Les origines allemandes de la famille royale britannique

[Source : GEO]

Les Windsor : comment la famille royale a renié ses origines allemandes

Elle s’appelait Saxe-Cobourg-Gotha. Depuis le XVIIIe siècle, par le biais de mariages d’intérêt, la monarchie britannique avait du sang allemand dans les veines. Cette alliance anglo-saxonne vola en éclats lors de la grande guerre. En 1917, le roi George V prit la décision de renoncer au nom germanique de sa famille pour le remplacer par celui de Windsor. Ce fut l’acte fondateur de cette nouvelle dynastie.

Par VOLKER SAUX

C’est la panique à Londres. Le 13 juin 1917, l’est de la capitale anglaise est victime d’une attaque venue du ciel. Une escadrille de bombardiers allemands largue en plein jour ses bombes sur des quartiers de civils, éventrant des immeubles, faisant plus de 160 morts, dont 18 enfants dans une école. Certes, ce n’est pas encore le Blitz, cette campagne de bombardements menée par le IIIe Reich sur la capitale anglaise, de septembre 1940 à mai 1941, et qui fit 50 000 victimes. Et les pertes humaines sont infimes comparées aux nombres de soldats tués sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Mais ce raid choque l’opinion. Par son côté inédit, d’abord : l’aviation militaire n’en est qu’à ses débuts, et c’est la première fois que les Allemands utilisent des biplans pour une offensive d’ampleur contre une grande ville. Ils utilisaient auparavant des dirigeables, des Zeppelin, qui n’opéraient que de nuit et étaient peu efficaces. Mais la population est surtout abasourdie à cause du nom de ces avions mortifères : les Gotha IV, nommés ainsi car fabriqués par une entreprise de construction métallique implantée à Gotha, dans le centre de l’Empire germanique. Or, pour les Britanniques, à cette époque, le nom de Gotha n’évoque pas qu’une ville d’outre-Rhin : c’est aussi celui du roi qui trône à Buckingham…

Le roi Georges V, le petit-fils de la reine Victoria, est issu de la maison Saxe-Cobourg-Gotha

Shocking, non ? George V (1865-1936), cet homme pondéré au teint cireux, qui règne depuis 1910 sur le Royaume-Uni et censé incarner l’unité du pays dans l’épreuve de la guerre, est d’origine allemande ! Le souverain est issu de la maison Saxe-Cobourg-Gotha, une dynastie née au XIXe siècle en Haute Franconie, au nord de la Bavière. De petite noblesse à l’origine, elle sut étendre ses branches à force d’habiles mariages jusqu’à régner sur le Portugal, la Bulgarie et la Belgique. Et l’Angleterre. En 1840, l’un de ses membres, le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha (1819-1861), a épousé la jeune reine Victoria (1819-1901), propulsant sa lignée sur le trône britannique. Le roi George V est leur petit-fils. A priori, l’homme, qui servit longtemps dans la Royal Navy avant d’accéder au trône, est on ne peut plus british. Mais en pleine guerre contre l’Allemagne, ses racines germaniques deviennent embarrassantes, et l’affaire des bombardiers Gotha ne fait qu’amplifier le trouble. Jusqu’à pousser le roi à un choix radical en cette année 1917 : jeter son nom aux oubliettes, et renommer sa famille en « l’anglicisant ». Un acte fondateur qui donna naissance à une nouvelle dynastie : les Windsor.

Deux siècles de souverains issus de la maison de Hanovre

Le geste n’est pas anodin, et vient clore un chapitre de plus de deux siècles dans l’histoire de la monarchie britannique. En réalité, le pedigree allemand de la famille royale remonte plus loin que les épousailles d’Albert et de Victoria… En 1714, à la mort sans héritier d’Anne de Grande-Bretagne (1665-1714), la dernière de la maison Stuart, sa succession incombe à son plus proche parent protestant, en vertu de l’Acte d’établissement de 1701, censé empêcher l’avènement d’un souverain catholique.

