Le 666 joue et gagne

[Source : AVATAR Media]

Avec Nicolas Bonnal




La menace féministe en Occident

Chesterton et la menace féministe en Occident (2017)

Par Nicolas Bonnal

On va parler du néo-féminisme et cela va nous fâcher avec les plus naïves de nos lectrices, celles qui vous font la morale et vous accusent d’extrémisme à tout bout de champ avant de bénir les bombardements sur la Syrie ou la Libye — en attendant la Russie…

Commençons notre sujet par Merkel, la bébête immonde des temps postmodernes dont, comme le sparadrap du pauvre capitaine Haddock-Castafiore, on ne peut se débarrasser.

J’en parlais il y a quelques années sur BVoltaire.fr, journal (j’ai gardé un très bon souvenir de Gabrielle Cluzel qui comme moi — mais après — a officié à famille chrétienne) qui à l’époque avait su attirer rédactrices et collaboratrices dans un monde antisystème à 90 % masculin (et pas pour rien ; tout était prédit par Nietzsche, par Chesterton, par Tocqueville, par l’honorable Charles Pearson, lisez ou relisez mes textes).

Autoritaire et humanitaire, Angela Merkel incarne le péril féministe ; voyez L’Express qui évoqua dans une manchette débile ces femmes qui sauvent le monde. En réalité si nous avions eu Hillary Clinton au pouvoir, nous aurions déjà la guerre mondiale. Merkel incarne l’esprit de la nursery décrit en 1921 par Chesterton lors de son voyage en Amérique. Pour Chesterton la féministe (la fasciste ou la bolchéviste au féminin) considère le citoyen comme un enfant, pas comme un citoyen :

And as there can be no laws or liberties in a nursery,the extension of feminism means that there shall be no more laws or liberties in a state than there are in a nursery.
[Et comme il ne peut y avoir de lois ou de libertés dans une crèche,l’extension du féminisme signifie qu’il n’y aura pas plus de lois ou de libertés dans un État qu’il n’y en a dans une crèche.]

La trique dans une main, les rares sucreries dans l’autre. Les peuples en Europe sont en effet toujours traités comme des enfants, et menacés s’ils se montrent récalcitrants. Les arguments des élites reproduisent en continu cet autoritaire schéma matriarcal.

Lagarde est là pour financer l’Ukraine, Ivanka pour inspirer la guerre, Merkel la soumission et le TTIP, Theresa May les retrouvailles avec les USA. Le fascisme à la sauce mondiale prend un visage féministe. Car le féminisme est une métastase du totalitarisme postmoderne. On retrouve comme toujours Tocqueville et son pouvoir prévoyant, tutélaire et doux, qui cherche à nous fixer dans l’enfance.

Ces froides fonctionnaires sans enfant remplissent nûment leur tâche ingrate, oubliant au passage que l’homme a été créé égal à la femme, l’électeur à son élu.

Les harpies… Sur ce sujet Philippe Grasset remarquait :

« La tendance d’Obama à s’entourer de créatures essentiellement féminines, lesHarpiesdiverses, Nuland, Rice, Flournoy, Clinton, Power, les personnages les plus extrémistes de toutes les administrations depuis des décennies, sinon les plus extrémistes de toute l’histoire de la diplomatie US. »

Merkel est assortie. Et la comète Haley à l’ONU qui aboie pour la guerre à tout bout de champ sur tous les terrains possibles !

On espère se débarrasser de Merkel. Mais ce n’est pas encore fait hélas ; et puis ce n’est pas tout.

Le système étatique allemand accable les contribuables, poursuit les internautes, persécute les familles, relâche les violeurs (voyez l’intervention de Poutine à ce sujet). Il devient tyrannique pour appuyer la dérive de la chancelière muée en femme la plus impuissante du monde, car les gros animaux blessés sont les plus dangereux. À propos de gros animaux rappelez-vous qu’en Allemagne on a ouvert des bordels zoophiles (où on sodomise chiens et moutons), et qu’on met en prison les parents qui refusent la théorie du genre pour leurs enfants. Car on n’est pas des sauvages mais tout de même.

Lisez le livre définitif sur l’homosexualité et la question nazie, écrit par l’ancien chroniqueur du Monde Philippe Simonnot. Il se nomme Le Rose et le brun et montre bien que ce détraquement sexuel bien germanique que l’on observe sous Merkel a des origines bien brunes — et même impériales (scandale Krupp, entourage du Kaiser, etc.). On pourra aussi souligner la parenté de la tyrannie Merkel avec celle de l’eschatologique figure dans le meilleur épisode d’Harry Potter (phénix). Angela Merkel illustre bien l’autoritarisme rose bonbon de Dolores Umbridge, professeur en arts obscurs.

Espérons que les Allemands se réveillent pour la liberté européenne, celle qui repose sur la solidarité des peuples et l’amitié avec la Russie, pas sur la guerre avec Moscou et la bureaucratie de bunker. Mais s’ils sont aussi abrutis qu’en 1933, je vous garantis qu’on est mal partis. Car après avoir fait vingt millions de morts à la Russie ils veulent repartir — sous commandement US, pour se faire bien voir…

On aurait pu penser que les valeurs féminines allaient amener un monde plus paisible. Pearson parlait vers 1890 d’un monde émasculé, où le héros et le leader seraient remplacés par la handmaid !

Or ce féminisme est nécessiteux finalement, et cruel, vindicatif et belliqueux, ne nous y trompons pas. Il ne comprend jamais la violence symbolique dont parlait Baudrillard dans sa guerre du Golfe qui a eu trop lieu.

Rajoutons qu’au cœur des luttes aberrantes contre l’islam (on les bombarde au nom du féminisme pour recueillir dix millions de migrants au nom des pleurnicheries humanitaires), Emmanuel Todd voit les vrais enjeux dans son presque impeccable Après l’empire :

« L’Amérique, dont le féminisme est devenu, au cours des années, de plus en plus dogmatique, de plus en plus agressif, et dont la tolérance à la diversité effective du monde baisse sans cesse,était d’une certaine manière programmée pour entrer en conflit avec le monde arabe, ou plus généralement avec la partie du monde musulman dont les structures familiales ressemblent à celles du monde arabe, ce que l’on peut nommer le monde arabo-musulman. »

Emmanuel Todd ajoute juste après :

« Il y a quelque chose d’inquiétant à voir une telle dimension devenir un facteur structurant des relations internationales.Ce conflit culturel a pris depuis le 11 septembre un côté bouffon et à nouveau théâtral, du genre comédie de boulevard mondialisée. D’un côté, l’Amérique, pays des femmescastratrices,dont le précédent président avait dû passer devant une commission pour prouver qu’il n’avait pas couché avec une stagiaire ; de l’autre, Ben Laden, un terroriste polygame avec ses innombrables demi-frères et demi-sœurs. Nous sommes ici dans la caricature d’un monde qui disparaît. Le monde musulman n’a pas besoin des conseils de l’Amérique pour évoluer sur le plan des mœurs. »

On verra. Pauvre monde musulman, pauvres épouses archaïques et pauvre gent masculine en attendant !

L’anthropologue et démographe voit aussi la dégénérescence gagner le monde scientifique anglo-saxon/occidental à cause de cette idéologisation féministe :

« Le conflit entre le monde anglo-saxon et le monde arabo-musulman est profond. Et il y a pire que les prises de position féministes de Mmes Bush et Blair concernant les femmes afghanes.L’anthropologie sociale ou culturelle anglo-saxonne laisse apparaître quelques signes de dégénérescence (…) Si une science se met à distribuer des bons et des mauvais points,comment attendre de la sérénité de la part des gouvernements et des armées ?

On l’a vu plus haut, “universalisme” n’est pas synonyme de tolérance. »

On n’a pas fini d’en baver avec le yin humanitaire, ses valeurs bellicistes comme celles furibardes de Theresa May vis-à-vis de la Russie. C’est Baudrillard qui disait que c’est l’idéologie des Lumières qui opprime toujours plus. Sa victoire finale précipitera une disparition démographique et culturelle du monde libre (son « remplacement » comme disent les idiots, oubliant qu’on ne remplace ce qui a déjà disparu). On ne le pleurera pas.

Sources

Philippe Simonnot – Le rose et le brun.
Baudrillard – La guerre du Golfe n’a pas eu lieu.
Emmanuel Todd — Après l’empire.
Chesterton — What I saw in America (Gutenberg.org).
Nicolas Bonnal — Machiavel et les armes de migration massive (Amazon.fr).
Charles Pearson — National life and character.




Le pape François et la fin de nos racines chrétiennes

[Publication initiale sur bvoltaire.fr]

Par Nicolas Bonnal

La béatification des récents papes a montré que le concile Vatican II avait triomphé de la tradition et que l’Église, accompagnant l’Europe, avait elle aussi abjuré ses racines chrétiennes. Elle s’est assise sur son passé, sécularisée et laïcisée, même si de bons papes comme Benoît XVI ont prétendu cacher l’iceberg de la glaciale modernité.

Bergoglio — il est temps de le dire —, en dépit de ses cruelles intentions, de ses provocations grossières et de ses viles manières, n’est pas un isolé. Il reflète ce que devient le gros de la catholicité inculte à travers le monde. Voyez des images (puisque nous ne vivons que d’images, surtout de ces papes mués en vedettes télé) de Pie XII et des cortèges de ces temps vénérables et oubliés — et vous verrez la différence.

Il y a plus d’un siècle déjà, le grand Sorel avait tout prévu concernant l’avenir de nos prélats et de notre clergé — et il le faisait en des termes plus sérieux que Léon Bloy (qui prépara l’horrible Maritain sans le vouloir…) :

Ils ont entrepris d’élever leur Église au niveau de l’esprit laïque, sans se préoccuper du principe mystique qui avait vivifié sa tradition. Des rites qui fournissent aux âmes les moyens de se consoler, d’espérer ou même de calmer certaines douleurs ; un clergé, plus ou moins incrédule, qui travaille de concert avec les administrations publiques, pour améliorer le sort des hommes — voilà ce dont se contente fort bien la médiocrité.

À la même époque, un scientifique athée, Émile Durkheim, qui forma Cochin à l’explication de la Révolution et de la politique moderne (avec un autre juif éclairant, Moïse Ostrogorski), expliquait à quelle sauce les bons chrétiens allaient se faire manger :

Il faut fermer les yeux à l’évidence pour ne pas s’apercevoir que les religions sont en train de se dissoudre. Les dogmes s’en vont. Par sa partie positive et constructive, la science est déjà sur certains points en mesure de les remplacer.

Le gros du troupeau s’est bien intégré et prend des selfies place Saint-Pierre. Les autres peuvent s’isoler loin de ces papes et de cette néo-église dans leurs catholiques parcs. C’est d’ailleurs aussi ce qui se fait depuis cinquante ans. Durkheim l’avait prévu en grand sociologue qu’il était (c’était un sociologue soucieux des gens) :

Il n’y a donc rien dans la religion qui semble pouvoir échapper à la décomposition qui la travaille. Mais, à défaut de valeur intrinsèque, peut-être se maintiendra-t-elle, parce qu’elle est nécessaire à un certain nombre d’esprits.

Au final, il ne restera rien qu’une vague teinture religieuse pour tout ce monde irréligieux.

Durkheim enfin :

Ce qui survivra des religions, c’est tout ce qu’il y a en elles de respectable et d’éternel, à savoir le désir d’expliquer, le sentiment de l’inconnu et de l’inconnaissable, le besoin de l’idéal.

C’est déjà cette religion mondiale et universelle dont notre feint-père à la mode et dans le vent espère devenir le coordonnateur globalisé et galonné.




Balzac et le parisien bobo vers 1840

Par Nicolas Bonnal

[Illustration : Hubert CLERGET
Paris: la maison de la Reine Blanche (hôtel de Marle) vers 1840 — Gouache]

Leur stupidité réelle se cache sous une science spéciale.

Le parisien bobo énervait le contestataire de jadis. Aujourd’hui il exaspère les antisystèmes : il fait partie des profiteurs de la mondialisation, il est enchanté par le socialisme sociétal et ses innovation bikinis, il regorge de richesses et d’arrogance. Il est passé du RPR au PS dans les années 90 et 2000 en se rendant compte de deux choses : un, il n’y avait plus de peuple rouge ou rose à redouter ; deux, le PS et le RPR c’était la même chose. Alors pourquoi ne pas se vouloir bohême ?

La bohême sent son dix-neuvième et son Balzac. Alors on repart sur ce génie méconnu, saccagé par notre enseignement à la noix. Car voici comment il le décrit déjà notre bobo parisien :

« Un des spectacles où se rencontre le plus d’épouvantement est certes l’aspect général de la population parisienne, peuple horrible à voir, hâve, jaune, tanné. Paris n’est-il pas un vaste champ incessamment remué par une tempête d’intérêts sous laquelle tourbillonne une moisson d’hommes que la mort fauche plus souvent qu’ailleurs et qui renaissent toujours aussi serrés, dont les visages contournés, tordus, rendent par tous les pores l’esprit, les désirs, les poisons dont sont engrossés leurs cerveaux ; non pas des visages, mais bien des masques : masques de faiblesse, masques de force, masques de misère, masques de joie, masques d’hypocrisie ; tous exténués, tous empreints des signes ineffaçables d’une haletante avidité ? Que veulent-ils ? De l’or, ou du plaisir ? »

Balzac établit le lien entre l’enfer de la grande agglomération et vieil enfer chrétien que plus personne ne redoute :

« Peu de mots suffiront pour justifier physiologiquement la teinte presque infernale des figures parisiennes, car ce n’est pas seulement par plaisanterie que Paris a été nommé un enfer. Tenez ce mot pour vrai. Là, tout fume, tout brûle, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s’évapore, s’éteint, se rallume, étincelle, pétille et se consume. Jamais vie en aucun pays ne fut plus ardente, ni plus cuisante. »

Ensuite il explique pourquoi le parisien se fout de tout, des socialos, des hausses d’impôts, des Hottentots, des attentats, du choléra :

« À force de s’intéresser à tout, le Parisien finit par ne s’intéresser à rien.Aucun sentiment ne dominant sur sa face usée par le frottement, elle devient grise comme le plâtre des maisons qui a reçu toute espèce de poussière et de fumée. En effet, indifférent la veille à ce dont il s’enivrera le lendemain, le Parisien vit en enfant quel que soit son âge.Il murmure de tout, se console de tout, se moque de tout, oublie tout, veut tout, goûte à tout, prend tout avec passion, quitte tout avec insouciance ; ses rois, ses conquêtes, sa gloire, son idole, qu’elle soit de bronze ou de verre ; comme il jette ses bas, ses chapeaux et sa fortune. À Paris, aucun sentiment ne résiste au jet des choses… »

Il oubliera Macron alors le parisien ?

« Ce laisser-aller général porte ses fruits ; et, dans le salon, comme dans la rue, personne n’y est de trop, personne n’y est absolument utile, ni absolument nuisible : les sots et les fripons, comme les gens d’esprit ou de probité.Tout y est toléré, le gouvernement et la guillotine, la religion et le choléra. »

La base de tout alors ? Le fric et le cul, répond Balzac.

« Vous convenez toujours à ce monde, vous n’y manquez jamais.Qui donc domine en ce pays sans mœurs, sans croyance, sans aucun sentiment ; mais d’où partent et où aboutissent tous les sentiments, toutes les croyances et toutes les mœurs ?L’or et le plaisir. »

Puis Balzac se rapproche de nos avocats politiciens, des gestionnaires de fortune comme on dit :

« Nous voici donc amenés au troisième cercle de cet enfer, qui, peut-être un jour, aura son

DANTE. Dans ce troisième cercle social, espèce de ventre parisien, où se digèrent les intérêts de la ville et où ils se condensent sous la forme dite affaires, se remue et s’agite par un âcre et fielleux mouvement intestinal, la foule des avoués, médecins, notaires, avocats, gens d’affaires, banquiers, gros commerçants, spéculateurs, magistrats.Là, se rencontrent encore plus de causes pour la destruction physique et morale que partout ailleurs. »

Balzac commence à l’enfoncer son clou sur notre parisien. Admirez ce style qui enchantait les compères Marx et Engels :

« À toute heure, l’homme d’argent pèse les vivants, l’homme des contrats pèse les morts, l’homme de loi pèse la conscience.Obligés de parler sans cesse, tous remplacent l’idée par la parole, le sentiment par la phrase, et leur âme devient un larynx. Ils s’usent et se démoralisent.Ni le grand négociant, ni le juge, ni l’avocat ne conservent leur sens droit :ils ne sentent plus, ils appliquent les règles que faussent les espèces. »

Le bonhomme de neige avocassier n’est alors plus grand-chose, comme le pays qu’il va diriger un jour :

« Emportés par leur existence torrentueuse, ils ne sont ni époux, ni pères, ni amants ; ils glissent à la ramasse sur les choses de la vie, et vivent à toute heure, poussés par les affaires de la grande cité. »

Les choses de la vie ! Déjà !

Le seul héritier de Balzac digne de ce nom est Guy Debord (lisez mes aphorismes). Il dit d’ailleurs :

« En France, il y a déjà une dizaine d’années, un président de la République, oublié depuis, mais flottant alors à la surface du spectacle, exprimait naïvement la joie qu’il ressentait, “sachant que nous vivrons désormais dans un monde sans mémoire, où, comme sur la surface de l’eau, l’image chasse indéfiniment l’image”. C’est en effet commode pour qui est aux affaires ; et sait y rester. La fin de l’histoire est un plaisant repos pour tout pouvoir présent. »

Debord parlait de Giscard, qui était un mixte de Macron et de Sarkozy.

