Le piège de l’écriture

Par Joseph Stroberg

« Le progrès n’est possible que par l’accroissement de la connaissance ; or, celle-ci est le travail de la conscience et du jugement, non de l’instinct. La marche du Progrès est caractérisée par l’élargissement de la conscience et la restriction de l’inconscient ; par l’affermissement de la volonté et l’affaiblissement des impulsions ; par l’augmentation de l’auto-responsabilité et par la suppression de l’égoïsme affranchi d’égards. Celui qui fait de l’instinct le maître de l’homme ne veut pas la liberté, mais l’esclavage le plus abject, l’asservissement de la raison de l’individu… Retour en arrière, rechute, c’est là au fond, l’idéal réel de cette bande qui à l’audace de parler de liberté et de progrès. Elle veut être l’avenir. C’est là une de ses principales prétentions. C’est là un des moyens à l’aide desquels elle attrape la plupart des nigauds. Mais nous avons vu dans tous les cas que, loin d’être l’avenir, elle est le passé… ».

Dégénérescence, de Max Nordau, pages 169 et 170.

Depuis le siècle des prétendues « Lumières », l’Humanité s’est mise à croire que le « progrès » était synonyme d’augmentation de la technologie, de complexification des machines, de découvertes scientifiques, de multiplication des règles, règlements, lois et normes, et d’apparition de nouveaux mots et de nouveaux moyens d’écrire… Tout cela serait peut-être justifié si l’Homme lui-même était une machine, ou simplement asservi à des instincts le portant à réagir de manière automatique aux diverses situations vécues. Et encore, c’est oublier que la matière abandonnée à elle-même est soumise à la loi d’entropie et vouée finalement au chaos(([1] voir La loi de dégradation ou d’augmentation du désordre et du chaos)). Cependant, l’être humain est aussi doté d’un esprit, et d’une conscience.

Si dans une perspective purement matérialiste, l’Humanité a progressé depuis au moins la Révolution française, dans une perspective spirituelle ou intérieure, les critères de progrès et d’évolution sont d’une autre nature. L’esprit devient plus lucide, intelligent et sage au fur et à mesure que la conscience s’épanouit et devient apte à appréhender et même à organiser des réalités aussi bien matérielles que conceptuelles de plus en plus complexes, ceci de manière de plus en plus juste, précise, efficace, belle et bonne. Le Bouddha Gautama a traduit un tel processus évolutif dans son noble sentier octuple au terme duquel l’individu démontre les aptitudes suivantes : parole juste, action juste, moyens d’existence justes, effort ou persévérance juste, attention juste (pleine conscience ou prise de conscience juste), vision juste (ou compréhension juste), pensée juste (ou discernement juste) et établissement de l’être dans l’éveil.

Si l’Homme n’est pas un simple robot ou ravalé au rang de machine esclave de ses instincts et de ses maîtres, mais un être doté d’une conscience, alors son progrès ne se mesure pas par les prouesses technologiques réalisées, mais par la valeur des actions menées dans l’optique d’un épanouissement de la conscience individuelle et collective, ce qui inclut non seulement l’entendement croissant de soi-même, du monde et de la vie en général, mais aussi le développement et l’expression de la conscience morale et du sens des responsabilités.

Incarné dans un corps de chair et de sang, l’esprit de l’Homme pourra chercher les solutions faciles, souvent matérielles et immédiates, au détriment d’autres solutions qui nécessitent persévérance, effort et volonté et qui pourraient finalement l’amener à des résultats voisins sans le moindre artifice matériel. Ainsi et par exemple, s’il est apparemment plus facile à l’être humain de se vêtir de peaux animales, de fourrures ou de vêtements tissés pour résister à l’hiver de certains climats terrestres ou au froid des hauteurs, certains individus ont pu démontrer une capacité étonnante à rester sur la neige sans de telles protections thermiques, ceci au moins pendant quelques heures. De même, au lieu de tout écrire pour se remémorer les choses ou quoi faire le lendemain, d’autres individus ont développé une mémoire photographique précise qui leur permet d’éviter agendas et carnets de notes. Également encore, certains sourciers trouvent le débit et la profondeur de sources d’eau à l’aide d’un simple pendule ou d’une baguette de sourcier alors que des techniciens auront besoin dans le même temps de machines spéciales pour y parvenir. Le corps humain semble disposer d’un vaste potentiel, même si dans la pratique, seulement une petite partie est actuellement utilisée. Et c’est là que réside probablement le nœud du problème, car il est connu médicalement qu’un muscle inutilisé tend à s’atrophier, comme ont pu le constater tous ceux qui se sont retrouvés un jour avec une jambe ou un bras dans le plâtre.

