Le Tétralogue — Roman — Chapitre 34

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
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Par Joseph Stroberg

​34 — Les survivants

Maintenant que le voleur et la cristallière avaient repris quelques forces, le trio devait reprendre la route pour aller chercher le chasseur. Ils se mirent donc en marche à allure modérée en direction de la déclivité qui menait à l’oasis. L’humeur n’était toujours pas à la conversation et il leur valait mieux de toute manière ménager à la fois le peu d’eau et d’énergie récupérées grâce à la viande absorbée. Même s’ils faisaient preuve du plus absolu mutisme, ils étaient suffisamment conscients de leur état pour éviter d’aggraver celui-ci inconsidérément. Ils avaient frôlé la mort à maintes reprises depuis le début de cette quête presque insensée, mais ils n’avaient pas l’intention d’abandonner et encore moins de mourir stupidement avant sa fin. Ni le voleur, ni le moine, ni la cristallière, ni même le chasseur là-bas, plus loin, ne souhaitaient abandonner, surtout pas maintenant, après avoir traversé tous ces périls. Autant ils se sentaient encore faibles physiquement, autant leur détermination était plus forte que jamais, même si leur moral se situait quelque part entre les deux.

La journée était maintenant plus avancée et Matronix s’approchait de l’horizon pendant que Dévonia s’élevait encore. Le reste de l’environnement n’avait lui guère changé si l’on excluait le mouvement des petits animaux de la steppe. Les plus gros d’entre eux demeuraient hors de vue. S’enterraient-ils aussi pendant la journée, comme venaient de le faire Jiliern et Gnomil ? Afin de demeurer plus vigilant et d’éviter de nouvelles déconvenues, Tulvarn s’efforça d’écarter la question et de ne pas en chercher de réponses. Il recentra rapidement son attention sur la marche et l’entourage immédiat, les sens aux aguets pour éviter tant que faire se pouvait de nouvelles mauvaises surprises. Ce faisant, il apprenait aussi à s’harmoniser davantage avec la nature, à ressentir un lien d’amour avec elle et la planète qui la supportait. Il s’y sentait comme une infime partie, petit point bleu à la surface d’un sol semi-désertique parsemé de quelques îlots de verdure. Néanmoins, il parvenait maintenant beaucoup mieux à maintenir sa focalisation sur les nécessités du moment et du lieu plutôt que de laisser errer son imagination et sa pensée ailleurs. Ainsi, il ne se posa même pas la question de savoir si sa récente expérience sur un autre plan d’existence pouvait en être au moins une cause partielle ou un facteur d’amélioration. Il ne s’interrogea pas davantage sur l’invraisemblance statistique du fait de s’être retrouvé, contre toute attente, exactement à l’endroit où se cachaient ses deux amis. Il aurait alors pu intuitivement obtenir la confirmation que son séjour dans cet étrange autre monde entraperçu lors de son rêve initial l’avait transformé, subtilement, mais indéniablement, au point de le rendre sensible maintenant à ce que ses autres sens ne pourraient jamais percevoir et d’avoir stabilisé sa dimension mentale de manière quasi définitive. Plus exactement, il avait consolidé, harmonisé et ancré ce qu’il savait déjà faire auparavant, mais de manière alors trop souvent brouillonne, comme cette aptitude à combattre plus efficacement lorsqu’il avait les yeux bandés. Il ne le savait pas encore, mais il ne se montrerait désormais plus jamais maladroit. Le moine guerrier était lui-même devenu un maître, sans même en avoir pris pour l’instant conscience. Son énergie subtile et sa volonté lui avaient permis de sauver ses trois amis et de se sauver lui-même, du moins pour ce qui était de leur séjour dans la densité matérielle. Mais de tout cela, il ne s’occupait présentement pas, concentré qu’il était sur sa marche et ce qui l’entourait immédiatement, à l’écoute des signaux subtils en provenance des végétaux, du monde animal et de la planète elle-même. Ceci ne le transformait pas pour autant en « super Vélien », en espèce de mage prodigieux qui aurait pu accomplir d’innombrables prodiges, car telle n’était pas sa vocation, ni sa destinée, ni même ce qu’il était en mesure de réaliser en tant que maître fraîchement émoulu. Un « maître », moine guerrier ou d’un autre ordre, n’était pas quelqu’un qui était arrivé au bout du chemin de la vie incarnée, mais qui avait seulement atteint un certain niveau de maîtrise de sa nature physique, émotionnelle, mentale et spirituelle. Il avait dompté sa personnalité et son corps de manière similaire à ce qu’un animalier parvenait à obtenir d’un prédateur sauvage. Même s’il pouvait l’ignorer au niveau de sa conscience de veille, Tulvarn avait tiré profit des diverses mésaventures de sa quête pour consolider, améliorer, renforcer… ses acquis antérieurs, pour vérifier, tester, mettre à l’épreuve la compréhension qu’il avait pu acquérir des leçons de la vie. Pour autant, son travail n’était pas terminé. Il devait maintenant utiliser ses ressources pour terminer sa mission, ce travail dont le but demeurait pour l’instant caché quelque part dans sa conscience. Il savait seulement qu’il devait dans un premier temps trouver le Tétralogue.