Mais reprenons sur Balzac :

« À de si terribles dépenses de forces intellectuelles, à des contractions morales si multipliées, ils opposent non pas le plaisir, il est trop pâle et ne produit aucun contraste, mais la débauche, débauche secrète, effrayante, car ils peuvent disposer de tout, et font morale de la société. Leur stupidité réelle se cache sous une science spéciale. »

Balzac rajoute :

« Ils savent leur métier, mais ils ignorent tout ce qui n’en est pas. Alors, pour sauver leur amour-propre, ils mettent tout en question, critiquent à tort et à travers ; paraissent douteurs et sont gobe-mouches en réalité, noient leur esprit dans leurs interminables discussions.Presque tous adoptent commodément les préjugés sociaux, littéraires ou politiques pour se dispenser d’avoir une opinion ; de même qu’ils mettent leurs consciences à l’abri du code, ou du tribunal de commerce. »

Tolstoï dit la même chose dans Anna Karénine une génération plus tard :

Le journal que recevait Stépane Arcadiévitch était libéral, sans être trop avancé, et d’une tendance qui convenait à la majorité du public. Quoique Oblonsky ne s’intéressât guère ni à la science, ni aux arts, ni à la politique, il ne s’en tenait pas moins très fermement aux opinions de son journal sur toutes ces questions, et ne changeait de manière de voir que lorsque la majorité du public en changeait. »

Après avoir rappelé que nos Macron « se ratatinent presque tous dans la fournaise des affaires », Balzac rappelle que le peuple ne vaudra guère mieux :

« Toutes les classes inférieures sont tapies devant les riches et en guettent les goûts pour en faire des vices et les exploiter. »

Fermez le ban ! Balzac termine son éreintement avant d’attaquer l’intrigue de sa fille aux yeux d’or.

« Là règne l’impuissance ; là plus d’idées, elles ont passé comme l’énergie dans les simagrées du boudoir, dans les singeries féminines.Il y a des blancs-becs de quarante ans, de vieux docteurs de seize ans. Les riches rencontrent à Paris de l’esprit tout fait, la science toute mâchée, des opinions toutes formulées qui les dispensent d’avoir esprit, science ou opinion. Dans ce monde, la déraison est égale à la faiblesse et au libertinage.On y est avare de temps à force d’en perdre. N’y cherchez pas plus d’affections que d’idées. »

Et après il parle des antisystèmes (je pensais à moi en le relisant le maître, à mes années de débauche parisienne) ou de ceux qui naïvement attendent une révolution, un grand mouvement ou un grand apogée dans ce troisième cercle de l’enfer :

« Cette vie creuse, cette attente continuelle d’un plaisir qui n’arrive jamais, cet ennui permanent, cette inanité d’esprit, de cœur et de cervelle, cette lassitude du grand raout parisien se reproduisent sur les traits, et confectionnent ces visages de carton, ces rides prématurées, cette physionomie des riches où grimace l’impuissance, où se reflète l’or, et d’où l’intelligence a fui. »




Balzac et la première rébellion féministe des femmes

Par Nicolas Bonnal

La Femme de trente ans… Ce roman lance le bovarysme psychologique et sociétal. Mais Julie est beaucoup moins passive qu’Emma et elle se rebelle intellectuellement contre les hommes… Et déboulonne la société, annonçant nos législations folles d’aujourd’hui (on n’en fait pas un drame : après tout, qu’elle dégage, l’espèce dite humaine) :

« — Obéir à la société ?… reprit la marquise en laissant échapper un geste d’horreur. Hé ! monsieur, tous nos maux viennent de là. Dieu n’a pas fait une seule loi de malheur ; mais en se réunissant les hommes ont faussé son œuvre. Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par la nature. La nature nous impose des peines physiques que vous n’avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment. La nature étouffe les êtres faibles, vous les condamnez à vivre pour les livrer à un constant malheur. Le mariage, institution sur laquelle s’appuie aujourd’hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l’homme la liberté, pour la femme des devoirs. Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. »

Makow rappelait que pour les féministes le sort des femmes dans la société machiste c’est Auschwitz. ! Notre sacré Balzac (pas son personnage) n’en est pas loin non plus :

« Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale. De là sont nées mes souffrances… »

Pour notre bon gros romancier réaliste (réaliste ou romantique ?), la vie de la femme devient un cercle des horreurs dantesques :

« Mon avenir est horrible, je le sais : la femme n’est rien sans l’amour, la beauté n’est rien sans le plaisir ; mais le monde ne réprouverait-il pas mon bonheur s’il se présentait encore à moi ? Je dois à ma fille une mère honorée. Ah ! je suis jetée dans un cercle de fer d’où je ne puis sortir sans ignominie. Les devoirs de famille accomplis sans récompense m’ennuieront ; je maudirai la vie ; mais ma fille aura du moins un beau semblant de mère. Je lui rendrai des trésors de vertu pour remplacer les trésors d’affection dont je l’aurai frustrée. Je ne désire même pas vivre pour goûter les jouissances que donne aux mères le bonheur de leurs enfants.

Je ne crois pas au bonheur. »

Cerise sur le gâteau : 

« Vous honnissez de pauvres créatures qui se vendent pour quelques écus à un homme qui passe, la faim et le besoin absolvent ces unions éphémères ; tandis que la société tolère, encourage l’union immédiate bien autrement horrible d’une jeune fille candide et d’un homme qu’elle n’a pas vu trois mois durant ; elle est vendue pour toute sa vie. Il est vrai que le prix est élevé ! Si en ne lui permettant aucune compensation à ses douleurs vous l’honoriez ; mais non, le monde calomnie les plus vertueuses d’entre nous ! Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur. Quant aux pauvres filles sans dot, elles deviennent folles, elles meurent ; pour elles aucune pitié !

La beauté, les vertus ne sont pas des valeurs dans votre bazar humain et vous nommez Société ce repaire d’égoïsme. »

Et ces braves gens n’avaient rien vu.

Le pauvre curé répond à Julie :

« — Madame, vos discours me prouvent que ni l’esprit de famille ni l’esprit religieux ne vous touchent, aussi n’hésiterez-vous pas entre l’égoïsme social qui vous blesse et l’égoïsme de la créature qui vous fera souhaiter des jouissances…

— La famille, monsieur, existe-t-elle ? Je nie la famille dans une société qui, à la mort du père ou de la mère partage les biens et dit à chacun d’aller de son côté. La famille est une association temporaire et fortuite que dissout promptement la mort. »

Balzac tape ensuite sur le désastreux bilan napoléonien des réformes du droit civil :

« Nos lois ont brisé les maisons, les héritages, la pérennité des exemples et des traditions. Je ne vois que décombres autour de moi. »

Le curé est excellent (ah, si nos bons prêtres pouvaient parler comme ceux de Stendhal, de Balzac ou même de Pagnol) :

« — Madame, vous ne reviendrez à Dieu que quand sa main s’appesantira sur vous, et je souhaite que vous ayez assez de temps pour faire votre paix avec lui. Vous cherchez vos consolations en baissant les yeux sur la terre au lieu de les lever vers les cieux. Le philosophisme et l’intérêt personnel ont attaqué votre cœur ; vous êtes sourde à la voix de la religion comme le sont les enfants de ce siècle sans croyance ! Les plaisirs du monde n’engendrent que des souffrances. »

Et ici le prêtre enfonce très bien le clou.

« Vous allez changer de douleurs voilà tout. »

C’est le fardeau de la personnalité qui va apparaître, dont parlera plus tard Pearson, et dont se moquera Nietzsche dans son Zarathoustra. Debord évoquera ce conglomérat de solitudes sans illusions que nous sommes devenus. Tout cela se termine par une destruction — destruction ou anéantissement ? — de la démographie européenne qui aujourd’hui s’exporte au reste du monde, Amériques, Asie, Afrique exclue bien entendu.

Sources 

Balzac — La femme de trente ans, ebooksgratuits.com, pp. 96-102-103

Nicolas Bonnal — Chroniques sur la fin de l’histoire (I, II et III), Amazon.fr




La sécession culturelle des monstrueuses élites occidentales

Christopher Lasch et la sécession culturelle des monstrueuses élites occidentales

Par Nicolas Bonnal

Un peuple contre son élite américanisée-friquée-bobo. La situation française est exemplaire, caricaturale. Le pays de la monarchie absolue est devenu celui de la dictature branchée absolue. D’où ces révoltes contre les Marie-Antoinette de la création… On se référera pour illustrer ce que je dis à l’incroyable livre de Raphaëlle Bacqué (une de mes anciennes condisciples à sciences-po) sur le Richard Descoings un temps idolâtré. Il explique la rupture entre un peuple et ses élites.

Le célèbre écrivain de SF William Gibson distingue dans son Neuromancien les élites (qui ont accès aux riches banques de données) et la masse des hommes zombis qu’il nomme la viande. Gibson voit son pays développer une dystopie. La viande on le voit sous nos yeux, c’est la race honnie et méprisable des Gilets Jaunes — et les élites, bobos ou autres, sont cet agglomérat de technocrates, de fils de riches, d’énarques, de féministes et de bureaucrates mondialisés qui défont la France à la vitesse du vent. Et ce sont ces élites françaises qui, comme les Clinton en Amérique, se rebellent en mutant, notamment à partir de Paris et des grosses villes moyennes. Elles se croient au-dessus du lot. Dans son admirable étude sur la révolte des élites, Christopher Lasch écrivait :

« Naguère c’était la révolte des masses qui était considérée comme la menace contre l’ordre social… De nos jours, la menace semble provenir de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie. »

Et pourquoi cette révolte ? Un rappel sur les manipulateurs de symboles chargés de l’altération de la réalité depuis l’avènement de l’informatisation.

Dans le livre du premier secrétaire d’État au travail de Bill Clinton Robert Reich (injustement nommé en Amérique The Work of Nations, titré en français, chez Dunod, la Mondialisation), on voit apparaître une race post-bourgeoise créée par la mondialisation, la technologie, le cosmopolitisme massifié, l’exotisme réifié, le « zen emballé sous vide » (Debord), une race éthérée qui vit dans ses condominiums avec ses gadgets et ses fantasmes humanitaires, une race gnostique qui veut refaire son monde ou l’annihiler tant il l’énerve AVEC SA VIANDE ET SES ODEURS. Macron en est le porte-étendard. Il est donc logique que le pauvre Mr président (c’est Le Pen qui le disait l’autre jour à Marie d’Herbais) soit devenu le bouc émissaire de toutes nos misères en remplacement du grand nazi de service. Macron a commis en outre l’erreur de prendre comme PM un émule de Juppé, barbu bobo qui aura causé les mêmes dégâts ineptes qu’en novembre 1995.

Le peuple s’est levé en France quand il a compris que c’est lui qu’on visait, pas les immigrés reconvertis en migrants de foire, rappeurs tendance, danseuses du ventre, communauté brimée et promu au rang d’adjudant par les miliciens de la mondialisation forcenée et forcée.

Lasch ajoute :

« Le nationalisme se trouve attaqué par les défenseurs des particularismes ethniques et sociaux et par les soutiens de l’internationalisation de tout, depuis les poids et mesures jusqu’à l’internationalisation artistique… »

Lasch trouve que le livre de Reich, que j’ai commenté ici, est trop favorable aux élites symboliques, aux « manipulateurs de symboles. » Mais (en français tout au moins), Reich parlait des excès de ces manipulateurs de symboles. Et il y a peu, en rappelant l’existence de ce livre essentiel (Nizan pour la première partie du siècle, dernier, Reich pour la deuxième), j’écrivais dans Dedefensa.org : 

« Il reste que je préfère maintenant la notion de néo-clergé à celle d’oligarchie. Car la domination se veut morale et spirituelle.

Cette élite virtuelle (plus ou moins bien évoquée dans le film Élysée avec Jodie Foster) n’a plus aucune attache avec son pays et ses racines. Elle a été mondialisée, comme le disait Jean-Pierre Chevènement, elle a été convaincue que l’État-nation est “une monstruosité” et elle se moque de son cheap ex-concitoyen voué aux gémonies et diabolisé comme populiste, bon à être jeté dans les poubelles de l’histoire. Le remplacement de population, elle s’en accommode mieux que les autres puisque les populations elle n’est pas pour les côtoyer, mais pour les exploiter. Cette classe bobo-techno est transhumaine sans le savoir… Elle marche plus vite que ses robots. »

Avec les végans, les bouddhistes, féministes, antiracistes et autres puristes qui nous gouvernent, nous avons intérêt à changer de trottoir. On est les koulaks des années trente de service, ceux qui furent exterminés-remplacés en temps et en heure. Lasch :

« Les masses n’ont pas perdu tout intérêt pour la révolution ; on peut arguer que leurs instincts politiques sont plus conservateurs que ceux de porte-parole désignés ou de leurs libérateurs potentiels. »

Et de même que Hitler (j’avais recensé tout cela aussi suivant mon maître libertarien Butler) avait limité la vitesse, interdit de fumer, enfermé dans les camps les harceleurs sexuels, de même que Goering avait protégé les espèces animales sauvages, de même le bobo dénoncé par Lasch ou par Philippe Muray en France (voyez mon texte) ne renonce à rien :

« Ils ont entrepris une croisade pour aseptiser la société américaine : il s’agit de créer un environnement sans fumeurs de tout censurer, depuis la pornographie jusqu’aux discours de haine… »

Cette caste bizarre ne supporte plus le naturel, écrit Lasch. De même :

« Elle a peu le sens d’une gratitude ancestrale ou d’une obligation d’être au niveau des responsabilités héritées du passé. Elle se pense comme une élite qui s’est faite toute seule et qui doit ses privilèges à ses efforts. »

Si des pays comme les USA ou la France sont de plus en plus laids et défigurés, à part trois zones friquées (Neuilly-Beaubourg-Passy ou Biarritz-Chamonix-Luberon), n’en cherchez pas la cause :

« Elles sont sorties de la vie commune, elles ne voient plus l’intérêt de payer pour des services publics qu’elles n’utilisent plus. »

Et Macron est arrivé ici comme la cerise que le gâteau, goutte d’or si j’ose dire qui a fait déborder la vase avec une arrogance, une haine trop visible et audible pour la viande que nous sommes et qui doit disparaître dare-dare. Lasch :

« Lorsqu’ils se trouvent confrontés à de l’opposition devant leurs initiatives, ils révèlent la haine venimeuse qui se cache sous le masque de la bienveillance bourgeoise. La moindre opposition fait oublier aux humanitaristes les vertus généreuses qu’ils prétendent défendre. Ils deviennent irritables, pharisiens, intolérants. Dans le feu de la controverse, ils jugent impossible de dissimuler leur mépris pour ceux qui refusent de voir la lumière… ceux qui ne sont pas dans le coup, pour parler le langage du prêt-à-penser politique »…

Grâce à l’internet-qu’il-faut-censurer les Français ont pu comparer et comprendre qu’il n’y a pas de débat, il n’y a qu’un tribunal d’insultes de Fouquier-Tinville ou de Vychinski, dont BHL reste le plus caricatural et utile (pour nous) pantin. Lasch : « Il n’est plus nécessaire de débattre avec l’adversaire sur le terrain des idées. Une fois que l’on a décrété qu’il est raciste, fasciste, homophobe, sexiste, il est déclaré suspect, inapte au débat. » Écrit en 1994…

On se souvient des images ignominieuses de l’autre avec sa cour de phénomènes de foire. Lasch :

« Le multiculturalisme leur convient parfaitement, car il évoque pour eux l’image d’un bazar universel où l’on peut jouir indéfiniment de l’exotisme… Leur vision est celle d’un touriste, ce qui a peu de chances d’encourager un amour passionné de la démocratie. »

Le reste de la population qui croit encore (même « confusément » comme mon chien préféré Ran-Tan-Plan) à la famille, au salaire, à la patrie (travail famille partis !) est décrété déplorable ! Nous n’avons plus droit qu’à de la haine de ces élites interchangeables politiquement et qui restent malgré tout épatées par notre résistance et le comportement génial et imprévisible du Donald, tancé récemment par qui l’on sait.

Et comme on sait que je ne vois rien de neuf dans notre bien vieux monde moderne, j’incite mes lecteurs à relire en anglais le début d’Emma de Jane Austen, quand cette auteure totalement (mais alors totalement) incomprise dénonce les nouvelles méthodes libérales d’enseignement…

Sources

Christopher Lasch – La révolte des élites (Flammarion)

Raphaëlle Bacqué — Richie (Grasset)

Robert Reich – La mondialisation (Dunod)

http://www.dedefensa.org/article/davos-et-la-montee-sinistre-des-manipulateurs-de-symboles

http://www.dedefensa.org/article/ortega-y-gasset-et-la-montee-eschatologique-de-la-stupidite

http://www.bvoltaire.fr/hitler-les-origines-du-politiquement-correct/

http://www.dedefensa.org/forum/philippe-muray-face-au-desert-des-barbares

http://www.bvoltaire.fr/richard-descoings-et-nos-gaies-elites-dejantees/

Jane Austen — Emma (ebooksgratuits.com) : Mrs. Goddard was the mistress of a School — not of a seminary, or an establishment, or any thing which professed, in long sentences of refined nonsense, to combine liberal acquirements with elegant morality upon new principles and new systems — and where young ladies for enormous pay might be screwed out of health and…

Nota : le passage n’est pas traduit en français. On n’est pas de la théorie de la conspiration, bien plutôt de celle de la constatation, et c’est comme ça !




C’est du Joly !

Par Nicolas Bonnal

Maurice Joly et la France politiquement inerte et fatiguée en… 1861

Certains dénoncent l’empire américain, qui feraient bien d’évoquer l’empire à la française à travers les âges. L’empire bonapartiste c’est juste un cas (Badinguet donc) sorti des élections et de la tyrannie de la majorité et qui a voulu se maintenir au pouvoir. Il s’est aidé des bourgeois, des cathos et des gendarmes et ça a marché facile (les paysans c’était les ancêtres des téléspectateurs ; ils suivent ce qu’on leur dit à la télé) : bis repetita vont plaire car comme disait Depardieu dans les Valseuses : « pas d’erreur, on est bien en France ! ».

Avant d’écrire ses extraordinaires Entretiens de Machiavel et Montesquieu qui auraient inspiré les honnis Protocoles, Joly rédige une superbe brochure nommée la Question brûlante. On est en 1861, l’Empire fasciste-autoritaire (on vit l’inverse en France donc soyez attentif : on est parti pour cinquante ans sauf accident) veut devenir libéral (quelle idée !).

