Les fondements de la communication

Par Joseph Stroberg

Notre société moderne pense vivre à l’ère ou à l’heure de la « communication » quand transférer un message d’un continent à l’autre ne demande plus qu’une seconde ou quelques minutes selon son ampleur, alors que dans le même temps ce concept, commercialisé, implique maintenant l’art de travestir la réalité pour lui substituer une image, une illusion. Mais que signifie ou devrait signifier « communiquer » ? S’il s’agissait à l’origine, ou s’il s’agit encore dans la nature de tout autre chose, a-t-on gagné, ou au contraire a-t-on perdu au change ?

Si la communication est devenue rapide par le recours à des moyens technologiques et informatiques de plus en plus sophistiqués (et parallèlement fragiles), ce concept n’a pas attendu l’Homme pour s’incarner dans la Forme (les mondes formels). Déjà les animaux utilisaient des sons ou des gestes pour transmettre des informations à certains de leurs pairs : avertissements de danger, appels en vue de certaines actions, enseignement de savoir-faire, etc. Mais également, comme l’ont démontré certaines expériences et observations, les végétaux peuvent aussi communiquer entre eux, ceci en particulier en utilisant des substances chimiques diffusées dans l’air. Et rien n’empêche d’envisager que les cristaux naturels eux-mêmes, s’ils sont dotés d’une forme de vie et de conscience, utilisent une forme de communication pour s’échanger des informations d’un ordre ou d’un autre. Même chose pour les planètes, les étoiles, les galaxies… d’autant plus que la physique quantique a mis en évidence l’existence de liens étranges entre les particules qui composent la matière, avec la notion d’intrication qui leur permet en quelque sorte de communiquer instantanément leur état en s’affranchissant totalement de la supposée limite de la vitesse de la lumière.

Si l’on se base sur ce qui existait déjà dans la nature bien avant l’apparition de l’être humain, la communication y existe (presque ?) universellement et y remplit au moins des fonctions essentielles. Les plus importantes sont directement liées à la survie de l’espèce : avertir de dangers, apprendre à trouver de la nourriture, à se protéger, à trouver un abri, trouver un(e) partenaire pour la reproduction lorsque celle-ci est sexuée… D’autres semblent couvrir des besoins moins vitaux, mais peut-être tout aussi importants pour l’équilibre individuel et collectif : des fonctions ludiques, des partages émotionnels, la délimitation d’un espace de vie (par exemple pour la chasse), un appel à l’exploration de territoires inconnus (en vue de découvrir notamment de nouvelles ressources)…

Quelle que soit la fonction immédiate de la communication dans les règnes végétal et animal, il apparaît que pratiquement chaque fois, on peut constater que celle-ci apporte une aide à celui qui émet le message et/ou à celui qui le reçoit. La communication dans la nature se révèle habituellement bénéfique et utile. On n’y parle pas pour ne rien dire ou pour nuire au destinataire. Et l’on peut imaginer ou supposer logiquement que la communication humaine primitive reposait sur une approche similaire.

L’observation des mondes végétal et animal, voire de certaines sociétés humaines autochtones épargnées par la « civilisation » laisse entrevoir les fondements probables de la communication dans la nature, et de manière plus générale dans le cosmos. Il s’agit à la base d’un mécanisme d’entraide destiné notamment à préserver la vie dans la Forme, à lui permettre de s’y dérouler plus facilement ou avec moins de souffrances effectives. Une forme de vie émet une demande d’aide ou offre une aide à une autre de même espèce ou d’une espèce différente face à une situation potentiellement ou effectivement problématique.

