Champignons et bactéries contre les polluants humains

Un champignon marin appelé « Parengyodontium Album » a un appétit pour les déchets plastiques et peut décomposer le plastique polyéthylène à hauteur de 0,05 % par jour (étude)

[Source : pacte-climat.eu]

Par L’équipe Pacte Climat — le 9 juin 2024

La pollution plastique marine est un problème environnemental et écologique à l’échelle mondiale depuis plusieurs décennies. Cette contamination s’étend de l’océan Atlantique aux champs de déchets de l’océan Indien et de l’océan Pacifique. Le problème des déchets plastiques affecte la vie aquatique et ses écosystèmes, qui sont fragiles face aux produits chimiques et autres contaminants provenant des matériaux plastiques en polyéthylène.

Étant donné que les plastiques ne peuvent pas être complètement éradiqués, les gouvernements ont mis en œuvre différentes mesures dans le passé, notamment l’interdiction du plastique à usage unique. Les scientifiques ont même fait appel à des agents pathogènes tels que des bactéries pour nous aider à décomposer les matières plastiques accumulées, tant sur terre que dans l’environnement marin. Aujourd’hui, des scientifiques néerlandais ont découvert un champignon marin mangeur de plastique capable de faire ce travail.

Pollution plastique des océans

La pollution plastique des océans est devenue une « crise mondiale » puisque des milliards de kilos de matières plastiques finissent dans des convergences tourbillonnantes qui représentent environ 40 % de la surface des océans de la planète, selon l’organisation Centre pour la diversité biologique. Touchant non seulement les humains, le problème de la pollution marine par les plastiques constitue une menace à la fois dangereuse et mortelle pour la faune, notamment les tortues de mer, les oiseaux de mer et les mammifères marins.

Au cours des années précédentes, des milliers de ces animaux seraient morts soit à cause de l’ingestion de plastique, soit à cause de ces matériaux. Le phoque moine d’Hawaï (Monachus schauinslandi) et la tortue caouanne du Pacifique (Caretta caretta) font partie des centaines d’espèces qui peuvent consommer par erreur des déchets plastiques et s’y coincer, selon ladite organisation.

Un champignon marin mange des déchets plastiques

À la lumière de la nouvelle étude, ledit champignon marin a été initialement découvert dans la zone de déchets du Pacifique Nord. Sur la base d’une étude récente, les chercheurs ont confirmé que l’espèce fongique, appelée Album Parengyodontie, peut décomposer le polyéthylène plastique 0,05% par jour. Les nouvelles découvertes de l’Institut royal néerlandais pour la recherche maritime (NIOZ) ont été publiées dans la revue Science de l’environnement total.

L’équipe de recherche néerlandaise est arrivée à sa conclusion en isolant des spécimens de P.album à partir de débris de plastique collectés dans le gyre subtropical du Pacifique Nord. Cependant, le champignon marin doit d’abord être exposé aux rayons ultraviolets du soleil avant de pouvoir s’agglutiner sur le plastique polyéthylène. Les résultats suggèrent également la possibilité que d’autres champignons mangeurs de plastique vivent dans les profondeurs de l’océan.

Dans un communiqué de presse du 3 juin, le NIOZ a déclaré que le champignon marin de l’océan Pacifique vit également avec d’autres microbes marins dans des couches de débris plastiques flottants. Les microbiologistes marins de l’organisation de recherche néerlandaise ont découvert des microbes dégradant le plastique dans des zones sensibles au plastique dans l’océan Pacifique Nord, où la lumière du soleil est nécessaire pour relancer la prolifération du plastique. P. albums appétit pour les déchets plastiques.

L’équipe de chercheurs impliquée dans l’étude s’attend à ce que d’autres champignons inconnus dégradent également les plastiques océaniques, mais n’ont pas encore été découverts. De plus, la découverte de microbes supplémentaires pourrait éventuellement contribuer au processus de dégradation du plastique à l’avenir.


Les bactéries mangeuses d’hydrocarbures accélèrent la consommation en remodelant les gouttelettes de pétrole

[Source : inp.cnrs.fr]

Par Jean-François Rupprecht et Jacques Fattaccioli — 21 août 2023

Les bactéries Alcanivorax1 prolifèrent à la suite de déversements d’hydrocarbures et contribuent à la dégradation du pétrole dans les océans. Dans une étude, publiée dans la revue Science, une collaboration de scientifiques a isolé des spécimens de bactéries Alcanivorax borkumensis en laboratoire, les a nourris de pétrole brut et a ensuite observé comment ils travaillaient ensemble pour manger le pétrole aussi rapidement et efficacement que possible. Cette découverte permet de mieux comprendre les processus de biodégradation des hydrocarbures déversés.