Retour au Présent permanent ; Joly dénonce vingt ans avant Edouard Drumont l’atonie française :

« Certes, si l’Empereur ne possède pas le cœur de la France, elle peut se flatter du moins de n’avoir jamais vécu sous une main plus ferme, sous une inspiration plus haute, sous un esprit plus profond, sous une pensée plus indépendante. Cependant ce prince, dont le libre arbitre est si puissant, a senti le besoin de faire appel à l’opinion publique, de départager les voix qui l’avaient élu comme pour en connaître la valeur et la force réelle, la force intelligente. D’où vient qu’il ne trouve rien autour de lui que des voix depuis longtemps asservies, et que lui-même, sans doute, il ne compte pas ? D’où vient que l’opinion ne se rallie pas, ne se manifeste pas, ne fait explosion nulle part ? Osons le dire : C’est qu’il n’y a pas d’opinion, c’est qu’il n’y a que des individus, c’est qu’il n’y a que des intérêts ; c’est que tous les ressorts de la France sont, non pas brisés, Dieu me garde de dire un tel mot, mais si profondément détendus, qu’il n’y a plus nulle part ni action ni pensée. Le mal est profond, il est terrible, il est pire que l’agitation peut-être, car l’agitation, c’est la vie du moins ; l’atonie, c’est le commencement de la mort. »

Il parle même de prostration (on peut vivre longtemps et mourir vivant — Chateaubriand et Michelet on fait la même remarque peu avant Joly) :

« Cette prostration de l’esprit public ne devait point échapper à l’Empereur ; il n’entendait point sans doute régner sur des ombres. »

Tout le monde antisystème tape sur la presse. Joly et ses contemporains aussi, mais plus élégamment et plus lucidement (pas besoin d’incriminer les milliardaires…) :

« Dans des moments comme ceux où nous vivons, les journaux sont des canaux trop étroits pour la pensée publique. Le public se soucie bien, d’ailleurs, d’entendre les mêmes voix dont il est fatigué depuis douze ans ! On demandait dernièrement la dissolution du Corps législatif pour faire arriver aux oreilles du pays des voix plus indépendantes : si l’on demandait le licenciement du journalisme actuel pour faire arriver aussi l’arrière-garde des intelligences ? Le public doit être bien las de ceux qui le haranguent chaque matin : ne sait-il pas ce qu’ils ont dit, ce qu’ils diront, le gouvernement ne le sait-il pas lui-même ? Ils ne diront rien, parce qu’ils n’ont rien à dire. L’ironie était profonde, elle n’a pas été comprise peut-être ; on feignait de les croire dangereux !… On leur demandait de la réserve, ils en ont montré ; ils ont eu l’intelligence de comprendre que l’opinion tout entière se serait soulevée contre eux, s’il en avait été autrement. — Il faut le dire, parce que c’est vrai, le public a perdu toute confiance dans une presse qui s’est mise aux gages de l’industrie, qui blâme sans bonne foi, qui loue sans conviction, dont toutes les passions enfin se sont éteintes au sein de la spéculation. »

Bien dit Maurice : la presse s’est toujours mise aux gages de l’industrie ; et Tolstoï nous a bien mis en garde contre son lectorat libéral (voir mon texte sur le début d’Anna Karénine) !

Avant Guénon Joly rappelle notre involution (cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel) :

« Le gouvernement de Louis XIV et celui de Richelieu furent étrangement imprévoyants, il faut en convenir, en favorisant sans mesure l’essor de la bourgeoisie : l’un en décapitant les restes de l’autocratie féodale, l’autre en ruinant la noblesse dans les fêtes et en l’asservissant au milieu du faste de sa cour. 1789 est le résultat final de leur politique. L’histoire se demandera peut-être s’ils ont bien su comprendre les conditions du gouvernement monarchique. Tout triomphe sur l’aristocratie est un triomphe anticipé sur la royauté elle-même ; cette généreuse noblesse, dont on avait extirpé l’esprit politique, eut beau faire un rempart de son corps à un trône ingrat, elle ne sut que mourir. En brisant sa forte discipline, on l’avait rendue incapable de produire désormais un grand homme. »

La bourgeoisie arrivée, voilà ce que cela donne :

« Venons à la bourgeoisie : qu’est-ce donc aujourd’hui que cette puissance qui a envoyé à l’échafaud ses nobles et son roi ? Où est cette forte sève que promettait l’indomptable génération de 89 ; quel homme s’est élevé au pouvoir depuis 1815 qui n’ait montré à la fois toutes les faiblesses et toutes les impuissances ? Louis XVIII et Charles X tenaient la bourgeoisie à l’écart, ils n’avaient pas si tort, ma foi ! Louis-Philippe a pu voir ce qu’il fallait attendre des dictateurs de la banque et de la manufacture, comme on les appelait ; ils ont jeté leur roi par terre comme un homme de carton, ne s’apercevant pas qu’une fois la partie jouée, leur rôle était fini, et que le prolétariat se levant derrière eux les ferait disparaître pour jamais de la scène politique. »

Depuis c’est le temps des pygmées :

« Les lois les plus impopulaires, le gouvernement le plus étroit, le plus mesquin, les idées les plus faibles, les plus dures, voilà ce que l’on a toujours trouvé au sein des majorités qui gouvernaient alors le pays ; en vain formait-on coalition sur coalition pour escalader le pouvoir et y faire arriver les plus agissants. Pas un homme solide ne se présentait en scène ; on ne voyait que des pygmées se montant sur le dos les uns des autres, et dégringolant aux grands éclats de rire de la foule. »

Encore une note psychologique :

« Mais ce qui est plus grave, c’est une absence de volonté, un défaut de persévérance, une mobilité qui fait tout entreprendre et tout quitter. Le moindre obstacle décourage, la moindre adversité terrasse. »

Description du « règne des petits hommes » :

« C’est plus que jamais le règne des petits hommes, des hommes d’antichambre, des hommes de coulisse ; il semble qu’une mystérieuse conspiration les pousse, les élève, les caresse, ce sont les mœurs du sérail. Où sont donc nos vertes franchises et notre vieil esprit gaulois ? Quoi ! pas une satire, pas même une épigramme ! On ne glose qu’à petit bruit, on n’ose pas ; le peuple français n’ose plus moquer ouvertement tous ces Gitons ; parlez d’un homme public en renom dont l’incapacité est connue, chut ! vous dit-on ; décriez un poète, un littérateur célèbre, mais sans génie, l’avis des gens sensés est pour vous ; mais on est convenu d’acquiescer aux réputations usurpées ; une flagrante médiocrité est hautement portée sur le pavois et triomphe pour ainsi dire des gens de mérite de leur consentement : on ne vit jamais rien de si étrange ! »

Juste conclusion :

« Je pourrais aller beaucoup plus loin dans cette peinture, je m’arrête. Il semble qu’un type moral et social, comme celui dont je viens de faire l’imparfaite analyse, soit peu fait pour soutenir le régime de la liberté et les austérités de la vie publique. »

93 % de vaccinés sous Macron (selon John Timsit — défense de rire — du Figaro) ; normal, il n’y a pas de libre-arbitre, explique Joly :

« Non, je le répète, il n’y a pas d’opinion publique en France, je vais plus loin, je dis qu’il n’y a pas de libre-arbitre. À part quelques hommes qui se sont fait des principes et des idées personnelles à force d’étude et de méditation, le plus grand nombre vit sur une provision de lieux-communs qui passent de main en main comme de la monnaie. »

Comme Balzac et avant ceux qui râlent après la télé, Joly comprend que le cerveau humain est — pour reprendre Le Lay de TF1 — un grand vide à occuper :

« Ce sont partout les mêmes mots, les mêmes phrases qui reviennent à l’oreille, et ces mots, ces phrases sont toutes faites depuis vingt ans. La Presse a habitué le public à prendre chaque jour sa pâtée d’idées toute formulées ; — voyez plutôt ce qui se passe : jamais le public ne jugera par lui-même un homme, un livre, une brochure ; la Presse lui dit : tel livre vient de paraître, c’est fort beau, il le lit ; la Presse lui dit : on joue ce soir telle pièce, c’est magnifique, il y court. Ainsi du reste. Que je sois démenti par les quinze ou vingt journaux qui battent monnaie de la réclame quotidienne, et ce qu’il y a de plus fort, le public est trompé, dupé, on se rit de lui en face il croit, il croit toujours ; il lui suffit que les choses soient imprimées, sa déconvenue de la veille ne lui dessille pas les yeux le lendemain. »

On répète car c’est trop sympa : « sa déconvenue de la veille ne lui dessille pas les yeux le lendemain. »

https://fr.wikisource.org/wiki/La_Question_br%C3%BBlante




Quand la fascination pour le simulacre américain explique le suicide européen

Par Nicolas Bonnal

L’Amérique nous hypnotise à volonté, elle nous pousse au suicide et sans forcer son talent : la dette et les usuriers des fonds de pension comme Fink, c’est elle ; le transhumain et le Reset c’est elle et ses milliardaires ; le virus et les vaccins c’est elle (Bourla veut dire « plaisanterie » — burla, en espagnol) ; la russophobie et l’extermination nucléaire en Europe, ce sera aussi elle (elle est sûre que jamais la Russie complexée ne s’en prendra à elle directement) ; les nouvelles chasses aux sorcières et le nouveau puritanisme moral, c’est elle ; les privatisations et la déglingue à la Dick, c’est toujours elle. Elle va nous exterminer et nous l’en remercions, et nous la divinisons. Elle fait penser au serpent biblique : elle amène la connaissance, une connaissance vide et creuse, et nous perdons tout au passage. Mais nous sommes contents. Comme le serpent du Livre de Jungle, elle nous hypnotise avant de nous bouffer, l’Amérique.

Je me souviens des années 90 ; il y avait encore des petites résistances en France ; et puis tout a fondu comme neige au sommeil sans qu’on y prenne garde (Chirac a adoubé Lagarde et Sarkozy). Et nous sommes devenus le pays le plus vil, le plus collabo et le plus déglingué avec fin des communistes et 1 % maximum de gaullistes (le texte de Milgram est balayé). Nous n’avons pas été punis comme le voulait Condoleeza, nous avons été séduits, conquis, pressés et stressés. Pays d’abrutis prêts à crever pour Leur Maître. Le Parrain a triomphé comme partout en Europe ; mais comme c’est ici qu’on survit…

Mais d’où vient cette fascination ? Pour le comprendre relisons Jean Baudrillard, pas le Baudrillard antiaméricain de la Fin, mais le Baudrillard tonitruant et talentueux qui dans un beau et long poème, intitulé Amérique, explique pourquoi ce serpent est décidément fascinant.

Quelques rappels ; l’Amérique c’est d’abord le pays conatif, le pays qui donne des ordres et doit être obéi (sinon on est anéanti, Allemagne, Japon, Irak, Libye, bientôt Chine et Russie, car il ne faut douter de rien, on est avec le pays qui ose toujours tout, comme Keyser Sose) :

« Tout protéger, tout détecter, tout circonscrire — société obsessionnelle. Save time. Save energy. Save money. Save our souls — société phobique. Low tar. Low energy. Low calories. Low sex. Low speed — société anorexique.
Curieusement, dans cet univers où tout est à profusion, il faut tout sauver, tout épargner. »

Cela c’est le programme gastronomique et économique, avec l’obsession médicale (Rockefeller et les vaccins) et écologique qui était là bien avant Biden (Vance Packard en parle déjà). Ce puritanisme économique est aussi mémoriel :

« Tout recenser, tout stocker, tout mémoriser. »

Tout cela c’est l’obsession de la statistique, des maths, de l’informatique, du reste. L’Amérique nous contrôle. Amazon.fr va nous imposer l’euro numérique avec l’UE sous contrôle, et Gates nous a imposé vaccin, confinement et Reset, le tout comme à la parade. Voyez notre texte sur Jack London et les milliardaires humanitaires et bienveillants qui ont progressivement détruit la planète et surtout l’humanité (ce qu’ils appellent le tikkun).

Baudrillard constate que l’Amérique contrôle tout avec ses images (l’alunissage), son cinéma, ses musiques. Elle domine notre cerveau et notre imaginaire. Aujourd’hui c’est Netflix et le format CNN qui a dévasté et reprogrammé le peu de cerveaux qui restaient (en termes de Milgram je maintiens que nous sommes 1 %, pas plus). Nous sommes ses choses et ses prisonniers, comme dans la caverne de Platon (y compris ceux qui comme nous font mine de s’imposer à elle en utilisant ses concepts et même ses outils) ou comme dans l’Invasion des profanateurs de sépulture, tous remplacés psychiquement et tous reprogrammés pour devenir ces légumes dont parla notre génial Siegel à Benayoun un jour.

Ce qu’il faut comprendre c’est que le simulacre c’est la force et la réalité, le simulacre ce n’est pas ce dont il faut se moquer comme font certains vieux distraits. Le simulacre c’est la réalité et nous sommes devenus d’illusoires ombres. Baudrillard cite Baudelaire et son culte moderne des artifices et il ajoute :

« Inutile de chercher à décinématographier le désert pour lui garder une qualité originelle, la surimpression est totale, et elle continue. Les Indiens, les mesas, les canyons, les ciels : le cinéma a tout absorbé. Et pourtant, c’est le spectacle le plus saisissant du monde. Faut-il préférer les déserts “authentiques” et les oasis profondes (p. 69) ? »

Le simulacre américain : voyez ces queues d’affamés à Moscou au début des années 90 pour entrer dans le premier McDonald’s ouvert. La malbouffe c’est l’unique vraie bouffe, pauvre José Bové.

Baudrillard ajoute :

« Les États-Unis, c’est l’utopie réalisée. »

Il va même plus loin. Pourquoi elle triomphe dans les âmes l’Amérique (Renan l’avait bien dit dans ses Souvenirs) :

« La conviction idyllique des Américains d’être le centre du monde, la puissance suprême et le modèle absolu n’est pas fausse. »

Elle conquiert même ses ennemis l’Amérique. Le Vietnam bosse pour les actionnaires américains (Gap et les textiles) et il s’arme avec son ancien bourreau (quatre millions de morts ?) pour résister contre la Chine. Peut-on résister à cette pieuvre ?

Baudrillard le nie :

« Quoi qu’il arrive, et quoi qu’on pense de l’arrogance du dollar ou des multinationales, c’est cette culture qui fascine mondialement ceux mêmes qui ont à en souffrir, et ce de par cette conviction intime et délirante d’avoir matérialisé tous leurs rêves. »

L’Amérique matérialise les rêves, c’est la magie hollywoodienne. On voit d’ailleurs que le wokisme s’impose sans coup férir en Europe et surtout en France.

« Baudrillard n’oppose pas le capital à la révolution : le capital c’est la révolution, il emporte et ravage tout. En ceci Baudrillard est marxiste : le capital, dit Marx dans le Manifeste, c’est celui qui fait tomber la Grande Muraille. On verra pour la Chine et on se rappellera que pour McCarthy comme pour d’autres conservateurs façon Mullins, Céline, Belloc ou Chesterton, les USA ont créé à la fois l’URSS et la Chine communiste. Ce pays est si puissant qu’il peut créer à volonté ses (faux) opposants. Là il a deux gros morceaux, mais faites-lui confiance. »

Donc le capital est plus rapide que nos rebelles (voyez Klein et No Logo) :

« Non seulement l’histoire ne se rattrape pas, mais il semble que l’actualité même du capital, dans cette société “capitaliste”, ne se rattrape jamais. Ce n’est pourtant pas faute, chez nous critiques marxistes, de courir après le capital, mais il a toujours une longueur d’avance (p. 79). »

Baudrillard ajoute un élément essentiel : l’Amérique est ontologiquement supérieure. Elle complexe l’Europe et l’Europe bafouée et humiliée s’en veut et veut s’exterminer. Pourquoi est-elle supérieure ? Lisons le Maître :

« L’Amérique, elle, s’est trouvée en position de rupture et de modernité radicale : c’est donc là que la modernité est originale, et nulle part ailleurs. Nous ne pouvons faire que l’imiter, sans pouvoir la défier sur son propre terrain » (p. 80)…

Et d’enfoncer le clou avec l’inévitable (que dis-je, fatidique) Hannah Arendt :

« Cette auto-indulgence non dénuée d’humour témoigne d’une société sûre de sa richesse et de sa puissance, et qui aurait en quelque sorte intériorisé la formule de Hannah Arendt selon laquelle la révolution américaine, au contraire de toutes celles d’Europe, c’est une révolution réussie (p. 86). »

Citant un texte antiaméricain de Guillaume Faye, Baudrillard établit que tout ce qu’on reproche à l’Amérique se retourne en sa faveur. On dit qu’elle est violente, criminelle, surendettée, obèse, crétine, bolchevique, féministe, raciste, antiraciste, libérale, clochardisée, fasciste, elle s’en fout : elle se nourrit de nos insultes. Ce qui l’insulte la rend plus forte. On dit depuis cinquante ans qu’elle est moribonde, déclinante, décadente, cool, dégénérée, elle s’en fout encore et nous mène à la chambre à gaz. L’Amérique n’est pas décadente, au contraire donc :

« Bien sûr tout cela est une parodie ! Si toutes ces valeurs ne supportent pas d’être parodiées, c’est qu’elles n’ont plus d’importance. Oui, la Californie (et l’Amérique avec elle) est le miroir de notre décadence, mais elle n’est pas décadente du tout, elle est d’une vitalité hyperréelle, elle a tout l’énergie du simulacre. C’est le lieu mondial de l’inauthentique » — bien sûr : c’est ça qui fait son originalité et sa puissance. Cette montée en puissance du simulacre, vous l’éprouvez ici sans effort (p. 101). »

L’Amérique a même gagné la guerre du Vietnam en faisant pleurnicher le public pour ses bidasses : qui a jamais vu un film vietnamien sur cette guerre ? Elle a même imposé son apocalypse à l’Asie, qui s’est ensuite couverte de gratte-ciel, de fastfoods, d’autoroutes, d’aéroports, de centres de recherche, d’ateliers et de camps de vacances — puis de centres de vaccination anti-covid. Elle a même pu se barrer en se marrant de l’Afghanistan (voyez l’excellent Mozinor).




Maurice Strong et la bonne volonté génocidaire des élites

[Publié initialement par Le Saker Francophone]

Par Nicolas Bonnal

BFM annonce tout content que plus d’un automobiliste sur deux ne pourra plus rouler. Un petit rappel s’impose sur fond de bonne humeur générale. Jamais l’inconscience française n’a été si extraordinaire.

Comme je l’ai expliqué déjà, le Reset est un vieux plan datant des années 70, de Soleil vert (à la fin on regarde des paysages TV avant de mourir — voyez en pensant aux vieux Sol les « scenic relaxations » tournés partout avec des drones sur YouTube).