Pour que la communication passe, aboutisse, soit effective, elle doit être comprise par le receveur selon la signification, dans le sens voulu par l’émetteur. Et cela sera d’autant plus le cas que cette communication utilise un langage commun aux deux protagonistes et qu’elle n’est pas perturbée ou altérée par quoi que ce soit dans le milieu entre l’émetteur et le receveur. De ce point de vue, la communication idéale est d’ordre télépathique : un lien direct entre les deux consciences impliquées, sans le moindre support matériel qu’il soit naturel ou technologique. Dans la pratique, c’est très rarement le cas. Cela passe le plus souvent par un langage oral ou gestuel (au moins pour les animaux et les êtres humains), et de nos jours par des moyens artificiels tels que la radio, la télévision, le téléphone, Internet…

Une communication se révèle d’autant moins efficace et apte à permettre l’action éventuellement demandée ou proposée qu’elle est basée sur un langage pauvre et/ou qu’elle utilise des intermédiaires (que ceux-ci soient vivants ou artificiels). Et un groupe d’êtres qui recourt à une communication fragilisée voit une réponse proportionnellement affaiblie à ses besoins, même vitaux. Il a alors plus de chances d’échouer dans ses objectifs et même dans sa perpétuation.

Depuis plusieurs décennies le langage utilisé dans la communication humaine s’est généralement dégradé, quelles que soient la nation et la langue maternelle considérées, car les fondements de l’instruction scolaire ont été progressivement sabotés, érodés, renversés… pour être remplacés de plus en plus souvent par des succédanés à base idéologique destructrice (tels que la théorie du genre) qui n’ont plus guère de rapport avec une connaissance et un savoir-faire à acquérir, mais bien davantage avec une entreprise de démolition de l’être humain et de la civilisation. Avec un vocabulaire de plus en plus appauvri et vulgaire, le jeune élève, puis l’étudiant ont de plus en plus de mal même à exprimer leurs émotions et ressentis. Avec l’absence de sérieuses bases dans des disciplines aptes à forger leur mental, ils deviennent des crétins, intellectuellement handicapés, tout juste aptes à servir de robots dans des entreprises de plus en plus déshumanisantes. Avec l’utilisation de machines, dont le téléphone cellulaire, pour remplacer notamment leur mémoire et leur aptitude au calcul mental, ils deviennent de plus en plus techno dépendants et à la merci des programmeurs (ou plus exactement de ceux qui ont commandé les programmes).

Alors que la technologie et l’informatique ont considérablement augmenté la vitesse et le débit des informations communiquées, l’Humanité n’a pas réalisé qu’ainsi elle remplaçait la qualité par la quantité, comme elle l’a fait d’ailleurs dans la plupart des autres secteurs de la vie humaine. Les réseaux dits « sociaux » ont ainsi réalisé la même décadence en matière de relations humaines et sociales : une grande quantité de prétendus « amis », mais une perte notable de liens profonds et solides. L’agriculture industrielle a obtenu un résultat similaire avec les aliments d’origine végétale comme animale : de vastes quantités disponibles (souvent gaspillées), mais de faibles qualités nutritives accompagnées de nombreux poisons (additifs alimentaires, pesticides, antibiotiques, hormones, OGM…). À causes similaires, effets similaires. Dans chacun de ces trois secteurs indiqués (comme pour les autres situations de même ordre), on ne dispose, individuellement aussi bien que collectivement, que d’un certain « volume » utile et utilisable : volume de données ; volume relationnel ; et volume de ressources alimentaires.

Chaque volume est le produit d’une surface (représentant la quantité, le nombre) et d’une hauteur (représentant la qualité). Si l’on augmente la quantité des données, on réduit d’autant plus leur qualité. Si l’on augmente la quantité des relations, on diminue le nombre de véritables amis. Si l’on augmente la quantité de ressources alimentaires au point d’en gaspiller beaucoup chaque jour, on réduit la qualité des aliments. L’Humanité a augmenté considérablement les possibilités et les débits de communication, avec notamment une diffusion massive de « nouvelles » chaque jour, mais les informations vraiment utiles pour l’évolution et la perpétuation de la civilisation comme des individus se trouvent de plus en plus perdues dans la masse. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Imaginons, quelque part vers le Moyen-Âge, un certain volume de communications accessibles pour l’Humanité de l’époque. Un tel volume était à l’image d’un tube étroit, mais de grande hauteur, peut-être aussi haut qu’une montagne. Les communications étaient difficiles, peu accessibles, nécessitaient de se déplacer à pied, à cheval, en bateau… Les lettres étaient rares. Les services postaux n’existaient pas. Lorsque l’on communiquait d’un bout à l’autre d’un pays, ce n’était pas pour des affaires dérisoires, pour parler de la pluie ou du beau temps, pour s’échanger des recettes de cuisine…, mais pour des choses plus vitales et importantes.

