sous l’inopportun bleuté.

La voix fragilisée,
Voilée,
Comme fautive d’exister.

Le Mal s’est installé, silence s’il vous plaît.

Cachez donc ce visage
Que l’on ne saurait voir,
Ne gardez que vos yeux
Peut-être pour pleurer.

De sourires il n’y a plus
Autant les camoufler,
De larmes, s’il y a ;
On ne les verra pas.

Restez bien à l’abri
Dans votre maison mauve,
N’invitez pas d’amis
Ne risquez pas leur vie.

Pas de câlins non plus,
Toute étreinte bannie,
Embrassade maudite,
Et passions interdites.

Au diable l’amour, seule compte la vie.

Assignation à résidence,
Mangeons, dormons, buvons en chœur,
Tchin-tchin la belle survivance !
Bénis soient donc nos bons sauveurs.

L’homme se meurt, Nature revit,
Silence d’or, trésor précieux,
Quand l’homme dort, Nature sourit ;
La Ballade des oiseaux heureux.

Lisons, chantons, dansons encore,
Échangeons des mots doux d’amor,
Et promenons-nous dans les bois
Pendant que police n’y est pas.

Rassurons-nous,
Ne pleurons pas :
La Terre, de tourner
Ne s’arrêtera.
Et nul ne saurait
Trop longtemps nous priver
Ni de consommer,
Ni de travailler.

Là est notre joyeuse destinée,
Pourvu que nous soyons dotés
Du nouvel accessoire branché,
Bleu cobalt, marine ou givré.

Rassurons-nous,
Ne pleurons pas :
Nos bons sauveurs
Nous ont laissé
Chère à nos cœurs
L’amie TV :
Petit écran joli,
Loisir jamais aboli.

Si pleins d’abnégation, regardons-là ;
Une cuiller pour maman, une cuiller pour papa,
Ne l’éteignons jamais, rêvons d’elle la nuit,
Hypnose en marche, et jusqu’à l’infini.

Pensée toute prête à consommer,
Révolution moderne,
Tellement plus amène
Qu’une pensée à fabriquer soi-même.

Liberté, à notre insu, par le Mal est dérobée.

Mon âme brisée en mille éclats,
Elle me clame de garder la foi,
Mais effrayé, je ne l’entends pas,
Volume à fond, voix de la raison.

La peur fusionne avec les cœurs,
Compassion en hibernation,
Je ne pleure plus ni même ne crie,
Fier, j’obéis, sers mon pays.