Dans les années 70 donc les cerveaux anglo-saxons et malthusiens du dépeuplement se mettent à l’œuvre : on a Rockefeller, Kissinger (n’est-il pas devenu à cent ans une bouche inutile ?) et David Rockefeller qui accélère le tempo en créant la Trilatérale. On a aussi l’effrayant Licio Gelli et le Club de Rome qui annonce comme dans un mauvais film de SF ce qui va se passer. Rappelons toutefois que la population terrestre a doublé depuis cette époque : comme le dit Vincent Held, n’est-ce pas un effet recherché ? Pour arriver leurs fins (faims), créer une catastrophe pour résoudre la crise par une guerre et/ou une extermination massive ? C’est exactement le chemin qu’ils ont suivi en Ukraine et ailleurs. Laisser faire le pire pour pouvoir proposer la solution la pire.

C’est le reproche que fait de Gaulle dans un passage central des Mémoires de guerre à Harry Hopkins : « vous avez laissé faire… ». Le résultat ce fut Hitler.

C’est que ces disciples palladiens (voyez le film de Mark Robson La Septième victime) ne veulent construire que sur du chaos !

Reprenons notre ami William Engdahl, un des rares analystes à avoir une approche historique de nos problèmes (cf. la guerre des Anglo-saxons contre l’Allemagne après la défaite de Sedan) :

Pour comprendre le double langage de la durabilité, il faut remonter à Maurice Strong, un pétrolier canadien milliardaire et ami proche de David Rockefeller, l’homme qui a joué un rôle central dans les années 1970 pour l’idée que les émissions de CO2 dues à l’homme rendaient le monde non durable. Strong a créé le Programme des Nations unies pour l’environnement et, en 1988, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour étudier exclusivement le CO2 d’origine humaine.

Strong, milliardaire crapuleux du pétrole et bienveillant humanitaire (nos riches sont puritains écologiquement, mais ils veulent leurs jets et leurs milliards), ne se paie pas de mots. Quel dommage qu’on ne le lise que dans nos milieux ; car c’est un officiel de l’ONU, pas un Blofeld caché dans les montagnes suisses.

Engdahl nous dit encore :

En 1992, Strong a déclaré, « Le seul espoir pour la planète n’est-il pas que les civilisations industrialisées s’effondrent ? N’est-ce pas notre responsabilité d’y parvenir ? » Au Sommet de la Terre de Rio Strong, la même année, il a ajouté : « Les modes de vie et de consommation actuels de la classe moyenne aisée — impliquant une consommation élevée de viande, l’utilisation de combustibles fossiles, d’appareils électroménagers, de climatisation et de logements de banlieue —

ne sont pas durables.

La décision de diaboliser le CO2, l’un des composés les plus essentiels à la survie de toute vie, humaine et végétale, n’est pas le fruit du hasard. Comme le dit le professeur Richard Lindzen, physicien de l’atmosphère au MIT…

Dans mon texte sur l’occident et le démon des organisations, j’ai parlé du facteur temps pour la mise en place de ces légions devenues globales de décideurs apocalyptiques. Engdahl ajoute — on est au début de la crise interminable du Covid :

La déclaration du Forum Économique Mondial de faire un grand retour en arrière [textuellement The Great Reset ou la Grande Réinitialisation] est, à tous les égards, une tentative à peine voilée de faire avancer le modèle dystopique “durable” de l’Agenda 2030, une nouvelle donne verte mondiale (global “Green New Deal”) dans le sillage des mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19. Leurs liens étroits avec les projets de la Fondation Gates, avec l’OMS et avec les Nations unies laissent penser que nous pourrions bientôt être confrontés à un monde bien plus sinistre après la fin de la pandémie de COVID-19.

Parlons du Club de Rome et de ses provocations verbales ; Rome devenue avec ce pape, son Mammon et son vaccin un des chefs-lieux de la mondialisation satanique (là aussi on ne pourra pas dire qu’on n’avait pas été prévenus depuis les années 1830 et autres) :

En 1968, David Rockefeller a fondé un groupe de réflexion néo-malthusien, The Club of Rome, avec Aurelio Peccei et Alexander King. Aurelio Peccei était un cadre supérieur de la société automobile Fiat, propriété de la puissante famille italienne Agnelli. Gianni Agnelli de Fiat était un ami intime de David Rockefeller et membre du comité consultatif international de la Chase Manhattan Bank de Rockefeller. Agnelli et David Rockefeller étaient des amis proches depuis 1957. Agnelli est devenu membre fondateur de la Commission trilatérale de David Rockefeller en 1973. Alexander King, chef du programme scientifique de l’OCDE, était également consultant auprès de l’OTAN. Ce fut le début de ce qui allait devenir le mouvement néo-malthusien “les gens polluent”.

Les gens comprenez : vous, moi, pas eux. Les vols en avion sont interdits pour la masse, pas pour l’élite (cf. la vidéo d’Idriss sur RI) ; les superyachts sont permis à Di Caprio ou Cotillard (ancienne théoricienne du complot repentie), mais les bateaux de pêche sont interdits aux pécheurs du Sri Lanka, ancien paradis devenu pays martyr depuis son tsunami trafiqué (cf. Naomi Klein).

Dès 1971, on veut mettre fin au progrès — ce qui mettra fin à la population :

En 1971, le Club de Rome a publié un rapport profondément erroné, Limits to Growth, qui prédisait la fin de la civilisation telle que nous la connaissions en raison d’une croissance démographique rapide, combinée à des ressources fixes telles que le pétrole. Le rapport a conclu que sans changements substantiels dans la consommation des ressources, “le résultat le plus probable sera un déclin assez soudain et incontrôlable de la population et de la capacité industrielle”.

Si l’homme est un virus pour l’ancien marri de la reine, il est un cancer pour le gang des industriels italiens (voyez Chesterton, il avait tout prévu dans Un nommé jeudi : les conspirations ne seraient que milliardaires et mondiales). Engdahl ajoute dans un autre texte :

En 1974, le Club de Rome a déclaré avec audace : “La Terre a un cancer et le cancer, c’est l’homme. Ensuite : ‘le monde est confronté à un ensemble sans précédent de problèmes mondiaux imbriqués, tels que la surpopulation, les pénuries alimentaires, l’épuisement des ressources non renouvelables [pétrole-nous], la dégradation de l’environnement et la mauvaise gouvernance’. Ils ont fait valoir que, une restructuration ‘horizontale’ du système mondial est nécessaire… des changements drastiques dans la strate des normes — c’est-à-dire dans le système de valeurs et les objectifs de l’homme — sont nécessaires pour résoudre les crises énergétiques, alimentaires et autres, c’est-à-dire les changements sociaux et des changements dans les attitudes individuelles sont nécessaires pour que la transition vers la croissance organique ait lieu.

C’est un peu la méthode des Shadoks tournés à la même époque remarquez : ‘quand il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème’. en supprimant l’Homme (en particulier la classe moyenne européenne ou américaine) on supprime le problème ! Il nous restera les stations suisses et les yachts (cf. le film 2012).

Le rapport annonce aussi la gouvernance mondialiste qui elle est apparue avec le méphitique Empire britannique, mais aussi et surtout avec les deux guerres mondiales avec finalement les mêmes acteurs : Russie, Chine et les dominateurs de la thalassocratie palladienne anglo-saxonne.

Je termine avec Engdahl :

Dans leur rapport de 1974, Mankind at the Turning Point, le Club de Rome a en outre soutenu :
L’interdépendance croissante entre les nations et les régions doit alors se traduire par une diminution de l’indépendance. Les nations ne peuvent être interdépendantes sans que chacune d’elles renonce à une partie de sa propre indépendance, ou du moins en reconnaisse les limites. Le moment est venu d’élaborer un plan directeur pour une croissance organique durable et un développement mondial basé sur l’allocation mondiale de toutes les ressources limitées et sur un nouveau système économique mondial. C’était la première formulation de l’Agenda 21 des Nations Unies, de l’Agenda 2030 et de la Grande Réinitialisation de Davos en 2020.

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr




Tyrannie humanitaire : René Guénon et la monstruosité occidentale

Par Nicolas Bonnal

La civilisation occidentale devient totalement dégoûtante aux yeux du monde et des antisystèmes. Elle déraille sur le plan spirituel, économique, écologique, culturel, sexuel. Elle est toujours plus folle et belliqueuse, humanitaire et missionnaire, arrogante et psychopathe. Problème : elle a souvent été comme ça pendant son histoire. Voyez le texte de mon ami Guyénot sur l’esprit de croisade et les réflexions de nos amis russes qui ont remplacé les nazis allemands dans l’esprit des toqués aux affaires euro-américaines.

J’avais déjà écrit un texte sur Guénon et notre civilisation hallucinatoire : dans leur histoire en effet les Occidentaux paraissent souvent sous hypnose. Ils sont hypnotisés par des mots (« science », « progrès », « droits », etc.) par le fric, l’hérésie, la luxure, puis par la mission et par la guerre.

J’ai décidé depuis de rependre le même admirable livre de René Guénon, Orient et Occident (1924) pour tenter de voir avec ce grand traditionaliste ce qui ne va pas depuis si longtemps, et ce qu’il faudrait faire.

Guénon est plus optimiste que moi : il écrivait il y a un siècle. Depuis, l’Occident et en particulier l’Amérique a conquis le monde par sa technique, son fric et sa technologie, ses images, ses virus et son informatique, ses marottes et sa porcherie. Mais comme on voit enfin se profiler une résistance sur fond d’effondrement voulu et provoqué par un consortium de milliardaires devenus fous et possédés (cf. les dibbouks du folklore juif que citait récemment Howard Kunstler dans un texte hélas incompris), et que cette résistance concerne des pays au profil traditionnel guénonien (Inde, Chine, monde arabe) je me suis dit qu’il serait bon de partager avec mes lecteurs les réflexions de Guénon sur l’anomalie occidentale qui éclate au grand jour au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Le texte va être assez long et il serait dommage de s’en lasser trop tôt.

Guénon donc (première partie d’Orient et Occident) :

« La civilisation occidentale moderne apparaît dans l’histoire comme une véritable anomalie : parmi toutes celles qui nous sont connues plus ou moins complètement, cette civilisation est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, et ce développement monstrueux, dont le début coïncide avec ce qu’on est convenu d’appeler la Renaissance, a été accompagné, comme il devait l’être fatalement, d’une régression intellectuelle correspondante… »

Chez Guénon intellectuel désigne en fait le spirituel théologique, la capacité de parler sérieusement de Dieu et du monde spirituel. À l’époque cela décline déjà (mais en relisant Huizinga, on découvrirait que le quatorzième siècle n’était déjà pas très brillant). Guénon rajoute :

« Nous rappellerons seulement que Descartes a limité l’intelligence à la raison, qu’il a assigné pour unique rôle à ce qu’il croyait pouvoir appeler métaphysique de servir de fondement à la physique, et que cette physique elle-même était essentiellement destinée, dans sa pensée, à préparer la constitution des sciences appliquées, mécanique, médecine et morale, dernier terme du savoir humain tel qu’il le concevait… »

Tout cela se manifeste en Occident, ce côté de l’obscurité, et va se radicaliser avec l’utopie américaine réalisée bien décrite par Boorstyn, Baudrillard ou Watzlawick. Guénon écrit que « mentalement aussi bien que géographiquement, l’Amérique actuelle est vraiment l’“Extrême-Occident” ; et l’Europe suivra, sans aucun doute, si rien ne vient arrêter le déroulement des conséquences impliquées dans le présent état des choses. »

Ensuite le problème important que soulève Guénon est celui de civilisation élue. Cette civilisation occidentale hérétique, scientifique et technique se sent élue (ce qui explique sa violence et l’incroyable interventionnisme US) :

« Mais ce qu’il y a peut-être de plus extraordinaire, c’est la prétention de faire de cette civilisation anormale le type même de toute civilisation, de la regarder comme “la civilisation” par excellence, voire même comme la seule qui mérite ce nom. C’est aussi, comme complément de cette illusion, la croyance au “progrès”.»

Citant un excellent texte de l’historien Jacques Bainville, Guénon écrit :

« La civilisation, c’était donc le degré de développement et de perfectionnement auquel les nations européennes étaient parvenues au XIXe siècle. Ce terme, compris par tous, bien qu’il ne fût défini par personne, embrassait à la fois le progrès matériel et le progrès moral, l’un portant l’autre, l’un uni à l’autre, inséparables tous deux. »

Nous découvrons (c’est la fameuse théorie de la conspiration conspuée partout et menacée par le néo-totalitarisme ambiant) que l’on nous a menti sur tout (croisades, lune, guerres, épidémies, etc.) ; or Guénon le dit déjà très bien :

« Il faut convenir que l’histoire des idées permet de faire parfois des constatations assez surprenantes, et de réduire certaines imaginations à leur juste valeur ; elle le permettrait surtout si elle était faite et étudiée comme elle devrait l’être, si elle n’était, comme l’histoire ordinaire d’ailleurs, falsifiée par des interprétations tendancieuses, ou bornée à des travaux de simple érudition, à d’insignifiantes recherches sur des points de détail. L’histoire vraie peut être dangereuse pour certains intérêts politiques ; et on est en droit de se demander si ce n’est pas pour cette raison que certaines méthodes, en ce domaine, sont imposées officiellement à l’exclusion de toutes les autres : consciemment ou non, on écarte a priori tout ce qui permettrait de voir clair en bien des choses, et c’est ainsi que se forme l’“opinion publique”.»

Cela ressemble bien à la guerre occulte décrite par Julius Evola dans les Hommes au milieu des ruines. Nietzsche a très bien écrit à ce sujet dans sa deuxième considération actuelle sur l’Histoire : l’historien est un journaliste qui adapte au goût trivial du jour les temps anciens que l’on ne comprend pas ou plus.

On reprend sur la capacité hallucinatoire occidentale :

« Certes, “le Progrès” et “la Civilisation”, avec des majuscules, cela peut faire un excellent effet dans certaines phrases aussi creuses que déclamatoires, très propres à impressionner la foule pour qui la parole sert moins à exprimer la pensée qu’à suppléer à son absence ; à ce titre, cela joue un rôle des plus importants dans l’arsenal de formules dont les “dirigeants” contemporains se servent pour accomplir la singulière œuvre de suggestion collective sans laquelle la mentalité spécifiquement moderne ne saurait subsister bien longtemps. »

Guénon enfonce plus le clou :

« Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes. »

Puis il souligne le caractère moraliste aberrant (Nietzsche parle d’hystérie féminine chez l’Occidentale moderne dans Par-delà le bien et le mal : voyez la septième partie intitulée Nos vertus) qui progresse avec le culte du fric et du profit :

« Développement matériel et intellectualité pure sont vraiment en sens inverse ; qui s’enfonce dans l’un s’éloigne nécessairement de l’autre… »

On bascule dans le sentimentalisme guerrier (Todd en a bien parlé dans Après l’Empire quand il oppose la « femme castratrice américaine » à l’islam) puis dans le « zen emballé sous vide » (Debord) et le mysticisme de drugstore :

« En fait, matérialité et sentimentalité, bien loin de s’opposer, ne peuvent guère aller l’une sans l’autre, et toutes deux acquièrent ensemble leur développement le plus extrême ; nous en avons la preuve en Amérique, où, comme nous avons eu l’occasion de le faire remarquer dans nos études sur le théosophisme et le spiritisme, les pires extravagances “pseudo-mystiques” naissent et se répandent avec une incroyable facilité, en même temps que l’industrialisme et sa passion des “affaires” sont poussés à un degré qui confine à la folie ; quand les choses en sont là, ce n’est plus un équilibre qui s’établit entre les deux tendances, ce sont deux déséquilibres qui s’ajoutent l’un à l’autre et, au lieu de se compenser, s’aggravent mutuellement… »

Dans son livre sur l’impérialisme (livre annoté et cité par Lénine dans l’Impérialisme…), Hobson remarque « l’inconsistance » occidentale. Le caractère américain, brutal et pleurnichard, dans Apocalypse now sous la plume du savant John Milius cela donne : « on les bombardait puis on leur amenait des pansements » et même des missionnaires… Guénon sur la question :

« Ainsi, le “moralisme” de nos contemporains n’est bien que le complément nécessaire de leur matérialisme pratique : et il serait parfaitement illusoire de vouloir exalter l’un au détriment de l’autre, puisque, étant nécessairement solidaires, ils se développent tous deux simultanément et dans le même sens, qui est celui de ce qu’on est convenu d’appeler la “civilisation”.»

Guénon qui ne déteste pas Voltaire (il a bien raison, la fin « turco-musulmane » de Candide est un chef-d’œuvre d’intelligence et de vraie tolérance) ajoute :

« D’ailleurs, ce qui est encore beaucoup plus simple, ils s’empressent ordinairement d’oublier la leçon de l’expérience ; tels sont ces rêveurs incorrigibles qui, à chaque nouvelle guerre, ne manquent pas de prophétiser qu’elle sera la dernière. Au fond, la croyance au progrès indéfini n’est que la plus naïve et la plus grossière de toutes les formes de l’optimisme »

Tout cela nous rapproche d’Audiard et de celui qui ose tout (notion inspirée comme on sait tous par Saint-Thomas d’Aquin…) On sait que l’Occident a gagné sa guerre contre la Russie (vous ne le lui enlèverez pas de la tête) et déjà gagné contre la Chine. Guénon :

« Le monde moderne a proprement renversé les rapports naturels des divers ordres ; encore une fois, amoindrissement de l’ordre intellectuel (et même absence de l’intellectualité pure), exagération de l’ordre matériel et de l’ordre sentimental, tout cela se tient, et c’est tout cela qui fait de la civilisation occidentale actuelle une anomalie, pour ne pas dire une monstruosité. »

L’obsession du changement est subtilement dénoncée : on aurait pu crever en vieux blancs bien tranquilles et fainéants ; mais non, nos élites conduites par Strong ou Kissinger ont voulu nous exterminer et appellent cela un énième changement ; Philippe Muray avec qui j’en avais parlé l’avait bien compris.

« Ce que les Occidentaux appellent progrès, ce n’est pour les Orientaux que changement et instabilité ; et le besoin de changement, si caractéristique de l’époque moderne, est à leurs yeux une marque d’infériorité manifeste : celui qui est parvenu à un état d’équilibre n’éprouve plus ce besoin, de même que celui qui sait ne cherche plus. »

Puis Guénon devient presque trivial (Guénon, trivial ?!) : ce que l’Orient voudrait c’est qu’on lui foute la paix !