Ce parent est en réalité très éloigné : il s’agit de George Ier (1660-1727), prince-électeur de Hanovre, dont le lien avec Anne remonte à trois générations ! Problème, le nouveau roi est certes protestant, mais il n’est pas né en terre britannique, et ne parle même pas l’anglais. Pendant son règne, il s’absente autant que possible des îles britanniques. Tous ses successeurs sont issus de cette même maison de Hanovre : George II (1683-1760), George III (1738-1820)… jusqu’à la reine Victoria, qui règne pendant soixante-quatre ans au XIXe siècle. « Victoria et son fils aîné, le futur roi Edouard VII, sont au moins aussi allemands que britanniques », écrit l’historien David Cannadine dans sa biographie George V : the unexpected king (éd. Penguin, 2014, non traduit). La mère et son héritier sont à l’aise dans les cours et capitales d’Europe. Les deux parlent couramment le français et l’allemand mais aussi l’anglais… avec un accent guttural très prononcé. Des purs produits de ce monde cosmopolite des têtes couronnées d’Europe au XIXe siècle, où l’on s’unit allègrement par-delà les frontières, où les liens tissés entre grandes maisons servent aussi à réguler les relations internationales. Sauf que l’heure, désormais, est au nationalisme…

Au XIXe siècle, les armoiries de la famille royale étaient ornées de la devise allemande « Treu und fest » (« Fidèle et fort »). Elle fut remplacée en 1917 par « Dieu et mon droit » (en français dans le texte) qui avait cours sous les Plantagenets (XIIe-XVe siècle).
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Bien sûr, au fil du temps, l’intérêt de ces souverains « allemands » pour les affaires britanniques, de même que leur « âme anglaise », s’est largement affirmé. Dès George III, couronné en 1760, tous sont nés à Londres. Et qui plus que la reine Victoria incarne la stabilité et le prestige de la Couronne ? Il n’empêche : au moment où éclate la Première Guerre mondiale, George V, monté sur le trône en 1910, reste dans l’esprit de bon nombre de ses sujets associé à ses origines teutonnes. Et ses liens familiaux n’aident pas. Le roi du Royaume-Uni est non seulement le cousin du tsar de Russie Nicolas II (1868-1918) – leurs mères étant sœurs –, mais aussi de Guillaume II (1859-1941), le Kaiser allemand, lui aussi petit-fils de la reine Victoria !

En 1911, George V recevait en grandes pompes son cousin, l’empereur allemand Guillaume II,
afin de se recueillir sur la tombe de leur aïeule, la reine Victoria.
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Les trois souverains se retrouvent d’ailleurs à Berlin, en 1913, pour le mariage de la fille de Guillaume. Un an plus tard, alors qu’éclate le premier conflit mondial, l’heure n’est plus à la « cousinade ». Et dans l’opinion, la parentèle du roi alimente les soupçons : est-il un patriote ? Peut-on lui faire confiance pour mener le pays dans la guerre ? Et s’il était secrètement pro-allemand ?

Une vague anti-germanique grandit au sein de la population britannique

Plus les bruits de bottes augmentent, en ce début du XXe siècle, plus le militarisme allemand inquiète, créant une vague anti-germanique au sein de la population britannique. Elle franchit un cap au début de la guerre, attisée par la presse et la propagande, et exacerbée par des événements comme le torpillage du paquebot Lusitania par un sous-marin allemand en 1915. La haine du « Hun » débouche même sur des émeutes et des attaques contre des commerces germaniques. A cette époque, la capitale abrite une communauté de 68 000 Allemands, tous parfaitement intégrés. Devant la pression populaire, des noms de rues rappelant l’outre-Rhin, comme Berlin Road à Londres, sont débaptisés.

Ce climat de germanophobie gagne aussi les hautes sphères. Le cas le plus marquant est celui de l’amiral Louis de Battenberg (1854-1921), commandant de la Royal Navy. Ce natif de Graz, en Autriche, naturalisé anglais et s’exprimant avec un fort accent germanique, est poussé à la démission en octobre 1914. Le roi George V, lui, vit mal les allusions à ses racines. Quand le romancier H. G. Wells dénonce, en la famille royale, une « cour étrangère et médiocre », il réplique : « Je suis peut-être médiocre, mais que je sois damné si je suis étranger ! » Il n’empêche, la présence à Buckingham d’un prince de Saxe-Cobourg-Gotha devient « une anomalie de plus en plus indécente, alors que des centaines de milliers de morts et de blessés, défigurés, gazés, mutilés sont victimes de l’Empire allemand », écrit Jean des Cars dans La Saga des Windsor. De l’Empire britannique au Commonwealth (éd. Perrin, 2011). Et d’ajouter : « Des millions de Britanniques, militaires et civils, en sont plus qu’embarrassés, jugeant cette situation malsaine. »

