L’économie tablant sur le pillage

[Source : Réseau International]

Les
capitalistes s’étant prétendus responsables de l’ancienne performance
économique des États-Unis d’Amérique, il faut mettre les choses au
clair. Cette réussite n’a rien à voir avec le capitalisme, mais ça ne
veut pas dire que les États-Unis auraient mieux réussi avec une chose
similaire à la planification centrale soviétique.

Avant 1900, les frontières étant alors
fermées, la réussite fut entretenue par le pillage de l’environnement
vierge et des abondantes ressources naturelles. Les individus et les
entreprises prospérèrent simplement en occupant la terre et en prenant
les ressources existantes.

Au fur et à mesure de la croissance de la population, l’épuisement des ressources fit diminuer la dotation en ressources par habitant.

Les États-Unis trouvèrent un second
souffle avec la Première Guerre Mondiale. Celle-ci dévasta les
puissances européennes et permit l’émergence de la jeune puissance
mondiale des États-Unis. La Seconde Guerre Mondiale mit fin à l’Europe
et passa la suprématie économique et financière à Washington. Le dollar
étasunien prit le rôle de monnaie de réserve mondiale à la livre
sterling, ce qui permit aux États-Unis de payer leurs factures en
imprimant de l’argent. Le rôle du dollar comme devise mondiale, plus que
les armes nucléaires, fut à l’origine de la puissance des États-Unis.
La Russie est une puissance égale ou supérieure par ses armes
nucléaires, mais c’est le dollar et pas le rouble qui sert à régler les
échanges internationaux.

Grâce à sa monnaie mondiale, les
États-Unis ont l’hégémonie financière. Ce pouvoir, ainsi que le FMI et
la Banque mondiale, leur ont permis de piller les ressources des
étrangers, tout comme les siennes qui sont en voie de disparition.

Nous
pouvons en conclure que le pillage des ressources naturelles et la
capacité de faire supporter par d’autres une grande partie des coûts,
ont largement favorisé la réussite du capitalisme des États-Unis.
Michael Hudson a décrit ce processus de pillage dans ses nombreux livres
et articles (par exemple, dans Guerre économique des États-Unis et défenses probables des étrangers), de même que John Perkins, dans Confessions d’un assassin économique.

Fondamentalement, le capitalisme est un
mécanisme de pillage. Il génère des profits à court terme et fait
supporter par d’autres les coûts à long terme. Il épuise les ressources
naturelles, l’air, la terre et l’eau, pour faire des bénéfices
temporaires, tout en faisant supporter la majorité de ses coûts, comme
la pollution, par l’environnement. Exemple, la destruction de la forêt
amazonienne par les bûcherons. Le monde perd un formidable puits de
carbone qui stabilise le climat mondial, et ceux qui exploitent la forêt
réalisent des profits à court terme, qui ne représentent qu’un
pourcentage infime des coûts à long terme.

Ce processus destructeur est amplifié
par les perspectives à court terme inhérentes à l’activité capitaliste,
qui voit rarement au-delà du trimestre suivant.

Le succès économique des États-Unis fut
aussi dû à la vigueur de la demande du consommateur, alimentée par les
salaires réels en hausse, à l’époque où le progrès technologique dans le
secteur manufacturier accroissait la productivité du travail et le
pouvoir d’achat. La classe moyenne devint dominante. Quand j’étais
étudiant en économie, Paul Samuelson nous apprit que notre prospérité
reposait entièrement sur le vaste marché de consommation intérieur, et
avait peu à voir avec le commerce extérieur. Effectivement, le commerce
extérieur n’était qu’un facteur mineur du PIB. Les États-Unis avaient un
marché de consommation intérieur si vaste, qu’ils n’avaient nul besoin
du commerce extérieur pour réaliser des économies d’échelle.

Tout cela changea avec la montée de
l’idéologie du marché libre et l’effondrement de l’Union soviétique.
Quand j’étais étudiant, on nous apprenait que les conseils
d’administration et les dirigeants d’entreprise avaient des
responsabilités envers leurs employés, leurs clients, leurs communautés
et leurs actionnaires. Ces responsabilités étant toutes tout aussi
valables, il fallait y répondre de manière équilibrée.

Pour répondre aux libéraux qui voulaient
imposer de plus en plus de ‘charges sociales’ aux entreprises, les
économistes du marché libre avancèrent l’argument que les entreprises
n’avaient en réalité que des responsabilités envers leurs propriétaires.
À tort ou à raison, cet argument fut imputé à Milton Friedman. Les
établissements conservateurs se mirent à enseigner aux juristes et aux
législateurs, que les entreprises n’avaient de devoirs qu’envers leurs
propriétaires.

On enseigna aux juges que la propriété
étant particulière, elle ne peut être restreinte par le gouvernement qui
imposerait aux propriétaires d’investir dans des charges qui ne leur
sont pas avantageuses. Cet argument fut utilisé pour mettre fin à toutes
les responsabilités, excepté envers les actionnaires, et faire de la
maximisation des profits l’objectif principal des entreprises.

Ainsi, quand l’Union Soviétique
s’effondra et que la Chine et l’Inde ouvrirent leur économie aux
capitaux étrangers, les entreprises étasuniennes furent libres se
débarrasser de leur main-d’œuvre, de déserter leurs villes d’origine et
d’aller à l’étranger pour employer de la main-d’œuvre moins chère, afin
de produire des biens et services pour les États-Unis. Cela augmenta
leurs profits, et donc les primes des dirigeants et les plus-values des
actionnaires, aux dépens des moyens de subsistance de leur ancienne
main-d’œuvre nationale et de l’assiette fiscale de leurs communautés, et
de leur État d’origine. Les coûts externes des plus grands bénéfices
furent supportés par leurs anciens employés et par la dégradation de la
situation financière des États et des localités. Ces coûts dépassent
largement les profits les plus élevés.

En général, les économistes partent du
principe de ne pas tenir compte des coûts externes. Leur mantra est que
le progrès corrige tout. Mais leur méthode de mesure du progrès est
trompeuse. Les économistes écologiques, comme Herman Daly, ont soulevé
la question de savoir si, du fait de négliger les coûts externes et de
la façon imprécise de mesurer le PIB, les augmentations de PIB annoncées
dépassent bien en valeur le coût de leur production. En effet, il est
tout à fait possible que la croissance du PIB ne soit qu’un effet de la
non prise en compte de tous les coûts de production.

À l’approche de la fin de la deuxième
décennie du 21e siècle, la longue histoire du capitalisme des États-Unis
se nourrissant de pillage, semble se terminer en même temps que la
capacité de la banque centrale à protéger la richesse financière
existante, en créant de plus en plus d’argent pour soutenir le prix des
actions, des obligations et de l’immobilier. En Amérique latine, les
États-Unis ont une longue tradition de renversement de régimes
réformistes qui menacent la mainmise étasunienne sur leurs ressources.
Les coups d’État de Washington contre la démocratie et
l’autodétermination ont marché jusqu’à ce qu’il s’en prenne au
Venezuela. Le coup d’État de Washington contre Chavez a été bloqué par
la population et les militaires vénézuéliens. Jusqu’ici, la tentative de
renverser Maduro, le successeur de Chavez, a échoué.

La tentative de renversement du
gouvernement syrien a été enrayée par la Russie, et celle-ci et la Chine
vont très probablement empêcher Washington de renverser le gouvernement
iranien. En Afrique, les Chinois se révèlent être de meilleurs
partenaires commerciaux que les sociétés spoliatrices des États-Unis.
Continuer à alimenter l’empire et ses coûts ruineux, devient de plus en
plus difficile.

La politique de sanctions de Washington
rend cela encore plus difficile. Pour éviter les sanctions arbitraires
et illégales, d’autres pays commencent à abandonner le dollar et à
régler leurs échanges internationaux en devise nationale. La Route de la
Soie chinoise englobe la Russie et une grande partie de l’Asie. Elle
forme un bloc commercial indépendant du système financier occidental. En
espérant échapper à la prédation des États-Unis, d’autres pays se
tournent vers la Russie et la Chine pour garder leur souveraineté. Ces
évolutions vont réduire la demande de dollars et porter atteinte à
l’hégémonie financière des États-Unis. Les alternatives à la Banque
mondiale vont mettre à l’abri du pillage des régions entières du monde.

Les ressources à piller disparaissant,
le capitalisme des États-Unis, fortement dépendant de la rapine, va voir
partir en fumée l’un des piliers de sa réussite. La demande de
consommation globale s’effondrant du fait de l’absence de croissance du
revenu réel, du manque d’emplois pour la classe moyenne et de l’extrême
concentration des revenus et des richesses, un autre pilier du
capitalisme des États-Unis disparaît. Les investissements des
entreprises flanchant aussi, comme en témoignent leurs bénéfices et
leurs emprunts servant à racheter leurs propres actions, en se
décapitalisant au passage, la demande globale s’effondre.

L’absence de croissance de demande
globale fera que l’écart entre le cours élevé des actions et les sombres
perspectives de bénéfices des entreprises, sera trop grand pour être
comblé par la Réserve fédérale qui déverse de l’argent pour racheter ses
actifs financiers libellés en dollar. Sans la possibilité de soutenir
le prix des actifs financiers [en les rachetant] grâce à la création
monétaire, la fuite de ces actifs financiers pourrait faire s’effondrer
le dollar.

Ce qui restera sera la ruine.

Paul Craig Roberts

Original : www.paulcraigroberts.org/2019/08/01/americas-collapse-2-in-a-series/

Traduction Petrus Lombard