« Mais qu’on se rassure : rien n’est plus contraire à leur nature que la propagande, et ce sont là des soucis qui leur sont parfaitement étrangers ; sans prêcher la “liberté”, ils laissent les autres penser ce qu’ils veulent, et même ce qu’on pense d’eux leur est fort indifférent. Tout ce qu’ils demandent, au fond, c’est qu’on les laisse tranquilles ; mais c’est ce que refusent d’admettre les Occidentaux, qui sont allés les trouver chez eux, il ne faut pas l’oublier, et qui s’y sont comportés de telle façon que les hommes les plus paisibles peuvent à bon droit en être exaspérés. »

À la même époque, Bernanos comprend que l’homme égal c’est l’homme pareil (voyez mes textes sur la France — la pauvre ! — contre les robots). Guénon écrit… pareillement :

« L’‘égalité’ si chère aux Occidentaux se réduit d’ailleurs, dès qu’ils sortent de chez eux, à la seule uniformité ; le reste de ce qu’elle implique n’est pas article d’exportation et ne concerne que les rapports des Occidentaux entre eux, car ils se croient incomparablement supérieurs à tous les autres hommes, parmi lesquels ils ne font guère de distinctions… »

C’est vrai que pour l’Américain et ses mille milliards de dollars de déficit commercial tout devient article d’exportation, même la drogue qui rend zombi.

Chose amusante, l’Occidental exige qu’on l’admire :

« Les Européens ont une si haute opinion de leur science qu’ils en croient le prestige irrésistible, et ils s’imaginent que les autres peuples doivent tomber en admiration devant leurs découvertes les plus insignifiantes… »

À côté de cela notre crétin est repentant et exige d’être remplacé. Guénon explique pourquoi :

« L’orgueil, en réalité, est chose bien occidentale ; l’humilité aussi, d’ailleurs, et, si paradoxal que cela puisse sembler, il y a une solidarité assez étroite entre ces deux contraires : c’est un exemple de la dualité qui domine tout l’ordre sentimental, et dont le caractère propre des conceptions morales fournit la preuve la plus éclatante, car les notions de bien et de mal ne sauraient exister que par leur opposition même. En réalité, l’orgueil et l’humilité sont pareillement étrangers et indifférents à la sagesse orientale… »

Les complexes de la personnalité occidentale étaient résumés finalement par la formule de Victor Hugo (génie qui pouvait écrire n’importe quelle ineptie à côté de n’importe quel trait juste) : « je suis une force qui va ! » Guénon :

« Ce changement où il est enfermé et dans lequel il se complaît, dont il n’exige point qu’il le mène à un but quelconque, parce qu’il en est arrivé à l’aimer pour lui-même, c’est là, au fond, ce qu’il appelle “progrès”, comme s’il suffisait de marcher dans n’importe quelle direction pour avancer sûrement ; mais avancer vers quoi, il ne songe même pas à se le demander… »

L’Occidental c’est la « recherche » (défense de se moquer de Proust !) :

« Le goût maladif de la recherche, véritable “inquiétude mentale” sans terme et sans issue, se manifeste tout particulièrement dans la philosophie moderne, dont la plus grande partie ne représente qu’une série de problèmes tout artificiels, qui n’existent que parce qu’ils sont mal posés, qui ne naissent et ne subsistent que par des équivoques soigneusement entretenues ; problèmes insolubles à la vérité… »

Le maître souligne le péril anglo-saxon (De Maistre et Bonald l’avaient fait déjà, voyez mes textes) :

« C’est chez les peuples anglo-saxons que le “moralisme” sévit avec le maximum d’intensité, et c’est là aussi que le goût de l’action s’affirme sous les formes les plus extrêmes et les plus brutales ; ces deux choses sont donc bien liées l’une à l’autre comme nous l’avons dit. Il y a une singulière ironie dans la conception courante qui représente les Anglais comme un peuple essentiellement attaché à la tradition, et ceux qui pensent ainsi confondent tout simplement tradition avec coutume. »

À l’époque déjà la domination est fragile. Mais en cessant d’être coloniale elle est souvent devenue plus dangereuse (voyez mon texte sur Titus Burckhardt et la tradition marocaine détruite par l’État moderne marocain) : l’État moderne dénoncé par Jouvenel s’est appliqué partout et il projette partout sa meurtrière matrice totalitaire. Davos et les smart cities sont là pour nous le rappeler comme leur développement durable globalisé aux relents si génocidaires…

« Les Occidentaux, malgré la haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur civilisation, sentent bien que leur domination sur le reste du monde est loin d’être assurée d’une manière définitive, qu’elle peut être à la merci d’événements qu’il leur est impossible de prévoir et à plus forte raison d’empêcher. »

Guénon sera moins optimiste sur l’Orient traditionnel dans le Règne de la quantité ; et Frithjof Schuon encore beaucoup moins (cf. Burckhardt cité supra).

La folie occidentale n’est pas près de s’interrompre ; sur ce point le maître ne se trompe pas :

« Quoi qu’il en soit de ces prévisions peut-être lointaines, les Occidentaux d’aujourd’hui en sont encore à se persuader que le progrès, ou ce qu’ils appellent ainsi, peut et doit être continu et indéfini ; s’illusionnant plus que jamais sur leur propre compte, ils se sont donné à eux-mêmes la mission de faire pénétrer ce progrès partout, en l’imposant au besoin par la force aux peuples qui ont le tort, impardonnable à leurs yeux, de ne pas l’accepter avec empressement. Cette fureur de propagande, à laquelle nous avons déjà fait allusion, est fort dangereuse pour tout le monde, mais surtout pour les Occidentaux eux-mêmes, qu’elle fait craindre et détester ; l’esprit de conquête n’avait jamais été poussé aussi loin, et surtout il ne s’était jamais déguisé sous ces dehors hypocrites qui sont le propre du “moralisme” moderne. »

Guénon fait une allusion à la faiblesse ontologique de la « race » occidentale :

« En effet, les peuples européens, sans doute parce qu’ils sont formés d’éléments hétérogènes et ne constituent pas une race à proprement parler, sont ceux dont les caractères ethniques sont les moins stables et disparaissent le plus rapidement en se mêlant à d’autres races ; partout où il se produit de tels mélanges, c’est toujours l’Occidental qui est absorbé, bien loin de pouvoir absorber les autres. »

Il est confirmé par le penseur raciste Madison Grant qui voit sa presque comique « grande race » péricliter partout à la même époque.

Guénon n’évite pas la question juive, ni la russe, ni l’allemande (qui se posait encore alors !) :

« Il est profondément ridicule de prétendre opposer à l’esprit occidental la mentalité allemande ou même russe, et nous ne savons quel sens les mots peuvent avoir pour ceux qui soutiennent une telle opinion, non plus que pour ceux qui qualifient le bolchevisme d’‘asiatique’ ; en fait, l’Allemagne est au contraire un des pays où l’esprit occidental est porté à son degré le plus extrême ; et, quant aux Russes, même s’ils ont quelques traits extérieurs des Orientaux, ils en sont aussi éloignés intellectuellement qu’il est possible. Il faut ajouter que, dans l’Occident, nous comprenons aussi le judaïsme, qui n’a jamais exercé d’influence que de ce côté, et dont l’action n’a même peut-être pas été tout à fait étrangère à la formation de la mentalité moderne en général ; et, précisément, le rôle prépondérant joué dans le bolchevisme par les éléments israélites est pour les Orientaux, et surtout pour les musulmans, un grave motif de se méfier et de se tenir à l’écart ; nous ne parlons pas de quelques agitateurs du type “jeune-turc”, qui sont foncièrement antimusulmans, souvent aussi israélites d’origine, et qui n’ont pas la moindre autorité. »

On arrête ici. Malgré toutes ses tares, l’Occident a gagné, triomphé des sociétés traditionnelles et imposé son modèle de coursier nihiliste qui semble plus excitant aux foules. L’imposition mondiale de la tyrannie informatique nous montre qu’il sera quasiment impossible d’en sortir, comme je l’annonçais dans la première édition de livre sur Internet. Le contrôle de tout par le totalitarisme numérique mettra tout le monde d’accord. Sauf miracle.




L’arnaque Apollo et le déclin technique

[Publication initiale : reseauinternational.net]

Par Nicolas Bonnal

Alors qu’on nous avait saoulés avec une célébration débile et digne de nos siècles hypnotiseurs (René Guénon), je trouve, sur ce sujet lunaire que j’ai plusieurs fois abordé, intelligents et tempérés les propos suivants (source Strategika51.blog) :

« Le programme Apollo a été l’un des programmes les plus ambitieux de l’histoire et a été mené de 1961 jusqu’en 1975. Il aurait permis officiellement l’envoi pour la première fois de l’histoire connue d’hommes sur la surface lunaire.

À en croire l’histoire officielle, ce programme a abouti le 21 juillet 1969 : deux hommes, Neil Armstrong et Buzz Aldrin, marchaient sur la surface lunaire, tandis qu’un autre les attendait sur un module orbital autour de la lune.

Ainsi, l’homme parvint à se poser sur la lune vingt-quatre ans après l’explosion des premières bombes atomiques marquant la fin de la seconde guerre mondiale de 1939-1945.

Ceci est ce que l’on enseigne dans toutes les écoles de la planète.

Qu’en est-il réellement ?

Exit l’aspect technique. Des questions de simple bon sens nous interpellent ici. Nonobstant la contradiction avec la flèche linéaire évolutive de l’histoire des techniques, laquelle nous a été imposée comme un dogme sacré dès le 19ème siècle, comment expliquer qu’il y a 50 ans, l’homme est parvenu à se poser sur la lune et qu’un demi-siècle plus tard, non seulement cette aventure solitaire ne s’est pas répétée, mais n’a donné lieu à aucune évolution ultérieure consécutive à ce premier pas ?

Si l’on suit la logique épistémologique positiviste, le premier pas de l’homme sur la lune aurait dû fonder un processus visant à une installation humaine plus ou moins durable sur la face claire de la lune dans le but d’une exploitation durable des ressources minières disponibles de notre satellite naturel.

Il n’en fut rien. Il n’y a jamais eu de suite à ce programme : Ni les États-Unis ni aucun autre pays sur terre ne purent envoyer des humains sur la lune, il n’y a jamais eu de base sur la lune, aucun survol habité de la lune, pas de mission habitée vers Mars et encore moins vers Vénus. La fusée Saturn fut tout juste utilisée pour mettre Skylab en orbite basse et l’ensemble de l’astronautique habitée s’est repliée en haute atmosphère terrestre ou en orbite basse. C’était la régression consacrée par le programme des navettes spatiales orbitales. La conquête spatiale était terminée. Les auteurs de science-fiction et d’anticipation ayant survécu à cette période perdirent tout espoir. »

Sauf que les auteurs de SF, presque tous agents-fonctionnaires du Deep State ou de l’US Air farce, faisaient partie de la combine (seul un génie comme Dick nous parlait de l’hypnotisation ici-bas).

On conclut :

« Cinquante ans après, les États-Unis n’ont même pas de lanceur fiable et si le retour sur la lune ou une éventuelle mission habitée sur Mars sont souvent évoqués par des politiciens US, c’est plus par populisme et par politique de prestige. Dans les faits, c’est l’impasse. »

Puis on évacue le complot, mais on écrit quand même :

« En évacuant le débat technique et en prenant nos distances avec les théories du complot, nous avons la logique. Et cette logique nous dicte que si l’homme achève un progrès dans un domaine, il entame un processus d’évolution dans ce domaine. Or, si on croit aux petit pas de Neil Armstrong, cela fait un demi-siècle que les hommes sont allés sur la lune. Un demi-siècle plus tard, les hommes ne peuvent même pas se hasarder à quitter l’orbite basse de la terre. Le progrès scientifique et technique s’est-il inversé en ce qui concerne l’espace ?

La réponse à cette question est positive dans tous les cas de figure et quels que soient les arguments présentés ou défendus. Les ordinateurs de bord d’Apollo 11 n’égalaient même pas en puissance de calcul et de traitement le vingtième de ceux du plus petit téléphone bas de gamme destiné aux populations des régions les plus défavorisées sur terre. Un demi-siècle et deux révolutions technologiques plus tard, les hommes se retrouvent dans l’incapacité d’envoyer des humains au-delà de l’orbite basse de la terre, se contentant d’exploiter commercialement ce qu’ils désignent l’espace en y envoyant des satellites et des sondes d’exploration automatiques. »

Le rédacteur anonyme souligne aussi ceci à propos de l’aviation moderne :

« Tout ceci est plus qu’aberrant et il y a bien plusieurs anguilles sous roche. Prenons le cas de l’aviation. Entre 1914 et 1964, les progrès de l’aviation furent époustouflants. En cinquante années, on est passé de petits avions en bois et papier équipés de moteurs primitifs et à très faible rendement énergétique ne dépassant pas les 170 km/h maximum à des super jets pouvant voler à des dizaines de milliers de mètres à des vitesses supersoniques jusqu’à Mach 3 dans les années 60. Comment se fait-il dès lors que l’inverse se produisit en astronautique habitée ? »

Sur ce sujet notre anonyme manifeste une petite incohérence : le Concorde englouti par qui l’on sait, nous sommes placés pour savoir qu’il n’y eut plus de réels progrès dans l’aviation civile et même militaire, et ce depuis les années soixante-soixante-dix. Notre seul progrès est celui de la réalisation de ce camp de concentration électronique mondial, auquel participe tout le monde, communauté antisystème y compris. Désolés, mais c’est l’enfer de Dante : « laissez tomber toute espérance, vous qui entrez. » Les déboires actuels de Boeing et de l’aviation américaine (737, JSF), le cataclysme énergétique (fracking, éoliennes, etc.), la crapulerie automobile devraient réveiller les plus distraits. Je lisais dans Bloomberg/Zerohedge.com que les robots ne nous tueront pas tous, et que les africains remplaceront tantôt les Chinois pour fabriquer les gadgets dont nous ricains raffolons…

On croit rêver, mais passons. Il ne reste au système que l’hypnose/simulacre : la télé en bandeau, la hausse algorithmique des marchés, l’imprécation nucléaire.

Le mensonge américain a été étayé par le silence russe, à qui Apollo fit perdre la face et la guerre froide.

Notre anonyme donc :

« Autre question. L’Union soviétique, qui fut la première puissance astronautique, ne parvint jamais à envoyer des cosmonautes au-delà de l’orbite basse. Et ce n’est pas la volonté, les programmes ou les fonds qui manquèrent à cette fin. Les Soviétiques étaient dans l’ensemble bien plus audacieux en matière de conquête spatiale que ne l’étaient les Américains et pourtant ils ne parviendront jamais à rivaliser avec les missions Apollo et garderont un très étrange silence sur le programme lunaire US. Ce silence a été hérité par la Russie pour laquelle ce sujet fait partie d’un des tabous collectifs russes.

Personnellement et cela me fait très mal de l’admettre en mon for intérieur vu mon esprit scientifique, je ne crois pas à la présentation qui en a été faite jusqu’ici des programmes Apollo. Il y a trop de contradictions et d’anomalie dans la présentation des faits et plus encore en termes de logique.

J’ai longtemps fait partie des grands enthousiastes de l’astronautique, laquelle fut comme pour beaucoup d’enfants de ma génération et de celles qui nous ont précédés, un rêve d’enfant. Ils nous ont menti pour la lune comme ils nous mentent encore à l’école sur la composition du système solaire. Peu importe le contexte (la guerre froide) ou la motivation (volonté de puissance de l’État et politique de prestige) ou encore la méthode (guerre psychologique, média-guerre, manipulation et raison d’État), un mensonge demeure un mensonge. Or, en ce cas de figure, on a menti à toute l’humanité et à des générations entières. Certes ce n’est pas la première fois dans l’histoire, mais ce précédent très dangereux explique en partie comment on en est arrivé à se faire manipuler pour adhérer à des guerres pour le profit ou à se faire arnaquer par un système économique prédateur et inhumain. »

Et d’ajouter sur la Chine (qui a pourtant tout du faux rebelle, désolé d’insister…) :

« Je n’ai pas d’opinion arrêtée sur la ceinture de Van Halen bien que j’aie épuisé toute la littérature scientifique et technique existante à ce sujet. On ne sait rien. Ce que je sais par contre et que si un espoir existe dans le domaine spatial, il viendra du côté de la Chine où le côté pragmatique l’emporte sur le prestige ou la mise en scène. Le modèle d’exploration spatiale de la Chine vise à exploiter les ressources minières et énergétiques de la lune et des astéroïdes entre Mars et Jupiter et l’on sait déjà que les Chinois ont beaucoup d’ambitions pour ces domaines à fort rendement économique. La Chine a beaucoup de projets pour la Lune dont le symbolisme est assez important dans la culture chinoise. À un certain moment, Washington avait menacé la Chine et dissuadé Pékin de faire survoler un module lunaire au-dessus des sites d’alunissage des missions Apollo sur la face visible de la lune. C’était il y a quelques années. La même menace, mais bien plus imposante avait été faite en son temps à l’Union soviétique entre 1969 et 1973. Il s’agissait de guerre thermonucléaire globale. Ce temps-là est révolu. Soit on assistera à l’ouverture des portes du ciel par la Chine, soit on périra tous sur terre ».

Explication et justification partielle ici de l’actuelle sinophobie de l’élite impotente…

Et je reprendrai Guénon sur ces mensonges hypnotiques du monde moderne :

« À cet égard, nous ne croyons pas qu’on ait jamais remarqué suffisamment l’analogie, pourtant frappante, que l’action de l’orateur, notamment, présente avec celle de l’hypnotiseur (et celle du dompteur est également du même ordre) ; nous signalons en passant ce sujet d’étude à l’attention des psychologues. Sans doute, le pouvoir des mots s’est-il déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes… (Orient et Occident, p. 23). »

On nous ment sur le virus, sur le vaccin, sur la Russie, sur la crise, sur tout. Alors, revenons à l’alunissage.