À côté du moine guerrier, Jiliern se sentait encore trop faible pour même songer à ses œufs et à leur état. Elle saurait bien assez tôt s’ils avaient survécu ou si la malnutrition en avait avorté le développement. Tout ce qui effleurait son esprit était la nécessité de suivre Tulvarn et de ne pas dévier du chemin tracé par ses pas. Elle ignorait pour l’instant que ce chemin n’était pas seulement physique, mais comportait lui aussi une dimension inaccessible à ses sens, même à celui qui lui permettait de découvrir des cristaux dans l’obscurité. Sa préoccupation immédiate était essentiellement celle de sa survie et de celle de ses compagnons. Même le but de leur aventure était en dehors de son champ présentement restreint de perception et de préoccupations. Elle se sentait trop faible pour même avoir autre chose que de vagues images mentales lui traversant occasionnellement l’esprit ou même pour se permettre d’être assaillie par des émotions. Sa maigre mesure de vitalité était réservée presque entièrement à la présente marche silencieuse dans cette steppe qui semblait sans fin.

Gnomil, de constitution plus frêle, avait comparativement davantage récupéré, car son corps ne réclamait pas autant de nutriments que celui de ses compagnons, et même que celui de la cristallière, d’autant plus que celui de cette dernière devait aussi alimenter quatre œufs en formation. Aussi, il songeait déjà à la manière dont ils pourraient pénétrer dans la cité de Cristal et à quels genres de défenses ils auraient à faire face. Quelles sortes de pièges risquaient-ils d’y rencontrer ? Qu’est-ce qui pouvait faire en sorte que jamais personne n’en était revenu ? Néanmoins, même si sa curiosité et son imagination demeuraient vives malgré sa faiblesse physique relative, il restait sur sa faim de réponses, aussi puissante que celle de son corps pour davantage de chair fraîche.

Après encore une bonne heure de marche, le trio finit enfin par rejoindre le chasseur. Celui-ci dormait comme un serpent repu se dorant au soleil. Pourtant, il était loin de l’être, ayant à peine récupéré de quoi se maintenir en vie moins d’une journée de plus. Le moine le laissa dormir et s’empressa d’aller découper quatre nouvelles tranches de viande sur la carcasse entamée avant qu’elle ne devienne trop rigide. Un coup de sabre pour chacune y suffit, puis il tapa dessus avec ses poings pour attendrir quelque peu la chair avant d’offrir les deux premières à la cristallière et au voleur et de réveiller le chasseur pour lui montrer la troisième. Enfin, il s’assit les jambes croisées avant de se mettre lui-même à manger.

Le quatuor demeura silencieux pour prendre le temps de savourer ce repas alors perçu comme presque royal.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 35)