« Les monnaies numériques de banque centrale vont échouer »

[Source : essentiel.news via sentadepuydt.substack.com]

Inflation, endettement, guerres : dans les vues de l’économiste Martin Armstrong, la prochaine décennie ne sera pas triste.

17 juillet 2024

Condamné pour fraude — il a fait sept ans de prison — Martin Armstrong n’en est pas moins l’un des économistes les plus écoutés aux États-Unis. Dans le cadre de la réalisation d’un documentaire à venir « The Big Picture », James Patrick, l’auteur de la série Planet Lockdown, lui a demandé pourquoi il estime que les monnaies numériques de banque centrale ou « CBDC » ne vont pas marcher.

Monnaie de contrôle, récession, guerres, mais aussi échec du futur gouvernement mondial, Armstrong déroule ses prévisions pour la prochaine décennie, jusqu’au moment où l’Humanité devra se réinventer en tirant les leçons du passé.

Célèbre pour avoir prédit, jour pour jour, plusieurs évènements de grande ampleur, dont le krach du lundi noir d’octobre 1987, l’effondrement de l’indice Nikkei en 1989 et le krach russe de 1998, il dit s’appuyer sur des modèles mathématiques et historiques complexes, plutôt que sur les théories classiques de l’économie.

L’abîme de la dette

Pour Martin Armstrong, la raison principale avancée pour l’introduction des CBDC tient à l’effondrement du système économique sous le poids de la dette :

Les États ont toujours emprunté sans intention de repayer la dette. En 2024, les dépenses liées aux intérêts sur la dette vont s’élever à mille milliards. Dans les années 1980, cette somme correspondait au montant total de la dette américaine et non aux intérêts annuels. Actuellement 70 % des dépenses vont dans le seul remboursement des intérêts. Or le problème c’est que de toute façon, il n’y a aucun moyen de payer la dette.

L’expert le répète : notre économie est totalement hors contrôle. Les États sont en faillite :

Dans cette sorte de système de Ponzi, on crée de nouvelles dettes pour apurer les anciennes. Mais, lorsque plus personne ne prête de l’argent pour racheter l’ancienne dette, l’État fait faillite. Le problème, répète-t-il, c’est que les gouvernements occidentaux sont constamment en déficit, même en période de boom économique.

Il souligne aussi que, tout au long de l’Histoire, cette situation a mené au chaos :

Les gouvernements qui empruntent finissent toujours par tomber en faillite, et après cela ils partent en guerre. Aujourd’hui tout le monde veut la guerre, parce que c’est la meilleure excuse pour déclarer une faillite.

Le dilemme des banques centrales

Armstrong est particulièrement critique du modèle de l’économie keynésienne qu’il considère comme obsolète.

Les banques centrales se trouvent face à un dilemme, parce que l’économie keynésienne ne fonctionne plus. Relever les taux d’intérêt pour limiter l’inflation, ça pouvait marcher dans les années 1930, quand les gouvernements avaient un budget équilibré. Les taux d’intérêt modifiaient le comportement de la population, les gens empruntaient moins.

Mais aujourd’hui, c’est le gouvernement qui est devenu le plus gros emprunteur. Donc si les banques centrales relèvent le taux d’intérêt, les gens empruntent moins, mais cela n’empêche pas le gouvernement de dépenser tous azimuts et de provoquer une récession économique.

Ouvriers sans travail après le krach boursier de 1929

Forme de contrôle absolu sur la population

L’économiste explique que selon les chiffres officiels de l’administration fiscale (Internal Revenue Services), environ 35 % de l’activité économique échappe aux impôts. En supprimant le cash et en imposant les CBDC, la monnaie numérique de banque centrale, les gouvernements pensent qu’ils vont pouvoir supprimer l’économie parallèle, notamment tous les petits boulots qui ne sont pas déclarés. Pour Armstrong :

Penser que les CBDC vont résoudre le problème est un faux raisonnement, parce que, peu importe le montant récolté par les gouvernements, ils s’arrangent toujours pour en dépenser beaucoup plus.

L’on sait que les CBDC ont un autre rôle. Il s’agit d’exercer une forme de contrôle absolu sur la population avec la mise en place des monnaies programmables. Par exemple, on pourra empêcher quelqu’un de faire une donation à un tel personnage politique ou d’acheter ce qui ne sera pas considéré comme éthique, ou même de retirer son argent en cas de guerre ou de faillite. Avec les CBDC, on pourra réellement contrôler les gens.

Il précise toutefois qu’il y a souvent un malentendu sur la manière dont ce contrôle sera exercé :

Les gens pensent qu’il y aura une monnaie émise directement par les banques centrales qui pourront tout contrôler. En réalité, cela peut aussi être des monnaies privées, utilisées par des banques ou des organisations privées, car les banques centrales n’ont pas de regard direct sur les activités des citoyens.

Les banques centrales auront le rôle régulateur, mais ce sont les banques privées qui seront chargées de faire des rapports à l’administration sur les dépenses et comportements de leurs clients. Donc, en ce qui me concerne, les monnaies numériques privées ne sont pas une solution au problème.

« La Réserve Fédérale n’est pas le véritable problème »

Étonnamment, Armstrong prend la défense de la banque centrale américaine :

La Réserve fédérale n’est pas le véritable problème. En réalité, c’est la seule chose qui fonctionne.

La Réserve fédérale américaine

L’expert explique que durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement américain avait demandé à la « Fed » de limiter la hausse des taux d’intérêts et qu’elle avait toujours accepté de suivre de la Maison-Blanche, sauf lors de la guerre de Corée. Mais, pour la première fois, les choses sont en train de changer.

En décembre 2023, lorsque l’on a clairement dit que les dépenses étaient hors contrôle, la Réserve Fédérale a ouvertement critiqué la Maison-Blanche. C’est la première fois que cela arrive depuis 1951 (la guerre de Corée).

En réalité, si l’on veut un gouvernement stable, on ne doit pas lui donner l’occasion d’emprunter de l’argent. Parce que cet argent lui sert à corrompre les gens et à s’installer au pouvoir.

Quatre prochaines années chaotiques

Selon les modèles mathématiques d’Armstrong, nous sommes entrés en récession à partir de mai 2024 et cela va se poursuivre jusqu’en 2032.

Même Paul Walker qui a présidé la réserve fédérale s’accorde à dire que le cycle économique dure environ huit ans.

À partir de mai 2024 jusqu’en 2028, nous entrons en récession avec l’inflation, la surtaxe et des conflits armés. Cela va entraîner des pénuries et une « stagflation » (inflation et stagnation, croissance nulle ou négative, chômage).

Cette augmentation constante de taxes sera accompagnée par l’introduction des CBDC. Armstrong affirme que les États-Unis sont en train de lever une armée de contrôleurs fiscaux pour imposer les indépendants et les petites et moyennes entreprises. Mais cela ne devrait rien résoudre, car « même si on prenait tout l’argent de milliardaires comme Bill Gates, Georges Soros ou Warren Buffet, cela ne suffirait pas à rembourser les intérêts de la dette pour une année ». Au contraire, il prédit un frein à l’activité économique, la diminution des investissements et une inflation galopante.

Par ailleurs, les gouvernements poursuivront leurs dépenses folles pour financer les guerres, comme avec l’Ukraine. Les quatre prochaines années s’annoncent donc chaotiques. Après 2028, Armstrong annonce une tentative de relance avec la formation d’un gouvernement mondial. Enfin, vers 2032 :

Le gouvernement mondial échouera aussi et finalement, on pourra redessiner notre système politique.

La centralisation est vouée à l’échec

Martin Armstrong revient sur les raisons de la chute du communisme dans l’Union Soviétique :

La plupart des gens ignorent que Lénine voulait en fait s’inspirer des États-Unis. Il souhaitait que les différents États gardent leur indépendance, et qu’ils puissent même se séparer s’ils le désiraient. C’est sans doute l’une des principales raisons pour lesquelles Staline l’aurait fait assassiner, car Staline a été l’architecte de la centralisation de l’URSS.

Le problème, c’est que les gouvernements centraux ne fonctionnent plus quand ils doivent gérer différentes cultures et populations. Et, si cela a raté en Union soviétique, cela n’ira pas aux États-Unis. Les gens y sont par exemple divisés sur des questions comme l’avortement ou l’immigration. Imposer la loi des uns sur les autres, parce que l’on a une majorité électorale, ça ne va pas.

On le voit en Ukraine : Zelensky veut obliger les russophones à parler ukrainien, ensuite ils doivent obéir au patriarche local et puis abandonner la Noël orthodoxe, etc.

On ne peut pas forcer les gens. Quand on interfère avec leur langue, leurs croyances, leur culture, on ne fait que les pousser à la guerre civile.

Armstrong pense qu’en cherchant à centraliser le pouvoir et à contrôler la population, l’on va créer un mouvement inverse. Les États-Unis pourraient se séparer en trois régions. La même chose se passerait sans doute au Canada, une séparation entre l’est et l’ouest du pays. L’Europe aussi finirait par éclater et les États membres retrouveraient leur souveraineté nationale.