Insistons sur cette question. Des mauvais plaisants mettent en doute notre alunissage consacré par la télé (c’est que la télé est et surtout reste la seule preuve de tout dans cette société d’imbéciles). On se demande comment les Américains devenus impuissants partout et qui utilisent des moteurs russes en ce moment, ont pu il y a cinquante ans et sans « technologie » (défense de rire) ou presque, envoyer trente lascars sur la lune.

Comme on a peur des insultes et des menaces, on reprend alors Guénon sur cette capacité hallucinatoire du monde moderne et des amers ricains qui nous mènent en enfer :

…à ce titre, cela joue un rôle des plus importants dans l’arsenal de formules dont les « dirigeants » contemporains se servent pour accomplir la singulière œuvre de suggestion collective sans laquelle la mentalité spécifiquement moderne ne saurait subsister bien longtemps. À cet égard, nous ne croyons pas qu’on ait jamais remarqué suffisamment l’analogie, pourtant frappante, que l’action de l’orateur, notamment, présente avec celle de l’hypnotiseur (et celle du dompteur est également du même ordre) ; nous signalons en passant ce sujet d’étude à l’attention des psychologues. Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes…

Je dis bien mener en enfer. La croyance en l’alunissage c’est refuser son libre arbitre, renoncer à sa vocation spirituelle et la remplacer par l’adoration d’une technologie dévoyée, celle qui horrifiait déjà Bloy au temps maudit de l’automobile. Tocqueville nous avait prévenus sur cette menace eschatologique des temps démocratiques :

« Les princes avaient pour ainsi dire matérialisé la violence ; les républiques démocratiques de nos jours l’ont rendue tout aussi intellectuelle que la volonté humaine qu’elle veut contraindre. Sous le gouvernement absolu d’un seul, le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieuse au-dessus de lui ; mais dans les républiques démocratiques, ce n’est point ainsi que procède la tyrannie ; elle laisse le corps et va droit à l’âme. »

Et donc sur Unz.com, un rédacteur écrit justement sur ce problème de nos âmes et de l’hypnose :

« Si les alunissages d’Apollo ont été simulés, de sérieuses questions devraient être posées au sujet de la NASA, pour commencer. Ensuite, il serait nécessaire de réfléchir en profondeur à ce qu’il est advenu des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Et au-delà, le canular lunaire est le point de départ idéal pour réfléchir sur le contrôle hypnotique que la télévision et les médias ont acquis sur notre esprit. Ce n’est pas seulement une question politique. C’est une bataille pour nos âmes. »

Il rappelle ce qu’était la NASA (le filet, en espagnol) :

« La NASA n’était pas seulement un camouflage pour les développements militaires. C’était un rêve fabriqué que de laisser les Américains regarder le ciel pendant que leur gouvernement commettait des atrocités au Vietnam. Ainsi, la NASA avait aussi des liens étroits avec l’industrie cinématographique. Son premier patron, T. Keith Glennan (1958-1961) avait une longue expérience dans la gestion de studios de cinéma à Hollywood (Wisnewski 298). »

Le rédacteur fait un lien sur Walt Disney l’ex-nazi Werner Von Braun facile à contrôler ; puis il rappelle qu’hypnotiquement la NSA nous détournait de la réalité scientifique d’alors, le défoliant et le napalm du Vietnam (deux ? Quatre millions de morts ?), sans oublier le contrôle télé, la pilule et les anxiolytiques. Il cite beaucoup l’excellent livre de l’allemand Wisnewski (c’est d’Allemagne que tout est parti, voyez Une femme sur la lune, un des grands opus méconnus de Fritz Lang censuré par les nazis) :

« Pendant la période de transition entre Johnson et Nixon, Apollo 8 aurait transporté trois astronautes dix fois autour de la lune. Puis, après deux autres missions d’essais (Apollo 9 et 10), six membres de l’équipage d’Apollo ont atterri sur la Lune de 1969 à 1972, le tout sous la présidence de Nixon. Wisnewski (130-139) fournit un parallèle spectaculaire montrant comment les nouvelles de dernière heure liées au programme Apollo ont commodément détourné l’attention du public américain des crimes de guerre au Vietnam. Apollo 11 a atterri sur la lune deux mois après que les médias eurent révélé des bombardements illégaux au Cambodge, et le programme Apollo a cessé juste après la fin officielle de l’engagement des États-Unis en Asie du Sud-Est. »

Alors, écrit Wisnewski :

« Alors que les États-Unis d’Amérique assassinaient des milliers de Vietnamiens, brûlaient un hectare après l’autre de forêts vierges et empoisonnaient la terre avec des pesticides, ils essayaient en même temps de fasciner — ou plutôt d’hypnotiser — le monde avec une conquête d’un tout autre genre. »

Dès lors l’alunissage sert comme le 11 septembre à contrôler psychiquement cette planète entière (« nous sommes tous américains »). Tout le monde tombe dans le panneau, les participants (une infime partie des cadres militaires de la NASA devait être dans le coup, et certainement bien contrôlée) et le grand public comme on dit. Il est hélas vrai que tous en redemandent :

Pour le reste du monde, le frisson culturel et technologique provoqué par l’alunissage a dû être aussi bouleversant et désarmant que le coup négatif du 11 septembre. Jusqu’à ce jour, les États-Unis tirent leur force de l’admiration sans bornes suscitée par ces alunissages. Et je maintiens toujours que cette « conquête » de la lune, ce mythe antique de l’humanité, a élevé l’Amérique au statut de nation quasi divine. Les alunissages s’inscrivent dans la stratégie psychologique globale d’auto-agrandissement du pays, associée à l’asservissement, à l’affaiblissement et à la démoralisation des autres.

La religion spatiale est, comme les grandes découvertes, un opium du peuple (voyez les épisodes de Star Trek dans cette perspective, qui parlent tous de contrôle mental) :

Les voyages spatiaux civils sont devenus une forme d’« opium pour le peuple », une promesse de rédemption apportant un avenir nouveau et meilleur pour l’univers.

Du coup les USA devinrent un objet de culte et d’adoration mondiale :

« En effet, voyager sur la lune et revenir vivant est un exploit aux proportions mythiques. C’est comme voyager dans l’Autre Monde et revenir dans le monde des vivants avec son corps physique. Cela fait des astronautes de la NASA les égaux des anciens héros surnaturels, des demi-dieux immortels, et cette qualité semi-divine se reflète sur les États-Unis dans leur ensemble. Telle était l’importance des alunissages d’Apollo : il s’agissait d’une nouvelle religion mondiale qui élevait les États-Unis au-dessus de toutes les autres nations terrestres. On a beaucoup parlé des religions institutionnelles comme moyen de contrôle mental collectif. Mais aucune croyance religieuse ne peut se comparer au débarquement sur la lune en termes d’abus cyniques de la crédulité des gens. Et aucune religion ne pouvait rivaliser, jusqu’à récemment, pour le nombre de croyants dans le monde. »

Tout cela est arrivé grâce à la télé et à la galaxie de Macluhan, « imbécile le plus consommé de son siècle » (Guy Debord) :

La leçon la plus profonde est que cela a été rendu possible par la télévision et aurait été impossible autrement. Presque personne n’y aurait cru s’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux.

Comment peut-on croire ce qu’on a vu à la télé ? Demandez aux Roumains et à Timisoara. L’hallucination est permanente et concerne tous les théâtres d’opérations, Venezuela, printemps arabes, attentats… « Qui a pu en faire tant sans peine ira forcément plus loin » (Guy Debord).

On cite Alice :

Dans « Par-delà le miroir » de Lewis Carroll, Alice dit à la Reine Blanche qu’« on ne peut pas croire des choses impossibles », mais la Reine insiste sur le fait que c’est possible avec assez de pratique : « Quand j’avais ton âge, je le faisais toujours une demi-heure par jour. Parfois, j’ai cru jusqu’à six choses impossibles avant le petit-déjeuner. » Avec la télévision, croire en six alunissages impossibles est venu sans effort.

Et pourtant Internet est venu et on y a moins cru. Notre ami ajoute :

« En 2016, une enquête amontréque 52 % du public britannique pensait que les missions Apollo étaient truquées. Le scepticisme est plus élevé chez ceux qui étaient trop jeunes pour le voir en direct à la télévision : 73 % des 25-34 ans croient que nous n’avons pas atterri sur la lune, comparativement à 38 % de ceux de 55 ans ou plus. Ces chiffres semblent augmenter chaque année. Les incroyants britanniques n’étaient que25 %il y a dix ans. On ne sait pas combien ils sont aujourd’hui, mais un sondageréalisé en 2018par le Centre russe de recherche sur l’opinion publique a révélé que 57 % des Russes croient qu’il n’y a jamais eu d’alunissage habité. […] Le pourcentage s’élève à 69 % chez les personnes ayant fait des études supérieures : En d’autres termes, plus les gens sont instruits et plus ils sont capables de raisonner rationnellement, moins ils croient aux alunissages. »

Et de nous rappeler :

« La théorie du canular lunaire était presque inconnue avant l’arrivée d’Internet et elle a pris de l’ampleur avec le développement de YouTube, qui a permis à quiconque s’y intéressait d’examiner de près les images d’Apollo. Auparavant, les personnes qui avaient de sérieux doutes avaient peu de moyens de les partager et de rendre leur cas convaincant. L’un des pionniers a étéBill Kaysing, qui a abordé le sujet en 1976 avec son livre qu’il a publié lui-même :On n’est jamais allé sur la lune ; L’escroquerie américaine à 30 milliards de dollars. On peut le qualifier de lanceur d’alerte, puisqu’il travaillait pour Rocketdyne, la société qui a conçu et construit les fusées Apollo. »

Puis, à partir de ces films et d’autres sources, est arrivé le documentaire télévisé novateur, « Did we land on the moon? (2001) », réalisé par John Moffet pour Fox TV. À ma connaissance et à mon avis, c’est encore la meilleure introduction aux arguments des « théoriciens du canular lunaire » : Vous pouvez le regarder ici à partir de sa rediffusion en 2013 sur Channel 5.

L’article cité compte plus de six mille mots. On peut s’y référer, le contester, le compléter, le modifier (il parle du rôle de Kubrick — voyez mon livre). L’idée que je voulais reprendre est celle du vol de notre esprit et du viol de nos âmes. Mais que diable en font-ils ?

Un dernier mot : si on oublie un pauvre dieu grec détourné, en grec ancien le mot Apollo (ἀπώλεια) désigne la perte, le dommage (Matthieu, 26, 8) !

Note de Dereck Abbey

Il ne faut pas oublier de mentionner le site NASASCAM :
nasascam.atspace.co.uk
Ce site est apparu pour la première fois en 1996 (bien que sous un hôte différent) et a été le premier site Web à exposer des preuves solides de falsification dans les images dites d’Apollo Moon. Je crois que vous devriez faire référence à ce site Web bien connu.




Bertrand de Jouvenel et la démocratie totalitaire

« La souveraineté du peuple n’est donc qu’une fiction et c’est une fiction qui ne peut être à la longue que destructive des libertés individuelles. »

Par Nicolas Bonnal

Le grand chapitre de Du pouvoir reste celui sur la démocratie totalitaire. Comment se fait-il qu’en termes de tyrannie, règles, lois, guerres et conquêtes (coloniales ou autres), la démocratie puisse tout se permettre ?

Réponse : le droit de vote. Bitru1 supporte tout — la conscription surtout — depuis qu’on lui a donné le droit de vote — à commencer par la conscription et la guerre ad mortem contre les « tyrans ». Jouvenel cite Taine (voyez mes textes sur cet auteur extraordinaire) :

« Sous les menaces et les souffrances de l’invasion, observe Taine, le peuple a consenti à la conscription : Il la croyait accidentelle et temporaire. Après la victoire et la paix, son gouvernement continue à la réclamer : elle devient permanente et définitive ; après les traités de Lunéville et d’Amiens, Napoléon la maintient en France ; après les traités de Paris et de Vienne, le gouvernement prussien la maintient en Prusse. »

La gangrène française de cette conscription qui va militariser toute l’Europe (dix millions de soldats en 1914) a gagné le monde :

« De guerre en guerre, l’institution s’est aggravée : comme une contagion elle s’est propagée d’État en État ; à présent elle a gagné toute l’Europe continentale, et elle y règne avec le compagnon naturel qui toujours la précède ou la suit, avec son frère jumeau, avec le suffrage universel, chacun des deux plus ou moins produit au jour et tirant après soi l’autre, plus ou moins incomplet ou déguisé, tous les deux conducteurs ou régulateurs aveugles et formidables de l’histoire future, l’un mettant dans les mains de chaque adulte un bulletin de vote, l’autre mettant sur le dos de chaque adulte un sac de soldat… »

Taine entrevoit les charniers de Quatorze et de quarante :

« … avec quelles promesses de massacre et de banqueroute pour le XXème siècle, avec quelle exaspération des rancunes et des défiances internationales, avec quelle déperdition du travail humain, par quelle perversion des découvertes productives, par quel recul vers les formes inférieures et malsaines des vieilles sociétés militantes, par quel pas rétrograde vers les instincts égoïstes et brutaux, vers les sentiments, les mœurs et la morale de la cité antique et de la tribu barbare, nous le savons… »

Ensuite il y a un problème : en démocratie ce n’est jamais le peuple qui décide ou qui gouverne ; Jouvenel cite aussi Montesquieu à cet égard :

« Comme dans les démocraties le peuple paraît faire à peu près ce qu’il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de gouvernements, et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple. »

Il en tire vite une conclusion essentielle ; la souveraineté du peuple est une fiction.

« Cette confusion est le principe du despotisme moderne. On peut, par des institutions sagement combinées, assurer la garantie effective de chaque personne contre le Pouvoir. Mais il n’y a point d’institutions qui permettent de faire concourir chaque personne à l’exercice du Pouvoir, car le Pouvoir est commandement et tous ne peuvent commander. La souveraineté du peuple n’est donc qu’une fiction et c’est une fiction qui ne peut être à la longue que destructive des libertés individuelles. »

Jouvenel est un nostalgique subtil de la royauté traditionnelle :

« La volonté royale était connue pour celle du personnage couronné, de son favori, de son ministre : elle était par-là humaine et particulière, de plain-pied avec les autres volontés. La volonté du Pouvoir démocratique se dit générale. Elle accable chaque individu sous le poids de la totalité des individus qu’elle représente, et opprime chaque intérêt particulier au nom d’un intérêt général qui s’incarne en elle. »

En démocratie ce qui dirige, c’est l’abstraction, c’est le « tout » :

« La fiction démocratique prête aux régents l’autorité du Tout. C’est le Tout qui veut, c’est le Tout qui agit. »

La royauté protégeait les pouvoirs locaux. « Cet heureux temps n’est plus », comme dit Racine – qui n’avait pas vu Bruxelles ou Washington.

À ce sujet Jouvenel cite aussi une lettre méconnue et passionnante de Tocqueville à un familier :

« Les vieux pouvoirs locaux disparaissent sans se rajeunir ou être remplacés par rien, et partout à leur place le gouvernement central prend la direction des affaires. Toute l’Allemagne donnerait plus ou moins le même spectacle, je puis dire tout le continent. Partout on sort de la liberté du Moyen Âge, non pour entrer dans la liberté moderne mais pour retourner au despotisme antique, car la centralisation, ce n’est autre chose que l’administration de l’empire romain modernisée. »

Lettre à H. de Tocqueville dans Œuvres, t. VII, p. 322-323.

Dès le début de la Révolution on va tout balayer. Jouvenel cite l’effarant et sinistre Sieyès, le malin génie de la France moderne (avec quelques dizaines d’autres…) :

« La France ne doit point être un assemblage de petites nations qui se gouverneraient séparément en démocraties, elle n’est point une collection d’États ; elle est un tout unique, composé de parties intégrantes ; ces parties ne doivent point avoir séparément une existence complète parce qu’elles ne sont point des touts simplement unis, mais des parties formant un seul tout. Cette différence est grande, elle nous intéresse essentiellement. Tout est perdu si nous nous permettons de considérer les Municipalités qui s’établissent, ou les Districts ou les Provinces, comme autant de républiques unies seulement sous les rapports de force et de protection commune. »

La chasse aux centrifuges (la Vendée…) commence et la démocratie génocidaire sait s’illustrer :

« Tout pouvoir fait nécessairement la guerre aux tendances centrifuges. Mais la conduite du Pouvoir démocratique offre des particularités remarquables. Il se présente comme venant libérer l’homme des contraintes que faisait peser sur lui l’ancien Pouvoir, issu plus ou moins directement de la conquête. Pourtant la Convention guillotine les fédéralistes, le Parlement d’Angleterre écrase, sous des répressions qui sont parmi les plus sanglantes de l’Histoire, le séparatisme national irlandais, le Gouvernement de Washington déchaîne une guerre telle que l’Europe n’en avait pas encore vu pour étouffer les tentatives des États du Sud de s’organiser en corps séparé. Faut-il citer encore l’action de la République espagnole en 1934 contre la volonté d’indépendance catalane ? »

Voilà pour la cruauté démocratique. Ensuite, il y a le fait que le peuple n’a pas le pouvoir et que certains n’auraient pas dû attendre la réélection de Macron pour le savoir :

« Loin que le peuple soit seul auteur des lois, il ne lui est même pas permis de se prononcer sur les plus générales, qui affectent le plus profondément son existence. Quoiqu’il existe un mode de consultation populaire, le référendum, qui a fait ses preuves en Suisse, le Pouvoir démocratique n’a garde d’y recourir. »

On fait la chasse au local et au particulier (cf. le social-corporatisme de Minc) :

« Le vocable même d’intérêt particulier est alors devenu et demeuré une manière d’injure, évolution du langage qui reflète, pour peu qu’on y réfléchisse, la perpétuelle mobilisation de l’opinion sociale contre les fractions constituantes de la communauté. »

Comme chez Platon (voyez mes textes sur Bloom et Platon), l’avilissement démocratique débouche souvent sur un avènement de la tyrannie :

« L’Autorité n’est plus alors qu’un enjeu, elle perd toute stabilité, toute considération. Le caractère de ceux qui l’exercent va sans cesse s’abaissant jusqu’à ce qu’enfin le Palais du Commandement ait un occupant qui décide de ne point s’en laisser chasser : c’est le tyran. »

Et puis il y a un problème : la démocratie a une élite de gens très occupés par les fonctions et les commissions et cette élite méprise le peuple « pas assez éclairé » depuis toujours ; cette fois Jouvenel cite Kant :