En 1917, Georges V se rend sur le front franco-britannique à Abbeville (Somme).
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Naissance d’une nouvelle dynastie : les Windsor

Pour y mettre fin, George V ne peut certes pas changer de famille. Il peut, par contre, en modifier le nom, et se débarrasser de ses titres encombrants. Le 17 juillet 1917, un mois après le bombardement de Londres, qui sert de déclencheur, le souverain annonce une décision très forte devant le Private Council, un organe chargé de le conseiller. Le Court Circular, le journal officiel de la cour, la rapporte ainsi : « Pour nous-mêmes et pour nos descendants, l’usage des grades, titres, dignités et honneurs de ducs et duchesses de Saxe, de princes et de princesses de Saxe-Cobourg-Gotha et autres dénominations allemandes ne nous appartiennent plus. » D’un royal claquement de doigts, des générations d’ancêtres sont effacées de l’arbre généalogique. Et immédiatement, le nouveau nom de la dynastie est proclamé : Windsor. C’est Lord Stamfordham, le secrétaire privé du roi, qui en aurait eu l’idée, en référence à l’immense château de l’ouest de Londres, bastion de la monarchie, où ont régné presque tous les rois et reines depuis Guillaume le Conquérant (1027-1087). Le nom fait sensation. Et par sa seule magie, cette famille royale, aux origines suspectes, devient tout à coup inscrite dans une continuité millénaire.

Le grand ménage ne s’arrête pas là

En 1917, tous les proches de la famille royale aux patronymes un peu trop germaniques sont « anglicisés ». Louis de Battenberg devient Louis Mountbatten, marquis de Milford Haven. Les ducs et princes de Teck, issus de la maison allemande de Wurtemberg et frères de la « Queen Mary » (1867-1953), l’épouse de George V, sont rebaptisés Cambridge. Le roi décide aussi que les membres de la royal family n’ont plus l’obligation de s’unir à des têtes couronnées européennes, mais peuvent épouser de « simples » nobles britanniques. Et pour afficher ses distances avec ses attaches familiales continentales, il refuse l’asile à son cousin le tsar Nicolas II, renversé par la Révolution russe en 1917 puis exécuté dans une cave en Sibérie, un an plus tard. « Le résultat est un repositionnement fondamental de la monarchie britannique, s’éloignant du cousinage royal transnational traditionnel, et des amitiés personnelles qui vont avec, pour se tourner vers la nation et l’Empire britannique », écrit David Cannadine.

Sur cette illustration du journal britannique Punch, en 1917,
George V fait le ménage au sein de la Couronne britannique
en donnant un coup de balai sur ses titres de noblesse germaniques.
© akg-images / UIG / Universal History Archive

Comment fut accueilli ce reniement familial en Allemagne ? Avec ironie. Le Kaiser Guillaume II parla des « joyeuses commères de Saxe-Cobourg-Gotha », en faisant allusion à la célèbre pièce de théâtre de William ShakespeareLes Joyeuses Commères de Windsor (1602). Après la victoire de la Triple Entente sur l’Allemagne, en 1918, George V, nouveau roi Windsor, deviendra populaire et respecté. « Il incarne l’Etat viscéralement britannique », conclut Jean des Cars. Son génie est d’être intervenu au bon moment, à une époque où le patriotisme interdisait le moindre doute et où l’Allemagne semblait aussi se diriger vers la défaite… Avec ce changement de patronyme, le souverain sauva probablement la Couronne d’Angleterre et fit preuve d’un esprit moderne. Un journaliste du Times écrivit à ce propos : « Cette époque est propice à l’innovation ». Un mot qui sera le leitmotiv des Windsor.


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Eric Branca

[Voir aussi :
Racines nazies de la famille royale britannique ?]

Éditions PERRIN