Mais à un moment donné, les Hommes, par fainéantise, se sont mis à construire des machines pour avoir moins besoin d’utiliser leurs muscles, puis plus récemment (moins d’un siècle) à construire des ordinateurs pour avoir moins besoin d’utiliser leur cerveau. Et bien sûr, par construction, par définition, ces machines et ces ordinateurs permettent effectivement de faire certaines tâches bien plus rapidement que le permettent les muscles et le cerveau. Ils augmentent la fameuse « productivité ». Ils permettent notamment aux riches de s’enrichir encore plus vite, et aux soldats de tuer encore plus vite. Oui, mais voilà, le règne de la quantité a progressivement supplanté automatiquement celui de la qualité. On ne peut pas tout avoir. Rappelez-vous : nous ne disposons que d’un volume limité, parce que le monde matériel est lui-même limité. La Terre elle-même est un espace limité.

Si l’on tape sur le long tube vertical de la communication pour communiquer en masse et très rapidement d’un bout à l’autre de la terre, on finit par obtenir l’immense crêpe plate actuelle qui s’étend sur tous les continents : on communique en masse, mais avec une très faible qualité, notamment une faible Conscience, sans guère s’occuper de la conséquence des propos sur ceux qui les recevront. Car ce n’est plus à un seul destinataire que ceux-ci s’adressent désormais, un destinataire unique auquel le message pouvait être spécifiquement adapté. C’est maintenant potentiellement à des millions ! Et parmi ces millions, les points de vue, les opinions, les croyances… sont très diversifiées. Il est maintenant très facile de blesser un grand nombre de personnes avec des propos irréfléchis ou de mauvaise qualité.

Alors que la communication devrait fondamentalement servir à aider ou à être aidé, individuellement ou collectivement, elle est devenue un moyen de nuire, volontairement ou involontairement. D’un outil pour transmettre le beau, le bien et le vrai (souvent au compte-gouttes vu la dispersion géographique des communautés antiques), elle est devenue celui de transmettre la laideur, le mauvais et le faux, en masse. Par sa paresse, mais son inventivité quelque peu diabolique, l’Humanité a remplacé la beauté, la bonté et la vérité des messages par la laideur, la méchanceté (voire la haine), et la fausseté, l’hypocrisie, le mensonge au point que les individus et les groupes en viennent à se mentir à eux-mêmes, à se fabriquer une image factice pour bien paraître et pour mieux se supporter lorsqu’ils se regardent dans un miroir. Comme l’avaient déjà perçu les Amérindiens à l’époque des grandes invasions, l’Homme corrompu par le confort mécanique a une « langue fourchue ». Ce qu’il peut communiquer le concernant n’est plus fiable depuis longtemps. Il ne le fait plus pour donner, mais pour voler ou pour détruire. La « communication » est devenue l’art du mensonge, pour mieux manipuler, pour mieux endoctriner, pour inciter à « consommer » ou à se faire injecter des poisons dans le temple sacré que devrait rester le corps de chair et de sang…

En conséquence de cette communication profondément pervertie et inversée, l’Humanité est devenue tout aussi profondément malade et il existe peu d’individus en bonne santé physique, morale, psychique et spirituelle. Alors que les sciences devaient au départ aider l’Homme a mieux comprendre son environnement, à mieux comprendre sa nature et à mieux communiquer, elles ont créé des artefacts technologiques et des chimères qui ont largement contribué à détruire l’environnement, à souiller sa propre nature, et à rendre rare la communication authentique. Peut-il encore retrouver une langue simple (non fourchue) et vertueuse ? Avec un peu de chance ou de bonne volonté, l’Humanité pourra se guérir si elle retrouve les fondements de la communication et qu’un nombre critique d’individus exprime donc la beauté, le bien et le vrai, autant dans ses demandes d’aide que dans celle qu’il peut offrir aux autres. De plus en plus d’individus travaillent dans ce sens.