Les monnaies alternatives

Quand Andrew Jackson a fermé la banque centrale des États-Unis, cela a créé la panique de 1937, la Grande Dépression. On a vu apparaître « les monnaies des temps difficiles ». Plus de 200 villes ont frappé leur propre monnaie. La même chose s’est passée durant la guerre civile et dans l’Allemagne d’après guerre. Il y avait le « Notgelt », l’« argent de secours » qui n’était pas émis par le gouvernement, mais par des caisses privées des villes.

Billet de 2 millions de marks émis par la ville de Cologne

De la même façon, l’imposition des CBDC risque d’engendrer la division et de pousser au démantèlement du pays, pour aboutir finalement à la création de monnaies alternatives.

En tous cas, ce sera une expérience intéressante de supprimer l’argent physique. À mon avis, c’est complètement absurde. Plus le gouvernement va chercher à imposer une forme de tyrannie, de contrôle absolu, plus cela va pousser les gens à se tourner vers des alternatives. Ils utiliseront n’importe quoi pour échapper au système : des pièces d’or, d’argent, tout ce qui a une valeur matérielle. Quand on met les gens en prison, ils font du commerce avec des cigarettes.

À mon avis, le Bitcoin a été créé par le gouvernement pour vendre l’idée des CBDC. Ce n’est pas une solution, ce n’est pas une réserve de richesse et de toute façon, c’est risqué parce que c’est immatériel. Les cryptomonnaies ne sont pas une alternative aux monnaies numériques de banque centrale. Elles peuvent être éliminées en une touche de clavier.

Changer le système politique

Si l’on veut un jour avoir un gouvernement par le peuple et pour le peuple, il faut limiter les mandats des élus dans la durée. Au début, les membres du Congrès ne siégeaient que quelques semaines par an, et ils n’avaient pas de salaire. Il faut éviter de créer une classe politique : que l’on paye les gens sur la base de leurs prestations réelles ! Quand les Clinton ont quitté la Maison-Blanche, ils ont emporté les meubles… enfin, tout ça ne leur appartient pas !

Biden est absent 40 % du temps et cela permet aux agences de faire ce qu’elles veulent. Le rôle d’un président lors de ces réunions de cabinet, c’est d’arbitrer les discussions. Le département de l’intérieur est aux mains des néoconservateurs qui veulent mener la guerre à la terre entière, y compris avec la Chine.

Et de rappeler que la Chine est le plus grand détenteur de dette américaine :

Imaginez que Janet Yellen (Secrétaire au Trésor et ancienne directrice de la Réserve fédérale) est obligée de se rendre en Chine pour supplier les Chinois de continuer à financer notre dette. S’ils refusent, il y a deux conséquences : d’abord les taux d’intérêt s’envolent et c’est l’inflation et ensuite si le gouvernement ne parvient pas à vendre des bons d’État, c’est la faillite. Et ces bons seront impossibles à vendre, car les intérêts que l’on obtiendra à leur échéance ne compenseront pas leur perte de valeur causée par l’inflation.

Un futur sans dettes !

Sur le plan individuel, nous apprenons de nos erreurs en grandissant, mais l’on dirait que sur le plan collectif, nous sommes incapables de tirer les leçons de nos expériences. Quand j’étais jeune, ce qui m’avait frappé à la lecture de l’Histoire, c’est que tous les empires qui se sont élevés ont fini par s’effondrer pour les mêmes raisons.

La seule solution à tout cela, c’est d’interdire aux gouvernements d’emprunter de l’argent. On ne peut pas leur faire confiance, ils ne vont jamais rembourser. Et puis, il faut stopper cet agenda marxiste, car c’est ce qui a mené à l’échec du communisme.

La corruption des représentants a toujours miné le système. C’était déjà le cas à Rome. Les pouvoirs que nos gouvernements nous prennent, ils ne nous les rendent jamais. Il faut instaurer des formes de consultation populaire. Pourquoi ne demande-t-on pas l’avis des peuples avant d’aller en guerre ? Nous avons envoyé des jeunes de 18 ans au Vietnam. Ils n’étaient pas assez âgés pour pouvoir prendre un verre ou pour voter, mais on les a envoyés au casse-pipe. Ce n’est pas ça la démocratie.

En 2033, on pourra donc tout recommencer :

Ce serait bien si pour la première fois, on pouvait tirer les leçons de l’Histoire et ne pas répéter les mêmes erreurs. Il faut s’y préparer dès maintenant. Moi je pense que nous avons une chance à saisir sur le plan collectif pour laisser autre chose à nos enfants que le chaos.

Nous aurons la chance de réinventer notre société à partir de zéro, tout comme les pères fondateurs de l’Amérique l’ont fait en 1776.

L’on peut suivre Martin Armstrong dans la revue Arsmtrong Economics.

Entretien mené par James Patrick dans le cadre du documentaire The Big Picture, mis en ligne le 5 juillet 2024.