« Le philosophe rangeait parmi les passifs “tous ceux qui pour la conservation de leur existence, leur nourriture ou leur protection, dépendent d’un autre particulier”, c’est-à-dire qu’il aurait refusé le droit de vote à tout le personnel salarié d’une usine. Ce n’est pas, chez d’autres penseurs, l’indépendance mais le loisir qui est le critère des droits civiques. Et ici l’on sent l’influence d’Aristote : c’est le loisir de réfléchir aux affaires publiques qui fait le citoyen, point de loisir point de citoyen. On trouve chez Sieyès et même chez Rousseau comme un regret honteux des facilités que l’esclavage antique donnait à l’homme libre pour former une opinion éclairée. »

Les parlements dégénèrent très vite (cf. l’actuel, drivé par Mélenchon et Le Pen, qui est presque comique dans sa volonté — on pense au deus otiosus d’Eliade — de ne rien foutre) :

« L’avilissement de l’électeur et l’abaissement de l’élu ne sont encore qu’accidentels. Ils vont progressivement devenir systématiques. Des syndicats d’intérêts et d’ambitions se formeront qui, regardant l’assemblée comme une simple attributrice du Pouvoir et le peuple comme un simple remplisseur de l’assemblée, s’ingénieront à capter les suffrages pour investir des députés dociles qui rapporteront à leurs maîtres l’enjeu de toute l’opération ; le commandement de la Société. »

Jouvenel découvre comme Cochin Ostrogorski qui a très bien décrit la « machine » administrative et politique. Et cela donne quelque chose de déplorable la machine :

« C’étaient de grands esprits, les Rousseau, les Jefferson. Les techniciens de la machine n’ont pas de si hautes prétentions ; mais ils connaissent l’homme réel, qui veut de la chaleur, de la camaraderie, de l’esprit d’équipe, et qui est capable pour son clan de nobles sacrifices. Fondée sur une psychologie empirique, la machine réduit au néant et au ridicule les prétentions de la philosophie politique. »

Toujours aussi implacable Jouvenel ajoute :

« Loin d’éveiller la capacité citoyenne chez ceux qui ne la possèdent pas encore, on l’éteint chez ceux qui l’ont acquise. »

Les partis établissent leur tyrannie (voyez nos textes sur Roberto Michels) et Jouvenel établit un parallèle entre démocratie et discipline militaire en citant cette fois Baudelaire :

« Pour étouffer la curiosité que peut inspirer un orateur éminent du bord adverse, pour combattre l’envie de s’instruire par la connaissance d’arguments différents, pour anéantir cette gentillesse naturelle qui prédispose l’homme en faveur de son prochain, on fait vibrer la corde du loyalisme. C’est trahison de lire le journal de l’ennemi, de se rendre à ses réunions sinon pour couvrir sa voix et ensuite le réfuter d’après un canevas passe-partout. Car la bataille politique est une véritable guerre. Baudelaire s’étonnait déjà d’y trouver un langage militaire : “L’avant-garde de la démocratie”, “à la pointe du combat républicain”, et autres. Le poète avait raison. On a transformé les électeurs en soldats, en “militants”. C’est que leurs meneurs sont des conquérants du Pouvoir. »

La politique n’attire donc que les nuls et les soumis — ou les roués :

« La machine a commencé d’écarter les intelligences et les caractères. Maintenant ils s’écartent d’eux-mêmes. Le ton et l’allure de l’assemblée vont s’abaissant. Elle perd toute considération. La puissance effective quitte d’ailleurs l’assemblée à mesure que les partis gagnent en consistance et en discipline. Si l’un d’eux dispose d’assez de sièges pour dominer l’assemblée, elle n’est plus qu’une chambre d’enregistrement de ses décisions. Dans ces conditions aucun gouvernement n’est possible que celui voulu par le parti, que celui du parti. »

Le résultat c’est (par exemple) la tyrannie de Macron et de son parti :

« Ainsi la pratique des partis a fait passer la Souveraineté du Parlement à la Machine victorieuse et les élections ne sont plus qu’un plébiscite par lequel tout un peuple se remet entre les mains d’une équipe. »

Magnifique conclusion : « Les citoyens acceptent cette tyrannie et ne la haïssent que trop tard. »

On se consolera avec cette dernière observation :

« Mais on remarque que là même où la poussée du Pouvoir ne les dépossède point, les citoyens se déchargent eux-mêmes. »

Sources :

Bertrand de Jouvenel – Du pouvoir (éditions Pluriel)

Nicolas Bonnal — Chroniques sur la fin de l’Histoire ; petits écrits libertariens (Amazon.fr)

Hyppolite Taine – Les origines de la France contemporaine (Archive.org)


1 Bitru est un personnage de fiction créé par Albert Paraz, un citoyen français moyen en butte aux vexations de la société et du monde du travail.




Nos oligarchies expliquées aux moins nuls

Par Nicolas Bonnal

Les partis et les oligarchies dénoncés par Pareto et Michels.

On parle d’oligarchies en France, en Amérique et en France. Voyons de quoi il retourne, car cette notion est vieille comme la lune.

Dans son livre sur les partis politiques (sixième partie, chapitre deux), le légendaire Robert Michels reprend (et n’établit pas), à partir des théoriciens Mosca et de Taine, sa thèse sur la loi d’airain des oligarchies. Et cela donne, dans l’édition de 1914 :

« Gaetano Mosca proclame qu’un ordre social n’est pas possible sans une “classe politique”, c’est-à-dire sans une classe politiquement dominante, une classe de minorité. »

Michels indique aussi, sur la démocratie et son aristocratie parlementaire ou intellectuelle :

« La démocratie se complaît à donner aux questions importantes une solution autoritaire. Elle est assoiffée à la fois de splendeur et de pouvoir. Lorsque les citoyens eurent conquis la liberté, ils mirent toute leur ambition à posséder une aristocratie ».

Il sent la menace bolchévique et stalinienne trente ans avant qu’elle n’apparaisse. Il suffit pour lui de lire Marx (un autre qui le voit bien à cette époque est notre Gustave Le Bon) :

« Marx prétend qu’entre la destruction de la société capitaliste et l’établissement de la société communiste, il y aura une période de transition révolutionnaire, période économique, à laquelle correspondra une période de transition politique et “pendant laquelle l’État ne pourra être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat” ; ou, pour employer une expression moins euphémique, nous assisterons alors à la dictature des chefs qui auront eu l’astuce et la force d’arracher aux mains de la société bourgeoise mourante, au nom du socialisme, le sceptre de la domination. »

On aurait donc une oligarchie vieille maison (Blum) et une autre de déraison, celle des communistes. Mais la démocratie parlementaire occidentale a tendance aussi à servir la minorité des possédants. Seul Bakounine le reconnaissait — et Michels le rappelle :

« Bakounine était l’adversaire de toute participation de la classe ouvrière aux élections. II était en effet convaincu que dans une société où le peuple est dominé, sous le rapport économique, par une majorité possédante, le plus libre des systèmes électoraux ne peut être qu’une vaine illusion. “Qui dit pouvoir, dit domination, et toute domination présume l’existence d’une masse dominée”. »

Bakounine énonce dès 1871 : ce peuple (le Français) n’est plus révolutionnaire du tout. Il redoutait aussi les marxistes.

Michels fait au moins une bonne prédiction sur le socialisme autoritaire façon soviétique : « Le socialisme fera naufrage pour n’avoir pas aperçu l’importance que présente pour notre espèce le problème de la liberté… »

Loin de promouvoir le fascisme comme le prétendent les gazetiers, Michels analyse son siècle. Sur l’Italie il écrit :

« Buonarotti dit que “La république idéale de Mazzini ne différait de la monarchie qu’en ce qu’elle comportait une dignité en moins et une charge élective en plus”. »

Michels subodore aussi un présent perpétuel puisqu’il cite le fameux Théophraste, contemporain d’Aristote et auteur des caractères qui inspirèrent ceux de La Bruyère. Sur les partis socialistes, les plus traîtres qui soient, et où que ce soit, il note cette évidence éternelle :

« Mais il existe un autre danger encore : la direction du parti socialiste peut tomber entre les mains d’hommes dont les tendances pratiques sont en opposition avec le programme ouvrier. Il en résultera que le mouvement ouvrier sera mis au service d’intérêts diamétralement opposés à ceux du prolétariat ».

Plus philosophique, ce point de vue qui montre que, comme Bruxelles ou le Deep State, toute bureaucratie échappe à son mandat et devient entropique et dangereuse :

« Le parti, en tant que formation extérieure, mécanisme, machine, ne s’identifie pas nécessairement avec l’ensemble des membres inscrits, et encore moins avec la classe. Devenant une fin en soi, se donnant des buts et des intérêts propres, il se sépare peu à peu de la classe qu’il représente.

Dans un parti, les intérêts des masses organisées qui le composent sont loin de coïncider avec ceux de la bureaucratie qui le personnifie. »

Sur cette notion de machine, étudier et réétudier Cochin et Ostrogorski. On comprend après que l’État finisse par servir la minorité qui le tient et en joue :

« Conformément à cette conception, le gouvernement ou, si l’on préfère, l’État ne saurait être autre chose que l’organisation d’une minorité. Et cette minorité impose au reste de la société l’“ordre juridique”, lequel apparaît comme une justification, une légalisation de l’exploitation à laquelle elle soumet la masse des ilotes, au lieu d’être l’émanation de la représentation de la majorité. »

C’est que l’ilote se contente de peu : manger, boire, regarder la télé, deux semaines de vacances…

Après cette loi d’airain, les conséquences et les inégalités qui vont avec :

« … il surgit toujours et nécessairement, au sein des masses, une nouvelle minorité organisée qui s’élève au rang d’une classe dirigeante. Éternellement mineure, la majorité des hommes se verrait ainsi obligée, voire prédestinée par la triste fatalité de l’histoire, à subir la domination d’une petite minorité issue de ses flancs et à servir de piédestal à la grandeur d’une oligarchie ».

Plus grave, et plus amusante aussi, cette observation :

« Il n’existe aucune contradiction essentielle entre la doctrine d’après laquelle l’histoire ne serait qu’une continuelle lutte de classes, et cette autre d’après laquelle les luttes de classes aboutiraient toujours à la création de nouvelles oligarchies se fusionnant avec les anciennes. »

Et de conclure en souriant, sur le ton du vieil Aristophane :

« On est tenté de qualifier ce processus de tragi-comédie, attendu que les masses, après avoir accompli des efforts titaniques, se contentent de substituer un patron à un autre. »

Une parenthèse personnelle : le brave député, le chef d’entreprise aisé, le bon ministre insulté du coin n’est pas un oligarque. Un oligarque est une tête pesante et pensante qui conspire pour contrôler et étendre ses réseaux sur le monde. Et personne n’a mieux défini les oligarques de la présente mondialisation que Frédéric Bernays, qui écrivait en 1928, longtemps avant les Brzezinski, Soros et autres Bilderbergs :

« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. »

Bernays ajoutait froidement :

« C’est là une conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d’une société au fonctionnement bien huilé… nos chefs invisibles nous gouvernent en vertu de leur autorité naturelle, de leur capacité à formuler les idées dont nous avons besoin, de la position qu’ils occupent dans la structure sociale. Peu importe comment nous réagissons individuellement à cette situation puisque dans la vie quotidienne, que l’on pense à la politique ou aux affaires, à notre comportement social ou à nos valeurs morales, de fait nous sommes dominés par ce nombre relativement restreint de gens — une infime fraction des cent vingt millions d’habitants du pays — en mesure de comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses. Ce sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l’opinion publique, exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d’autres façons de relier le monde et de le guider. »

Bernays ajoute que le président US devient un dieu :

« On reproche également à la propagande d’avoir fait du président des États-Unis un personnage à ce point considérable qu’il apparaît comme une vivante incarnation du héros, pour ne pas dire de la divinité, à qui l’on rend un culte ».

Pas besoin de fascistes avec des démocrates comme ça. On rappelle avec Onfray que Bernays inspirait Goebbels et que son oncle Sigmund Freud envoyait ses livres dédicacés à Benito Mussolini.

Sources

Robert Michels – Les Partis Politiques — Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Flammarion, 1914 (archive.org)

Edward Bernays — Propagande (introduction)

Nicolas Bonnal — Nev le bureaucrate ; chroniques sur la fin de l’histoire (Kindle_Amazon)




Crimée et châtiment : Dostoïevski et la russophobie éternelle

Par Nicolas Bonnal

Certaines et certains croient que la Russie est impopulaire du fait de l’acharnement américain. Rien n’est plus faux : l’Europe a toujours voulu plus ou moins la guerre (France, Allemagne, Autriche, Angleterre), ou victime à l’Est de l’Empire russe ou du communisme, et cela ne s’efface pas comme ça.

Un qui avait tout compris est Dostoïevski.

Et voici ce qu’il écrit dans son Journal (année 1873), que l’on peut lire en bon français (traduction ancienne) sur Wikisource.org :

« On sait que notre peuple est assez ingénieux, mais qu’il manque de génie propre ; qu’il est très beau ; qu’il vit dans des cabanes de bois nommées isbas, mais que son développement intellectuel est retardé par les paralysantes gelées hivernales. On n’ignore pas que la Russie encaserne une armée très nombreuse, mais on se figure que le soldat russe, simple mécanisme perfectionné, bois et ressort, ne pense pas, ne sent pas, ce qui explique son involontaire bravoure dans le combat ; que cet automate sans indépendance est à tous les points de vues à cent piques au-dessous du troupier français. »

Et puis on arrive au choc de 1878, avec l’Angleterre et l’Autriche à propos de la sainte Turquie que l’Occident veut toujours protéger de la sainte Russie. En 1849 déjà, l’Angleterre veut nous — car la République obéit toujours à Albion — entraîner dans une folle guerre contre l’Autriche et la Russie, pour protéger le Turc. Cela donne, dans les beaux Souvenirs de Tocqueville :

« Le gouvernement anglais, ainsi chauffé, prit aussitôt son parti. Cette fois il n’hésitait point, car il s’agissait, comme il le disait lui-même, non seulement du sultan, mais de l’influence de l’Angleterre dans le monde…
Les Anglais nous conviaient à agir comme eux ; mais notre position ne ressemblait guère à la leur… En défendant les armes à la main la Turquie, l’Angleterre risquait sa flotte et nous notre existence. »

Comme toujours les Anglo-saxons risquent moins. Donc ils poussent…

La crise chronique de cette russophobie donne la guerre de Crimée — déjà… Puis, en 1878, les Anglais chauffent une nouvelle fois le monde libre contre la sainte Russie — toujours pour protéger la Turquie ottomane qui massacre les chrétiens orthodoxes.

Et cela donne, sous la plume du maître :

« Nous voici, de nouveau, menacés d’un choc avec l’Europe. Ce n’est pas encore la guerre. On est, pour l’instant, bien peu disposé — ou plutôt disons que la Russie est bien peu disposée à la guerre. C’est toujours cette sempiternelle question d’Orient qui revient à l’horizon. Une fois de plus l’Europe regarde la Russie avec méfiance. Mais pourquoi essayerions-nous de faire la chasse à la confiance, en Europe ? Quand — à quelle époque — l’Europe nous a-t-elle épargné les soupçons ? Peut-elle seulement ne pas douter de nous et penser à nous sans un sentiment hostile ? »

Dostoïevski remarque que l’on reproche à la Russie d’être trop révolutionnaire. Or on est bien d’accord : aujourd’hui, tous les révolutionnaires en France et en Europe sont russophiles. Les autres veulent comme Hitler l’invasion et la destruction de la Russie.

Dostoïevski donc :

« J’ai dit qu’on ne nous aime pas en Europe, nous autres, les Russes, et c’est un fait que personne ne désirera nier. On nous accuse surtout d’être des “libéraux” terribles et même des révolutionnaires. On a cru constater que nos sympathies allaient plutôt aux “démolisseurs” qu’aux conservateurs européens. C’est pour cela qu’on nous considère là-bas plutôt ironiquement, non sans une pointe de haine. On ne peut comprendre que nous nous posions en destructeurs de l’État social de nos voisins. »

Puis, comme s’il voyait venir nos hooligans, l’auteur de Crime et châtiment ajoute — avec la pointe d’humour qu’on lui connaît — ou plutôt qu’on ne lui connaît pas, car on ne le lit pas :

« On nous refuse positivement le droit de désapprouver ce qui se passe en Europe parce qu’on nous regarde comme étrangers à la civilisation européenne. Ce qu’on voit en nous, c’est une bande de barbares égarée en Europe, toujours heureuse quand il y quelque chose à démantibuler pour le plaisir de démantibuler, une horde de Huns toujours désireuse d’envahir la vieille Rome. »

La Rome anglo-américaine, et sa colonie européenne, n’a en tout cas pas changé et chasse toujours le barbare.




James Fenimore Cooper et le rejet de l’Amérique moderne et démocrate

[Illustration : Martin Grelle – Offerings in the Wind]

Par Nicolas Bonnal

Grand nostalgique, l’écrivain James Fenimore Cooper encense les Indiens et rejette le monde moderne. Nous avons déjà relié son œuvre à celle de Tolkien, les Indiens en voie de disparition y tenant les rôles des elfes, êtres supérieurs en voie d’exil et d’extinction.

