Effets de l’art moderne

Par Joseph Stroberg

Si l’on définit l’art comme la matérialisation, la manifestation, la représentation ou l’expression d’un ensemble de sensations, d’émotions ou de sentiments et comme un moyen de les faire rejaillir, il existe alors une relation étroite entre l’art d’une civilisation et la vie sensorielle, émotionnelle et sentimentale des individus qui la composent. Autrement dit, en étudiant les différentes formes d’art d’une civilisation, on peut connaître en particulier les émotions et les sentiments qui y dominent et l’influencent. On pourra notamment savoir si ceux-ci favorisent l’élévation des âmes ou au contraire leur descente dans le matérialisme. De ce point de vue, qu’en est-il de l’époque moderne ?

Pour connaître l’influence psychique et éventuellement spirituelle de nos arts, il est nécessaire d’établir un inventaire au moins succinct de leurs formes les plus courantes et surtout de celles avec lesquelles les individus sont le plus souvent en contact, et ceci sur une période de quelques décennies si l’on souhaite de surcroît déterminer une tendance. Pour plus de clarté, il est sans doute préférable de procéder par type d’art, en fonction notamment des sens impliqués dans la perception des œuvres ou des créations correspondantes. Pour simplifier l’exposé, on peut s’en tenir seulement à une partie de ces types, ceux qui ont le plus d’influence, surtout auprès de la jeunesse qui représente l’avenir de la civilisation.

Depuis environ un siècle, les arts peuvent être répartis dans les groupes suivants :

  • l’architecture ;
  • la sculpture (et la poterie, etc.) ;
  • les arts graphiques (peinture, dessin, bande dessinée…);
  • la musique ;
  • la littérature (poésie, romans…) ;
  • les arts de la scène ou gestuels (danse, théâtre, mime, cirque…) ;
  • les arts télévisuels (cinéma, téléfilms…) ;
  • les arts culinaires.
  • On pourrait éventuellement ajouter les arts martiaux, mais ceux-ci sont devenus bien davantage des sports ou des moyens de combat que des arts qui intégraient originellement des dimensions morales et spirituelles.

De nos jours, les arts dominants ou qui semblent avoir le plus d’impact en termes d’attention et d’influence sont probablement maintenant le cinéma, la musique et les arts gestuels, suivis des arts graphiques et des arts culinaires, puis de la littérature. Et les jeunes sont particulièrement attirés par le cinéma, la musique et la danse. Quelle peut être la cause d’un tel attrait ? Il est possible d’en avoir une idée plus précise déterminant ce qui caractérise ces arts particuliers par rapport aux autres.

Les formes d’art ayant le moins de succès sont la sculpture et l’architecture. Leur particularité est la longévité. Les œuvres architecturales et sculpturales sont en principes faites pour durer, sauf lorsqu’elles s’expriment sur des matériaux tels que le sable et la glace. Et il se trouve justement que les sculptures et les constructions architecturales qui de nos jours marquent le plus les individus sont les plus éphémères, telles que les hôtels de glace et les châteaux de sable ! De même, dans les arts graphiques, ceux qui tendent à produire une forte impression sont ceux qui utilisent un support d’expression temporaire, comme des grains colorés pour créer des mandalas qui ensuite seront détruits par le vent. La danse elle-même est éphémère, puisqu’elle ne dure que le temps de son expression. De même pour la musique et les arts culinaires.

Cependant, l’ère moderne nous permet en quelque sorte de tricher et de rendre l’éphémère presque éternel (ou au moins d’en accroître considérablement la durée) par le biais d’enregistrements sonores, vidéo ou écrits. Et le cinéma est basé sur de tels enregistrements. Pour autant, un enregistrement n’est jamais l’original. Le souvenir d’un événement n’est pas l’événement lui-même. La photographie d’un paysage n’est pas le paysage lui-même. Par contre, pendant ce temps, le monument architectural est toujours présent, et il se dégrade lentement au cours du temps. D’un instant à l’autre, il s’use, mais il s’agit toujours du même, de l’authentique original. Alors que le film, la photographie, l’enregistrement sonore… produisent l’illusion d’un éternel recommencement, peuvent donner l’impression de revivre encore et encore les mêmes émotions. Ce faisant, ils font perdre en cours de route l’authenticité originelle.

L’Homme moderne consomme l’art comme il consomme la nourriture et les différentes productions industrielles. Avide d’émotions, assoiffé de quantité, sous l’influence permanente de ses désirs insatiables, il se gave de photographies de lieux et de pièces architecturales, de tourisme, de musique, de spectacles en tous genres, de la même manière qu’il recourt aux sports extrêmes ou aux drogues. Il s’enivre de sensations et d’émotions multiples, les enregistre au besoin pour espérer plus tard les revivre. Mais il perd en profondeur et en qualité ce qu’il gagne en surface et en quantité.

Sous l’influence d’une société de plus en plus superficielle et matérialiste, de plus en plus chaotique et malade, le jeune naît au son des musiques qui la représentent le plus, des rythmes qui l’enfoncent dans la matière au lieu de l’élever, des sons dissonants qui le déstructurent au lieu de le consolider… S’identifiant à son corps, il veut danser encore et encore, suivre les rythmes infernaux de ces musiques et chansons modernes qui n’ont plus rien de sacré, obéir à ses instincts pour se croire libre… Oh ! Bien sûr, il y a des exceptions. Un nombre croissant de jeunes ne se laissent pas emporter par ce courant. Néanmoins, parmi ceux qui en sont victimes, il y en a qui ressentent de manière croissante le vide intérieur créé par ce type d’emportements. Et certains finissent malheureusement par ne plus le supporter et par se suicider.

Le cinéma, la musique et la danse modernes sont probablement de nos jours les principaux vecteurs de l’idéologie du Nouvel Ordre Mondial et des valeurs inversées que celui-ci colporte. L’image, le rythme et le son représentent pour lui d’excellents supports de manipulation mentale par le biais de l’univers émotionnel. L’effet en est décuplé par l’alcool et les drogues. Pour parvenir à un tel résultat, il était nécessaire d’éliminer des arts toute notion de « sacré ». Le Nouveau Monde ne naîtra pas avant d’avoir redécouvert cela. L’art n’aura alors probablement plus grand-chose en commun avec ses expressions actuelles.