Les martyrs sont-ils de retour ?

[Source : Le Saker Francophone]


Julian Assange et la chute de l’empire mondial


Par Ugo Bardi – Le 6 mai 2019 – Source CassandraLegacy

Plus
le drame mondial actuel se déroule, plus je suis étonné de voir à quel
point nous suivons de près le chemin que l’ancien Empire romain a suivi
vers son effondrement définitif. Dmitry Orlov, un autre observateur
attentif de l’effondrement de la civilisation, semble penser de la même
façon. Dans un post sur son blog, il note comment Julian Assange pourrait être le premier martyr de la vérité des temps modernes, il l’appelle « Saint Julien ». Je cite Orlov :

Si tout se passe bien, il sera libéré et redeviendra une
personnalité médiatique de grande envergure. Et si tout va mal et que
les Américains mettent la main sur lui et le torturent à mort, il mourra
en martyr et vivra à jamais dans la mémoire publique.

Je ne sais pas si Assange a été baptisé, mais un bon
choix de saint pour lui serait saint Julien d’Antioche, qui a été
martyrisé pendant la persécution des chrétiens par l’empereur Dioclétien
entre 303 et 313 après J.C. Saint Julien a été mis dans un sac rempli
de sable, de vipères et de scorpions et jeté à la mer. L’initiative de
Dioclétien fut un échec : le fils d’un de ses lieutenants, Constantin,
non seulement annula la persécution des chrétiens, mais fit du
christianisme la religion de l’Empire romain. Il en transféra ensuite la
capitale vers la Nouvelle Rome (Constantinople), abandonnant la Vieille
Rome et la laissant languir dans un âge des ténèbres alors que sa
Nouvelle Rome dura mille ans de gloire.

Si Julian Assange devait finir martyrisé par les Américains, on peut
s’attendre à un résultat vaguement similaire : les générations futures
d’Américains diront : « Il était une fois un grand
journaliste du nom de Julian. Il est mort en martyr pour la vérité.
C’était il y a longtemps, et nous ne savons pas ce qui nous est arrivé
depuis, parce que tout ce que nous avons entendu depuis, ce ne sont que
des mensonges… ».

Je pense que ce post d’Orlov va au cœur du sujet. Un effondrement de
civilisation est, en fin de compte, un effondrement de confiance. Un
empire, un État, une famille, n’importe quelle structure sociale, peut
être riche ou pauvre, puissante ou faible, nouvelle ou vieille, heureuse
ou triste, mais s’il n’y a pas de confiance pour la garder
cohérente, elle ne peut pas durer longtemps ; c’est comme une
transformation d’un solide en gaz quand les liens chimiques qui gardent
les atomes ensemble ne sont pas assez forts. C’est ce qui est arrivé à
l’Empire romain, c’est ce qui nous arrive. Comme le dit Matthieu, « Tout
royaume divisé contre lui-même est réduit à la désolation, et toute
ville ou maison divisée contre elle-même n’existera plus »
(12:25).

En fin de compte, la confiance est basée sur la vérité. Sans vérité, il ne peut y avoir de confiance. À l’époque romaine, la lutte du christianisme
contre l’Empire du mensonge était avant tout une lutte pour
reconstruire la confiance en établissant une vérité nouvelle, celle qui
se révèle. J’ai écrit dans un article précédent que :

Saint-Augustin et d’autres pères chrétiens primitifs
s’engagèrent, tout d’abord, dans une révolution épistémologique. Paul de
Tarse avait déjà compris ce point lorsqu’il avait écrit : « maintenant nous voyons comme dans un miroir, dans l’obscurité, alors nous verrons face à face. »
C’était le problème de la vérité, comment la voir ? Comment la
déterminer ? Selon le point de vue traditionnel, la vérité était
rapportée par un témoin en qui on pouvait avoir confiance.
L’épistémologie chrétienne est partie de cela, pour construire le
concept de vérité comme résultat de la révélation divine. Les chrétiens
appelaient Dieu lui-même comme témoin.

Au nom de la vérité, les martyrs chrétiens (terme grec signifiant « témoignage »)
étaient prêts à donner leur vie, à mourir vilipendés et torturés de la
manière la plus horrible. C’est le courage des premiers martyrs qui a
finalement fait tomber la créature zombie que l’ancien grand Empire
romain était devenu.

Et maintenant ? Nous entrons rapidement dans une phase où les
mensonges que nous racontent nos gouvernements et nos élites sont si
énormes, si omniprésents, si flagrants qu’ils peuvent être qualifiés que
de diaboliques.
Mais dans la grande confusion de notre temps, même les bons parmi nous
sont confus, ils ne peuvent plus discerner la vérité. Et le temps est
peut-être venu où nous avons besoin d’une nouvelle génération de
martyrs, car la vérité est nécessaire.

Ugo Bardi

Ugo Bardi enseigne la chimie physique à l’Université de
Florence, en Italie, et il est également membre du Club de Rome. Il
s’intéresse à l’épuisement des ressources, à la modélisation de la
dynamique des systèmes, aux sciences climatiques et aux énergies
renouvelables.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone