Le Tétralogue — Roman — Chapitre 35

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Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
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Par Joseph Stroberg

​35 — Vers la cité

Les quatre compagnons demeurèrent deux jours entiers près de l’oasis, le temps de récupérer suffisamment d’énergie et de faire sécher un bon stock de viande en vue de la poursuite de leur aventure, puis ils répartirent les tranches dans les trois sacs restants. Ils en avaient perdu un autre sans même l’avoir réalisé et ignoraient totalement où. Fort heureusement, les cristaux se trouvaient toujours là, car en dehors de la nourriture et des quelques armes, ceux-ci représentaient probablement les éléments les plus utiles. Par contre, ils ne disposaient plus du moindre abri portable, mais ceci était un moindre mal, puisque le présent continent était le plus chaud et la saison maintenant estivale. Ils regretteraient même probablement assez vite la fraîcheur des nuits printanières de leur région d’origine.

Au troisième jour à l’aube, alors que Matronix n’était elle-même visible qu’au tiers sur l’horizon, ils se mirent en route vers la direction supposée de la Cité de cristal, n’ayant pour l’instant rencontré aucun Vélien. Il est vrai que peu d’entre eux vivaient sur ce continent souvent trop chaud et peu accueillant, en dehors d’un nombre indéterminé d’habitants au sein même de la ville maudite. La chaleur était déjà notable et ils burent une grande quantité d’eau dans l’oasis dans l’espoir que cela leur suffirait le temps d’en trouver une autre sur leur parcours ou de découvrir une halte vélienne. Ils ignoraient même s’il en existait ici, ce continent étant très peu visité et peu connu en dehors des légendes qui couraient sur son compte. Cependant, même s’ils avaient déjà dû affronter maints périls et frôler de peu la mort en quelques occasions, d’un autre côté, une impression sourde grandissait lentement en eux : ils se sentaient malgré tout comme bénéficiant d’une sorte de protection invisible, car à bien réfléchir, aucun d’eux autrement n’aurait dû logiquement se retrouver vivant encore aujourd’hui. Leur cas relevait presque du miracle, si l’on cumulait toutes leurs péripéties et leurs dangereux déboires. Alors, dans cet état d’esprit grandissant, ils apprenaient à faire confiance dans la vie, à se dire que leur destinée devait bien avoir un sens, une finalité particulière, et que celle-ci apparemment ne devait pas se terminer demain, ni même après-demain. Donc, ils retrouveraient bien à un moment donné, ne serait-ce qu’au tout dernier moment avant de succomber, de quoi boire à nouveau. Ils espéraient cependant que ce serait cette fois avant de ressentir les affres de la soif et de la faim. Mais pour cet aspect particulier, ils ne disposaient d’aucune sensation ni information. Leur seule presque certitude, à tous les quatre, d’une manière ou d’une autre, était qu’ils ne mourraient pas de sitôt. Ils ne pouvaient ni décrire vraiment ni expliquer d’où cela leur venait.

Alors que la chaleur croissait et que le paysage se montrait toujours aussi monotone entre rochers, terre sablonneuse, sable et quelques végétaux de faible taille dispersés ici et là, le groupe tendait à fonctionner sur un mode de plus en plus silencieux. Il était concentré sur les environs immédiats pour plus facilement en déceler à temps les éventuels pièges et les animaux les plus dangereux. Ceux-ci tendaient ici à se camoufler plus ou moins totalement dans le sol généralement meuble lorsqu’il ne s’agissait pas de rocs, puis à surgir soudainement pour piquer, mordre ou déchirer leur proie en diverses parties du corps, selon l’espèce assaillante.

L’endroit apparaissait comme une vaste plaine côtière balayée par les vents, avec de temps en temps quelques vagues collines peu élevées, comme celle qui se trouvait près de l’oasis quittée depuis peu. En général, leur vue portait à grande distance et les détails finissaient par se perdre, par se transformer d’abord en minuscules points, puis à se mêler près de l’horizon en une peinture uniforme aux tons clairs ocres ou verdâtres, à peine distinguée du ciel très pâle à proximité du sol, même si le premier pouvait arborer un bleu intense près du zénith.

La marche du quatuor avait beau être d’un rythme relativement soutenu et plutôt rapide, fort de sa fraîche régénération, dans cette vaste contrée elle avait l’allure d’un lent défilé mortuaire, le moine en tête, suivi de la cristallière, puis du voleur et finalement du chasseur. Au contact du sol, le pas des quatre Véliens pouvait encore se traduire par une sourde vibration, perceptible par les animaux de la steppe, au moins les plus proches, mais depuis le ciel, la musique qui émanait d’eux ne pouvait se percevoir que de manière beaucoup plus subtile. Comme quatre frères et sœurs à l’unisson, ils engendraient un chœur de consciences visant le même but, celui d’atteindre cet encore hypothétique Tétralogue, animées par un puissant respect mutuel, par une amitié soudée grâce à la proximité de la mort en maintes occasions. Et maintenant, en leur for intérieur, ils chantaient la vie qui les accueillait encore dans cette dense et lourde dimension, un monde à la fois doux et dur, généreux et cruel qui leur réserverait sans doute encore quelques surprises, bonnes ou mauvaises. Mais même dans les pires circonstances, ils se relevaient et grandissaient, apprenant patiemment les leçons qui s’offraient à eux. Que leur réserverait la suite ? Ils l’ignoraient, mais ne s’en inquiétaient désormais que très peu, étant bien davantage concentrés sur ce qu’ils faisaient sur le moment dans le lieu précis où ils se trouvaient. Même le voleur avait fini par oublier les pièges potentiels de la Cité de cristal. Il verrait bien le moment venu.

La steppe semblait ne plus en finir dans ce vaste continent qui pourtant n’était que le second en superficie après celui où les aventuriers résidaient. La taille même de la planète y était bien sûr pour quelque chose. Pour ceux habitués aux planètes telluriques habituellement assez nettement plus petites, elle paraissait immense, avec un horizon à perte de vue. C’était encore plus impressionnant lorsqu’on se trouvait au sommet d’un pic bordant une région de plaines. Et vus du ciel, les quatre compagnons apparaissaient comme de minuscules points à peine discernables et au mouvement tout juste perceptible. Leur progression ne rencontrait pourtant pas d’obstacles majeurs, peut-être parce que l’odeur du sang les couvrait encore ou bien parce que leur détermination renforcée leur procurait comme un subtil bouclier qui maintiendrait à distance tout animal affamé. C’était le genre d’hypothèses qui à l’occasion traversaient rapidement leur champ de pensées, alors que leur attention était majoritairement tournée vers l’extérieur et ses toujours possibles dangers. Celles-ci s’évanouissaient aussi vite qu’elles surgissaient, laissant peu de traces dans leur mémoire, tellement elles étaient ténues ou dénuées de fondements concrets qui auraient pu les appuyer. Leur esprit, par influence subtile, par un étrange phénomène de résonance symbiotique, tendait à se calquer sur celui du moine depuis qu’il avait acquis l’assurance, l’équilibre et la sagesse d’un maître, comme si celui-ci entraînait ses compagnons même sur le plan de la conscience et pas seulement dans l’aventure concrète. Aussi, leur mental se trouvait maintenant le plus souvent presque aussi calme que celui du moine, relativement exempt de vagues, vide de pensées précises, mais étrangement de plus en plus réceptif à des images ou à des impressions qui provenaient d’ailleurs, d’ils ne savaient où. Leur état intérieur n’était plus un obstacle à la perception fine des informations concernant l’environnement, et particulièrement à celles qui concernaient d’imminents dangers lorsque ces derniers pouvaient survenir. Et donc aussi longue et monotone que fût leur route pour parvenir en vue de la Cité de cristal, elle ne se révéla guère dangereuse dans les faits, car même la soif et la faim ne les tiraillèrent plus. En effet et alors qu’ils progressaient en direction de la ville maudite, leur plus grande acuité perceptive leur permettait étrangement aussi de se diriger spontanément vers les oasis et vers les troupeaux de buldorgs qui se trouvaient dans les environs. Peu importe, la rareté de ces derniers, ils tombaient immanquablement dessus avant de se trouver déshydratés ou en manque d’énergie chimique d’origine alimentaire. Certains observateurs auraient peut-être pu interpréter ceci en termes de chance, d’autres de Providence, mais la réalité était qu’ils le devaient surtout à l’expansion de leur conscience sous l’impulsion ou le caractère entraînant du moine. Depuis que ce dernier avait consolidé ses aptitudes et éliminés presque totalement les causes de son étourderie légendaire, l’énergie subtile le pénétrait non seulement en quantité décuplée, mais il pouvait de plus la mobiliser de manière nettement plus efficace, au service de ses compagnons comme de l’action nécessaire sur le moment. Le carnage effectué récemment contre les prédateurs en était un exemple. Aucune haine ne l’avait alors animé. Aucune colère, pas la moindre once d’émotion… Son mental avait été aussi calme que la surface d’un étang par absence totale de vent et lorsque ses poissons et autres occupants dormaient. Non, rien de tout ça ne l’avait troublé ni parcouru. Seule la neutre impulsion de l’action nécessaire, pour lui et pour ses compagnons, pour la poursuite de leur quête commune. Est-ce qu’une telle mission valait un tel carnage, combien même il ne s’agissait que d’animaux et non de Véliens ? Pour l’instant, le quatuor ne se posait pas la question. Sa priorité était de sortir vivant de la steppe qui par endroits se muait en désert et face à cet impératif, la vie animale ne pesait pas lourd.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 36)