Amoco Cadiz, Exxon Valdez, Deepwater Horizon… Au cours de ces marées noires, désastreuses pour la vie aquatique, prospère la bactérie Alcanivorax borkumensis. Le nom latin Alcanivorax signifie « dévoreuse d’alcanes » ; ces bactéries dégradent les longues chaînes carbonées produites par la décomposition des organismes vivants2, et jouent à ce titre un rôle dans le cycle du carbone. Ces bactéries sont retrouvées en masse dans les marées noires et il a été montré qu’elles peuvent dégrader les nappes de pétrole avant qu’elles n’atteignent les côtes3.

Dans le cadre d’une collaboration internationale entre l’Université du Tsukuba (Japon), le Centre de physique théorique (CPT, CNRS / Aix-Marseille Université / Université de Toulon), le laboratoire Processus d’activation sélectif par transfert d’énergie uni-électronique ou radiatif (PASTEUR, CNRS / ENS-PSL / Sorbonne Université), l’Institut Pierre-Gilles de Gennes (PSL Université) et le laboratoire Physico-chimie Curie (PCC, CNRS / Institut Curie / Sorbonne Université), les auteurs ont immobilisé dans une puce microfluidique des gouttelettes de pétrole progressivement dévorées par ces bactéries, et suivi au microscope confocal leur évolution au cours du temps. L’équipe a ainsi pu observer et quantifier l’ensemble du processus, de la colonisation initiale à la consommation complète des gouttelettes d’huile. Les conclusions de ces travaux ont été publiées dans le journal Science du 18 août 2023. Terry McGenity et Pierre Philippe Laissue, de l’université d’Essex, ont publié dans le même numéro de la revue un article de perspective décrivant ces travaux4.

Alors que les bactéries qui ont été exposées pendant un temps court à une source de carbone insoluble forment des biofilms se développant en volume en maintenant la gouttelette sphérique, les bactéries qui ont été exposées plus longtemps à l’huile forment des biofilms minces ou apparaissent de nombreuses dendrites. Dans cette étude, les auteurs montrent que la vitesse à laquelle les bactéries dégradent les gouttelettes dépend de la morphologie du biofilm : du fait de leur plus grande surface de contact entre le biofilm bactérien et l’interface eau/huile, les biofilms dendritiques sont beaucoup plus efficaces pour la dégradation rapide de l’huile. Toutefois, plutôt que d’être causée par une augmentation du débit métabolique individuel, cette accélération est la conséquence de l’organisation collective du biofilm à l’interface.

Sous le microscope, les bactéries apparaissent comme des bâtonnets allongés le long de la surface entre le pétrole et l’eau. Juste avant de former un tube, les bactéries s’orientent progressivement vers un point central, qui deviendra le cœur du tube. Ce motif en étoile est connu dans le cadre de la théorie des cristaux liquides5 sous le nom de défaut topologique de charge +1. Une fois la surface eau/pétrole déformée, la formation de ces tubes d’un rayon bien contrôlé est rendue possible à la fois par une diminution de la tension interfaciale de l’huile au cours du temps d’exposition aux hydrocarbures, et à une augmentation de l’hydrophobie des bactéries, qui induit une apparition d’une courbure préférentielle de l’interface eau-pétrole. Les auteurs ont développé un modèle qui permet d’expliquer ce phénomène.

Les chercheurs se sont enfin intéressés à étudier la présence de surfactants dans le milieu de culture, de manière à simuler l’utilisation des dispersants massivement déversés dans la mer lors de l’accident Deep Water Horizon. Dans le contexte de leurs expériences, les auteurs montrent que les surfactants diminuent l’adhésion des bactéries aux gouttes de pétrole, empêchant la formation des tubes et compromettant ainsi la dégradation du pétrole par ces bactéries. Cependant, des travaux supplémentaires sont encore nécessaires avant de pouvoir tirer des conclusions définitives sur l’effet des surfactants dans la gestion des marées noires, notamment en raison de la grande diversité de la composition des eaux océaniques.

Les auteurs de l’étude envisagent également des applications fondamentales dans la compréhension d’un processus clef du cycle du carbone qu’on appelle la neige marine, où des bactéries – dont Alcanivorax borkumensis – dévorent la matière organique en suspension. Ce processus de dégradation contribue alors au piégeage du dioxyde de carbone dans les profondeurs océaniques.

Références

Alcanivorax borkumensis Biofilms Enhance Oil Degradation By Interfacial Tubulation,
Manoj Prasad, Nozomu Obana, S.-Z. Lin, Ken Sakai, Carles Blanch-Mercader, Jacques Prost, Nakao Nomura, Jean-François Rupprecht, Jacques Fattaccioli, A. S. Utada, paru le 18 août 2023 dans Science.
Doi : 10.1126/science.adf3345
Archives ouvertes : bioRxiv

Notes