La condition de l’homme différencié dans le totalitarisme postmoderne occidental

[Source : telegra.ph]

Par Raphael Machado

La fin de la guerre froide a été proclamée par les hérauts du Nouvel Ordre Mondial triomphant comme l’aube de la liberté humaine, l’Humanité marchant unie vers une utopie. Tel était le ton de l’optimisme pseudo-messianique de penseurs atlantistes comme Francis Fukuyama.

Au cours des dernières décennies, cependant, nous avons vu la planète glisser vers l’arrangement le plus totalitaire jamais vu sur la surface de la Terre.

Comme le décrit le philosophe Alexandre Douguine, privé de rivaux, le libéralisme se dilue et se confond avec la réalité objective elle-même. Tout ce qui est idéologique cesse d’être perçu comme tel par simple absence de choix. Si l’on ne connaît que le libéralisme, ce n’est pas un « isme », mais simplement la science, la réalité, la vérité.

Mais ce qui est peut-être le plus dangereux, c’est que dans la mesure où, en raison de ses racines illuministes et universalistes, le libéralisme a prétendu parler au nom de l’Humanité, il a abouti à l’exclusion de la « sphère humaine » de tous ceux qui rejettent le libéralisme. Le libéralisme s’étant étendu à la quasi-totalité de la planète, cela signifie que sur le plan horizontal, géographique, il n’y a plus de refuge, plus d’endroit où fuir.

Il ne reste que le plan vertical, intérieur.

Il convient ici de rappeler le concept d’« homme différencié » qui apparaît dans les œuvres ultérieures de Julius Evola, en particulier dans Chevaucher le tigre. L’« homme différencié » est un personnage qui, au milieu du monde moderne, reste absolument détaché, qui n’est pas émotionnellement affecté par les événements et les phénomènes de ce monde, même s’il continue à y participer. Evola applique le terme « apoliteia1 » au type de relation que l’homme différencié établit avec la communauté.

Il est essentiel de souligner que, contrairement à une interprétation populaire, cet apolitisme de l’homme différencié n’est pas une position anti-politique ou post-politique au sens post-moderne du terme. L’homme différencié adopte la position apolitique lorsque les conditions objectives sont défavorables à un engagement pratique dans la restauration de l’État traditionnel.

En ce sens, l’apolitisme est une parenthèse dans l’existence du « traditionaliste radical ». C’est la période pendant laquelle il s’engage dans une guerre intérieure, dans la formation d’une élite et dans la préparation de ses propres forces en attendant l’arrivée du kairos2 précis.

Il est également important de souligner qu’une interprétation rigoureuse du texte d’Evolian montre que le Baron ne critique pas l’engagement politique lui-même dans les conditions défavorables du monde contemporain. Mais cet engagement doit être mené précisément avec le détachement intérieur qui caractérise l’« homme différencié ».

Ce jugement sur l’existence ou l’inexistence des conditions objectives des mouvements révolutionnaires pour restaurer la Tradition n’est pas porté à l’échelle mondiale, mais varie selon les pays, de sorte que seule l’« avant-garde », l’« aristocratie spirituelle » de chaque nation peut dire si ces conditions existent ou non, et quelle est la portée de l’action.

En ce sens, nous commentons ici plus particulièrement les pays occidentaux ou sous forte influence occidentale, où les conditions objectives de restauration de la Tradition sont les plus faibles et où, par conséquent, la méthodologie de guerre à appliquer (pour ceux qui ne se contentent pas du seul salut individuel) est indirecte, plus proche de la guérilla.

En fait, l’élément le plus révélateur de l’absence de conditions objectives est le niveau de contrôle atteint par les forces synarchiques, qui est bien supérieur à celui de n’importe quelle dictature du XXe siècle, tant en étendue qu’en profondeur. Les méthodes de surveillance et de contrôle, au niveau collectif et individuel, sont sans précédent. Mais un niveau de contrôle encore plus important a été atteint par l’enrégimentation totale du corps humain.

Avec la popularisation de toutes sortes de chirurgies esthétiques, de la maternité de substitution et des chirurgies de réassignation sexuelle, la barrière du corps humain a déjà été prise d’assaut par le turbo-capitalisme. Le corps humain est devenu une marchandise parmi d’autres, qui peut être fractionnée et dont les parties sont interchangeables. La relativisation du corps et sa transformation en marchandise ont facilité son contrôle par la classe dominante, de même que la mise sur le marché de tous les biens, autrefois « communs » ou indisponibles, en insérant le bien dans les rapports de production, le livre immédiatement au contrôle de la classe qui possède le Capital.

En même temps, comme l’avait prédit Jünger, il n’y a nulle part où s’échapper sur le plan horizontal. Il n’y a pratiquement aucune partie du monde sans McDonald’s. Et bien que le degré d’avancement du Kali Yuga3, c’est-à-dire des forces dégénératives et anti-humaines, varie et qu’il y ait des forces organisées naissantes dans certaines parties du monde, dans les pays d’Amérique du Nord, d’Europe et même dans la majeure partie de l’Amérique latine, les conditions sont extrêmement défavorables.

Ce qui est nécessaire à l’heure actuelle, c’est un approfondissement de la position apolitique, élargie au niveau biologique. Nous parlons ici d’une sorte de bioapolitisme.

L’homme différencié, ici, soit nie absolument toute ingérence extérieure dans son corps (ce qui n’est généralement possible que dans quelques pays ou dans des conditions de clandestinité absolue), soit, plus vraisemblablement, adopte une position de « cavalier seul ».

L’idée de « chevaucher le tigre » ne doit pas être confondue avec l’apolitisme ou la démarche forestière jüngerienne. Au contraire, il s’agit d’utiliser les instruments et les mécanismes de la décadence contre l’ordre moribond lui-même, en le poussant vers son effondrement. L’idée est de « tenir bon » pendant que la bête se débat dans sa crise. Au lieu de l’intransigeance, qui peut détruire le kshatriya4 dans la postmodernité, il faut agir là où il y a une brèche, prendre les meilleures décisions possibles pour soi et pour la cause en fonction des conditions objectives, éviter sa propre persécution et sa propre destruction par la dissimulation même, dans le même sens que la « taqiyya5 » musulmane.

En ce qui concerne la tyrannie biopolitique, il s’agit évidemment d’utiliser les lacunes des règlements sanitaires à son propre avantage. S’il est nécessaire de manipuler des informations et des documents, qu’il en soit ainsi. S’il n’est pas possible d’éviter les « potions magiques », il faut faire un choix éclairé (c’est-à-dire qui ne manipule pas l’ARN) et prendre les mesures de réduction des risques qui sont déjà largement répandues.

Pour ceux d’entre nous qui vivent sur un territoire occupé par l’ennemi, la priorité fondamentale est de veiller à ce que le combat se poursuive jusqu’à la victoire, même si nous devons recourir à toutes les astuces possibles et imaginables à notre disposition.

Raphael Machado est analyste politique, président de l’organisation « Nova Resistência », Brésil.