Plus l’Homme utilise la facilité matérielle immédiate au lieu de chercher à développer, redécouvrir ou utiliser son potentiel naturel pour aboutir seul au même résultat ou même à un qui se révélerait supérieur, et plus il s’emprisonne dans la matière, en devient dépendant et périclite, y compris sur le plan de la conscience. Lorsqu’il abuse de l’écriture, il perd progressivement et inéluctablement sa mémoire. Plus il utilise des machines à calculer, et plus il perd ses facultés de visualisation et de calcul mental. Plus il utilise de smartphones et plus il réduit son potentiel de communication télépathique et sa capacité à sentir ou à percevoir les autres à distance. Dans le même temps, il devient de plus en plus dépendant, voire esclave ou drogué de ces intermédiaires mécaniques ou électroniques.

En particulier, si l’écriture a semblé être propice au développement de ce que l’on a appelé la « civilisation », on a trop vite confondu cette notion avec celle de progrès matériel (plus de confort et de facilités) ou technologique. Mais celle-ci s’est assez rapidement traduite comme un moyen d’asservissement implacable par le biais d’une myriade de textes de lois, de règlements et de normes administratives et techniques en tous genres. L’organisation sociale elle-même s’est vue figée par le biais des « constitutions » étatiques ou gouvernementales, figées pour les peuples ainsi contraints et limités, mais pas pour les élites dirigeantes qui s’estiment au-dessus des lois.

L’écriture en général, et une « constitution » en particulier, de même que tout texte juridique, législatif ou administratif se révèlent représenter un piège implacable, l’assurance d’une cristallisation croissante de la société et des individus qui la composent, de même que celle de sa décomposition accélérée, sous l’effet de la loi d’entropie et du matérialisme qui amènent la corruption de la matière et du cœur des Hommes. L’écriture des dix commandements sur des tablettes n’a pas empêché les individus de l’époque et du lieu concernés de se livrer à la débauche et à l’idolâtrie.

Le défi de l’être humain en incarnation est de parvenir à un entendement et une organisation croissante, sans cesse plus belle, plus juste et meilleure de la collectivité et du monde tout en évitant la facilité des machines et des autres moyens corrupteurs tels que l’argent, mais en faisant appel de plus en plus à ses facultés intérieures, au besoin en les redécouvrant et en les développant. Tout existe déjà dans l’Homme et dans la nature, y compris en termes de réparation et de santé, sans qu’il soit indispensable d’utiliser des machines. Celles-ci ne devraient être raisonnablement utilisées que modérément, dans un esprit de partage, et en attendant la redécouverte de nos facultés. Ces dernières ne sont pas de simples vues de l’esprit et ont été démontrées au cours de l’Histoire par de nombreux saints et certains mages. Le Christ lui-même avait mentionné que nous pourrions même accomplir plus de choses que lui si seulement nous avions la foi. Plusieurs saints ont lévité. D’autres sont parvenus à marcher plusieurs centaines de mètres avec leur tête tranchée. D’autres encore se sont manifestés à plusieurs endroits simultanément (ubiquité). Etc.

Nous n’avons pas besoin de téléphones stupides, d’ordinateurs, ni de machines pour vivre, comme le démontrent d’ailleurs encore les amish. Oh, bien sûr leur vie est bien moins « confortable » que la nôtre, au moins tant qu’ils ne cherchent pas à puiser dans leur potentiel inné et spirituel. Sont-ils moins heureux pour autant ? En plus mauvaise santé que nous le sommes ? Apparemment non. Le Nouvel Ordre Mondial tomberait instantanément si nous renoncions aux facilités modernes et retrouvions une vie de proximité, dans le cadre de villages ou, au pire, de petites quartiers citadins plus autonomes en attendant un retour à la vie rurale et proche de la nature. Mais ses prometteurs ont au contraire prévu de nous parquer dans les villes sous contrôle des machines via notamment la 5G et le prétendu Internet des objets qui sera un réseau de transhumains mi-hommes, mi-machines couplés à des réfrigérateurs, congélateurs, fours, aspirateurs, téléviseurs et grille-pain. Et pendant ce temps, ils s’approprieront les campagnes et les vastes terres du monde.

Le Nouvel Ordre Mondial cristallisé qui repose sur l’écriture sera probablement détruit par la Parole, le Son, la Conscience(([2] voir aussi La clef de la libération)), mais ne pourra pas l’être par un changement des textes, des structures et des institutions, car ceux-ci font déjà partie de lui et de son proche avenir, parce qu’il sont de même nature, depuis des centaines, et même des milliers d’années. Ce n’est pas juste une révolution matérielle dont l’Humanité a besoin, mais d’une révolution dans la manière de voir et de vivre le monde. Ce n’est qu’à cette seule condition que l’Humanité sortira de l’enfer actuel.