La belle et les truands

Par Lucien Samir Oulahbib

— Oh tu m’agaces à la fin ! Je t’ai dit que c’est fini ! J’en ai marre de toi et tes changements de veste tu avais juré que cette histoire de « passe » c’était oublié et voilà que je vais être obligé de me faire ramoner le nez à chaque entrée au resto !
— Mais chérie !…
— Ne m’appelle plus comme ça !
— Chérie chérie ! C’est juste une façon de parler…
— Même ! Elle se leva courroucée, plus belle encore que jamais, une taille de guêpe, et une morgue si seyante, un faux air aussi, si nonchalant d’actrice française des années 70 à vouloir se lover en elle pour l’éternité. V se mordit la lèvre jusqu’au sang tant il la voulait là maintenant comme J.C le faisait à même le bureau autrefois…
— Je vais être en retard… Tu me déçois V, tu m’as toujours déçu…
— Ce n’est pas avec ta petite paye de parlementaire que tu vas pouvoir tenir ton train de vie, reviens !
— Je rêve ! Et toi donc ?
— Moi ?… Avec ce passe voté jusqu’à fin juillet (et sa prolongation ensuite) j’ai eu les avances nécessaires bien au chaud pour dormir tranquille quand on va se faire jeter en avril… Si tu reviens, je te promets ton SPA perso dans cette résidence cossue près de Miami, tu sais…
— Ajaccio me suffirait…
— Ah ! Voilà… Il alla vers la fenêtre un brin soulagé quoique assombri lorsqu’il vit le père P hurler dans un crachoir que « nous sommes dans une dictature sanitaire », pff ! Pauvre tare ! Il alla vers elle prit son bras se serra, mais vivement S le repoussa lestement et s’enfuit…
— tu es en retard… Lui fit remarquer R (une montre de 12 000 € au poignet)
— C’est ce connard de V ! Il vient de me promettre un SPA et une villégiature ou je ne sais quoi à Miami…
— C’est un « relou » dirait M…
— Oh oui ! Ils s’esclaffèrent et R commanda un peu de caviar avec une Veuve Clicquot 1942… R prit la main de S et la serra très fort…
— Ne t’inquiète pas… Je sais qu’avril approche et que tu risques de ne pas être réélue, mais peu importe moi je suis là. Je t’aime si fort depuis le jour même où je t’ai vu derrière V à cette émission quand il se faisait allumer par cette journaliste de Présent. Tu étais si belle, attentionnée, sexy. Mon sang n’a fait qu’un tour, tu le sais…
— Cette émission était affreuse. J’ai vu sa limite. Cette journaliste avait raison en plus. Il dit n’importe quoi. Il ment comme il respire…
— C’est dans leur philosophie…
— J’en ai marre de lui et en plus il me tanne sans arrêt.
— T’inquiète… Et puis tiens, j’ai un cadeau pour toi… Il lui tend une enveloppe. Elle hésite, puis la prend, regarde et rougit…
— Mais… pourquoi ?… 2000 $ comme ça ?…
— Pour tes emplettes, demain, rue St Honoré, tu m’avais dit, non ? Mais comme je ne peux pas y aller avec toi, et puis « le cash c’est chic » tu sais…
— Tu ne m’achèterais pas un peu par hasard ?…
— Quoi ? Tu plaisantes j’espère ! Si je voulais t’acheter ce ne serait pas avec un vulgaire SPA à Miami tu le sais bien… Bon… Partons, le jet attend pour Hawaï, je te dépose…
— Ils sortent du restaurant. Il fait bon. S et R sont main dans la main, puissants, beaux…
— W les regarde, planqué dans une bagnole banalisée et hurle dans un phone : « c’est bon les gars, vous pouvez y aller »…
— À ces mots, une bande de malfrats déboule, bouscule le couple. L’un d’entre eux s’empare de la Rolex comme s’il savait depuis toujours qu’elle l’attendait. Un autre (ou plutôt une autre) arrache le sac de S et tout ce beau monde s’enfuit en scooter, ni vu ni connu.
— W sourit, il téléphone et dit : « C’est fait Monsieur, vous l’avez votre revanche ».
— Bien joué les gars !…
— Et la remise de peine ? Il y avait aussi cela dans la balance…
— Ne vous inquiétez pas.
— Oh ! vous savez, nous n’avons aucun sentiment d’insécurité avec vous…
— Ah ! Ah ! Merci encore !
— Tchao tchao !
— Au loin des sirènes hasardeuses tentent de dépoussiérer leur molle stridence de pantoufles fatiguées… En vain.

Toute ressemblance avec une actualité brûlante ne serait qu’une pure coïncidence.