Dans son grand livre La Prairie perdue, l’universitaire Jacques Cabau écrivait :

« Là, gentleman-farmer éclairé, véritable squire à l’anglaise, il devient le prototype même de ces princes qui gouvernent alors l’Amérique, de cette nouvelle aristocratie qui s’est révoltée contre le roi d’Angleterre parce qu’elle se sait destinée au gouvernement des masses. Le drapeau frappé de treize étoiles flotte depuis quelques années seulement. On n’a pas encore inventé le dollar. On trace les plans d’une capitale digne de treize États fédérés. Aucune frontière ne borne l’ambition de ces trois millions d’Américains, fiers de leur liberté et de leurs sept cent mille esclaves. Mais la fédération des treize États si différents n’est pas encore une nation. L’esprit colonial y perpétue les traditions et les préjugés sociaux de la vieille Europe. »

Lothrop Stoddard et Madison Grant (cités dans un passage crypté de Gatsby — que j’ai commenté ailleurs) ont dressé un portrait enchanté de cette Amérique coloniale que le premier comparait au monde grec. Borges aussi encensa ce grand nombre de génies (Poe, Emerson, Hawthorne, Thoreau, Whitman, Melville, etc.) qui vont tous ou presque rejeter l’involution du monde moderne en Amérique. Mais Fenimore Cooper est le premier à rejeter l’involution de son pays (c’est vrai que pour en arriver à cet océan de laideur urbaine, à Biden et à l’invasion migratoire, au wokisme, à la dette immonde et aux néo-cons…) ; Cabau note :

« L’Amérique n’est alors ni une démocratie idéale, ni un paradis né des utopies du XVIIIe siècle. Il y a vers l’Ouest des pionniers qui défrichent, des trappeurs qui explorent ; il y a dans le Nord des communautés utopiques et des exaltés qui parlent d’égalité et de droits de l’homme. Mais ces gens-là ne comptent guère ; on les méprise même dans la bonne société des planteurs sudistes et des négociants du Nord. »

On est encore dans une société aristocratique :

« Dans cette société encore coloniale où les grands propriétaires et les négociants viennent de conquérir l’indépendance pour prendre le pouvoir et imposer leurs intérêts, les privilèges sociaux rendent la naissance tout aussi nécessaire qu’en Europe. Pour avoir sa place, il faut être bien né. Cooper a tous les traits de cette nouvelle classe dirigeante, austère, très consciente de ses devoirs comme de ses droits, et qui donne l’exemple de la morale, de la dignité et du courage parce que son pouvoir est, comme la démocratie qu’elle institue, d’essence paternaliste. Comme Sir Walter Scott, son maître en littérature, Cooper est homme d’ordre, assez intolérant dans ses opinions théologiques, politiques et sociales, et très conventionnel dans ses goûts. Il s’intéresse peu aux arts, lit de préférence des traités d’histoire, de géographie, ou des récits de voyages, dont il est friand. »

Fenimore Cooper redoute cette immigration EUROPÉENNE qui va détruire le pays (Tocqueville parle de la menace de masses socialistes européennes immigrées à Philadelphie) :

« II est surtout féru de droit. Car ce grand propriétaire foncier, habile gérant de ses terres, s’inquiète des libertés qu’on laisse aux immigrants de s’approprier les terres qu’ils défrichent. Cooper souhaite qu’au lieu d’éparpiller les terres défrichées aux mains des petits colons, on les rassemble en latifundia, en grands domaines. »

Fenimore Cooper s’exile en Europe comme bien des grands auteurs US (Henry James, Hemingway, Fitzgerald…) ; et quand il revient, notre aristocrate écologiste peut sangloter :

« Mais il lui faut déchanter, en 1833, quand il rentre en Amérique. Installé à Cooperstown, il découvre une Prairie ravagée par les pionniers, les terres distribuées à l’encan, un gaspillage de toutes les richesses naturelles, en particulier de la forêt. Il dénonce l’erreur d’une société de plus en plus démocratique, de plus en plus urbaine et industrielle, qui sape ses fondements naturels, et gaspille ses ressources en s’engageant à un rythme trop rapide dans une conception contestable du progrès. Ses attaques contre l’Amérique, ses luttes avec une presse trop librement critique, ses procès enfin contre les défricheurs de terres et les immigrants lui valent une réputation de réactionnaire et d’aristocrate européen. Malgré le succès de ses romans, sa popularité en souffre. Comme sir Walter Scott, et pour les mêmes raisons politiques, quand Fenimore Cooper meurt, en 1851, il est brouillé avec la nation américaine dont il a pourtant, le premier, exprimé les traits les plus profonds. »

Nous avons écrit un texte sur le rapport de Fenimore Cooper à la presse. La typographie aura été le plus grand ennemi de la civilisation (effondrement qualitatif) et aujourd’hui de l’humanité.

Jacques Cabau ajoutait même sur ce rejet élitiste des « modernes » qui nous fait préférer les Indiens (voir Schuon) :

« Les Pionniers, premier volume écrit, est le plus réaliste, le plus documentaire, qui décrit Templeton en fait Cooperstown village de pionniers. Natty Bumppo, vieilli, maussade et bavard, vit là, dans une hutte aux abords de la ville Natty est devenu une sorte de hors-la-loi. Il braconne, menace la maréchaussée, se fait arrêter par le shérif, mettre au pilori, ne cesse de se révolter contre la civilisation qu’il hait parce qu’elle a anéanti la forêt, c’est-à-dire la liberté. Avec la Prairie, qui décrit les derniers jours de Naty Bumppo, le mythe prend toute son ampleur. Au seuil de la mort, le vieux trappeur octogénaire mais encore valide, médite sur l’ensemble de sa vie, Seul avec Hector, son vieux chien édenté qui va le devancer dans la mort, il a fui la civilisation jusqu’au plus profond de la Prairie, sur les contreforts des Montagnes Rocheuses, où acculé au Pacifique, il se dresse soudain dans l’éclat du soleil couchant, et meurt en criant ce mot cryptique et splendide : Here! Ainsi s’achève une vie qui n’a été qu’une longue fuite devant la civilisation, et qui pose le problème de la marche vers l’ouest et de la disparition de la Frontier. »

On découvrira notre livre sur les westerns et on reverra avec profit et enchantement le célèbre documentaire Koyaanisqatsi en voyant le chaos déglingué cauchemardesque qui caractérise aujourd’hui l’Amérique à Biden.


https://www.dedefensa.org/article/de-thoreau-a-koyaanisqatsi-la-civilisation-comme-apocalypse

https://www.dedefensa.org/article/james-fenimore-cooper-et-le-grand-patriarche-indien




G.K. Chesterton et la conspiration ploutocratique (Un nommé Jeudi, 1908)

Par Nicolas Bonnal

On lit et on relit Chesterton, et son génial Nommé Jeudi, publié en 1908, lisible sur Wikisource, qui décrit la situation que nous vivons, que nos anti-conspirateurs dénoncent :

« Vous partagez cette illusion idiote que le triomphe de l’anarchie, s’il s’accomplit, sera l’œuvre des pauvres. Pourquoi ? Les pauvres ont été, parfois, des rebelles ; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que personne à l’existence d’un gouvernement régulier quelconque. Le sort du pauvre se confond avec le sort du pays. Le sort du riche n’y est pas lié. Le riche n’a qu’à monter sur son yacht et à se faire conduire dans la Nouvelle-Guinée. Les pauvres ont protesté parfois, quand on les gouvernait mal. Les riches ont toujours protesté contre le gouvernement, quel qu’il fût. Les aristocrates furent toujours des anarchistes ; les guerres féodales en témoignent. »

C’est qu’en effet les oligarques n’aiment guère obéir.

Dans son roman à clé sur la montée du communisme et de la mondialisation (tous aux mains d’une clique de banquiers), Chesterton, qui avait été révolté par la guerre des Boers liée au diamant (Barnato, Rothschild, Cecil Rhodes et sa périlleuse Table Ronde), ajoute :

« Nous ne sommes pas des bouffons ; nous sommes des hommes qui luttons dans des conditions désespérées contre une vaste conspiration. Une société secrète d’anarchistes nous poursuit comme des lapins. Il ne s’agit pas de ces pauvres fous qui, poussés par la philosophie allemande ou par la faim, jettent de temps en temps une bombe ; il s’agit d’une riche, fanatique et puissante Église : l’Église du Pessimisme occidental, qui s’est proposé comme une tâche sacrée la destruction de l’humanité comme d’une vermine. »

Chesterton ajoute avec humour et fantaisie cette allusion à Cecil Rhodes et à la Table ronde — dont reparlera Carroll Quigley dans ses classiques :

« Voici son application à ces circonstances : la plupart des lieutenants de Dimanche sont des millionnaires qui ont fait leur fortune en Afrique du Sud ou en Amérique. C’est ce qui lui a permis de mettre la main sur tous les moyens de communication, et c’est pourquoi les quatre derniers champions de la police anti-anarchiste fuient dans les bois, comme des lièvres. »

Et comme aujourd’hui on accuse le mondialisme et le transhumanisme des maîtres du réseau (Google, Amazon, Facebook, Apple, GAFA, etc.), Chesterton dénonce les maîtres du rail :

« Mais permettez-moi de vous faire observer que la force de cette racaille est proportionnée à la nôtre et que nous ne sommes pas grand-chose, mon ami, dans l’univers soumis à Dimanche. Il s’est personnellement assuré de toutes les lignes télégraphiques, de tous les câbles. Quant à l’exécution des membres du Conseil suprême, ce n’est rien pour lui, ce n’est qu’une carte postale à mettre à la poste, et le secrétaire suffit à cette bagatelle. »

Nicolas Bonnal

Bibliographie

Gilbert Keith Chesterton — Un nommé jeudi (wikisource)

Nicolas Bonnal –  Littérature et conspiration (Amazon.fr, Dualpha.com)




James Fenimore Cooper et la critique de la presse américaine

Par Nicolas Bonnal

La critique des USA a été longtemps considérée comme l’apanage de xénophobes ou de réactionnaires (elle est même criminalisée en ces temps d’agonie impériale et occidentale). En réalité elle a toujours existé dans les milieux intellectuels américains — dont les représentants les plus brillants, de Poe à Auster en passant par la génération perdue, ont toujours été en lutte contre une matrice monstrueuse faite de ploutocratie humanitaire, de racisme stratégique, de tartuferie puritaine et de militarisme impérial. Découvrons James Fenimore Cooper qui dans son démocrate américain, dresse un portrait au vitriol de sa démocratie (le pire des régimes à l’exclusion…) ; inutile donc de s’en prendre à Beaumont ou Baudelaire pour évoquer une pathologie antiaméricaine.

Je vais citer les passages sur la presse — Fenimore Cooper voit poindre le règne des tyrans médiatiques et des tireurs de ficelle :

« Il ne faut jamais oublier que la presse, en lutte pour les droits naturels mais interdits, n’est pas plus semblable à la presse lorsque ces droits sont obtenus, que l’homme aux prises avec l’adversité, et châtié par le malheur, est comme l’homme rincé de succès et corrompu par la prospérité. »

La montée en puissance de la presse est menaçante :

« L’histoire de la presse est partout la même. À ses débuts, elle est timide, méfiante et dépendante de la vérité pour réussir. À mesure qu’elle acquiert de la confiance avec force, elle propage avec énergie des opinions justes ; répandre les erreurs et promouvoir le mensonge, jusqu’à ce qu’il prévale ; lorsque les abus se précipitent, confondent les principes, les vérités, et tout ce qui est estimable, jusqu’à ce qu’il devienne une question sérieuse de doute. »

Guerres, vaccin, faillite monétaire, menace nucléaire, tyrannie médicale ou politique, la presse justifie tout, cautionne tout et encourage tout. Il y a certes des périodes plus libres mais elles sont derrière nous depuis l’avènement du diktat mondialiste en occident.

Pour Cooper la presse est un tyran tout-puissant qui peut nuire tant qu’elle veut (voir la situation actuelle avec Poutine, la Chine, les populistes, etc.) ; il semble d’ailleurs que la presse est depuis toujours monolithique, qu’elle parle toujours d’une seule voix (Cooper annonce ici Céline) :

« La liberté de la presse, en principe, ressemble à la liberté de porter les armes. Dans un cas, la constitution garantit un droit de publier ; dans l’autre, un droit de garder un mousquet ; mais celui qui blesse son voisin avec ses publications peut être puni, comme celui qui blesse son voisin avec son mousquet peut être puni. La constitution des États-Unis ne garantit même pas le droit de publier, sauf contre les lois du congrès, comme il a été dit précédemment ; la liberté réelle de la presse dépend entièrement des dispositions des gouvernements de plusieurs États, en commun avec la plupart des autres libertés et droits du citoyen. »

La presse américaine — qui va déteindre sur le reste du monde — est déjà imbécile, vulgaire et rabaisse le niveau du lectorat (Tocqueville en parle déjà aussi) :

« La presse à journaux de ce pays se distingue de celle de l’Europe dans plusieurs détails essentiels. Bien qu’il y ait plus d’impressions, elles sont généralement de caractère inférieur. Il s’ensuit que dans tout ce en quoi ils sont utiles, leur utilité est plus diffuse dans la société, et dans tout ce en quoi ils sont nuisibles, le mal qu’ils infligent est plus étendu et plus corrompant. »

L’auteur du dernier des Mohicans (pauvres indiens !) ajoute :

« Le grand nombre de journaux en Amérique, c’est qu’il y a si peu de capitaux, et par conséquent si peu d’intelligence, employés à leur gestion. C’est aussi une raison de l’inexactitude d’une grande partie des vues qu’ils font circuler. »

Cerise sur le gâteau :

« Quand le nombre d’estampes est retenu, et l’avidité avec laquelle on les lit est portée au compte, on s’aperçoit que la nation tout entière, au sens moral, respire une atmosphère de mensonges. »

On est vers 1840 tout de même ! Ô présent permanent…

La presse précipite le déclin des hommes valables et contribue à faire élire n’importe qui (Biden, Truss, Macron, Scholz, etc.) :

« Quiconque a vécu assez longtemps pour constater des changements de ce genre a dû s’apercevoir à quel point les hommes de probité et de vertu perdent leur influence dans le pays, pour être supplantées par ceux qui ne jugent guère une affectation des qualités supérieures nécessaires à leur succès. Ce châtiment craintif doit, dans une grande mesure, être attribué à la corruption de la presse publique, qui, dans son ensemble, doit son existence aux stratagèmes des aventuriers politiques intéressés. »

La presse (les médias et les lobbies qui les tiennent) fait élire son candidat :

« Les éditeurs louent leurs amis personnels et abusent leurs ennemis dans la presse. Et la conséquence est que les lecteurs obtiennent des vues exagérées, et si les journaux sont utiles pour renverser les tyrans, c’est seulement pour établir leur propre tyrannie. La presse tyrannise les hommes publics, les lettres, les arts, les scènes, et même sur la vie privée. »

Gautier (Théophile) précise que la presse éreinte la vie culturelle dans sa préface de Melle de Maupin — écrite à la même époque. Cooper ajoute :

« Sous prétexte de protéger les mœurs publiques, il les corrompt jusqu’à la moelle, et sous le semblant de maintenir la liberté, il établit peu à peu un despotisme aussi impitoyable, aussi cupide et tout aussi vulgaire que celui de n’importe quel état chrétien connu (NDLR : on n’est déjà plus dans des états chrétiens). Avec de fortes professions de liberté d’opinion, il n’y a pas de tolérance ; à parade de patriotisme, point de sacrifice d’intérêts ; et avec des panégyriques complets sur la bienséance, trop souvent, pas de décence. »

La presse en fait instaure le tyran politiquement correct :

« Dans les despotismes, où la faiblesse des corps des nations, est dérivée d’une ignorance de leur force, et de l’absence de moyens d’agir de concert, la presse est le levier par lequel les trônes des tyrans et des préjugés sont le plus facilement renversés, et, sous tels circonstances, les hommes se disputent souvent des privilèges en son nom, qui deviennent dangereux pour la paix de la société, lorsque les droits civils et politiques sont obtenus. »

Sources :

Alexis De Tocqueville – De la démocratie en Amérique

Fenimore Cooper – The American democrat (archive.org)

Charles Baudelaire — préface aux nouvelles d’Edgar Poe

Nicolas Bonnal — Chroniques sur la fin de l’histoire ; Céline




Les oppositions contrôlées

[Source : AVATAR Media]

Le coup de gueule de Nicolas Bonnal.




Michel Debré et la fin peu brillante de la France sous le général de Gaulle (citations)

[Publié initialement sur Le Saker Francophone]

« Comment se fait-il que les familles ne réagissent pas ? »

Charles de Gaulle

Par Nicolas Bonnal

On a parlé déjà de cette mythologie gaulliste qui a accouché d’une souris historique. Mais on nous accuse. Voici alors ce que dit Michel Debré dès les années soixante — sur l’Europe et la fin de la France :

Nous allons vers l’intégration dans l’Europe, c’est-à-dire en fin de compte la fin de la France, et je crains aussi que les divisions de l’Occident et l’incapacité américaine ne conduisent notre civilisation au déclin décisif. Je parle d’abord des forces qui poussent à l’intégration européenne : tous ceux qui sont hostiles à l’État, tous ceux qui ne comprennent pas la nécessité d’une pensée et d’une action indépendantes, se précipitent vers la supranationalité parce qu’ils savent, au fond d’eux-mêmes, que la supranationalité, c’est le protectorat américain.

Aucune planche de salut — le gaullisme est seul et déjà trahi :

Le général de Gaulle m’interrompt pour me demander si je crois possible de résister à ces forces. « Il n’y a que vous et moi qui pensons à l’indépendance de la France. » Je lui réponds que nous devons être, en réalité, plus que deux et j’ajoute qu’il y aura tellement de déceptions à la suite de cette politique d’intégration qu’il ne faut pas douter d’être dans la vérité en expliquant qu’il faut faire l’Europe par l’association des États et non par la disparition des nations, à commencer par la disparition de la France.

Pas besoin de cracher sur Macron donc.

Ensuite ? Ensuite c’est la fameuse citation — qui me rend le Général sympathique (« tout est vain, tout est mort, tout a été », dit De Gaulle citant Zarathoustra — dixit l’étonnant Tournoux) :

Entretien du 26 mai 1968 : j’expose au Général que le but de ma visite est de préciser les conditions qui peuvent permettre le succès du référendum. Interruption du Général : « Je ne souhaite pas que le référendum réussisse. La France le monde sont dans une situation où il n’y a plus rien à faire et en face des appétits, des aspirations, en face du fait que toutes les sociétés se contestent elles-mêmes, rien ne peut être fait, pas plus qu’on ne pouvait faire quelque chose contre la rupture du barrage de Fréjus. II n’y aura bientôt plus de gouvernement anglais ; le gouvernement allemand est impuissant ; le gouvernement italien sera difficile à faire ; même le président des États-Unis ne sera bientôt plus qu’un personnage pour la parade. Le monde entier est comme un fleuve qui ne veut pas rencontrer d’obstacle ni même se tenir entre des môles. Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de Son destin.

Je répète pour le distrait :

Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de Son destin.

De Gaulle se rend compte, ère du cool (voyez mes textes) que la société des années soixante est foutue :

Le Général redit son analyse. Ce qui paraît le frapper le plus c’est le fait que les sociétés se contestent elles-mêmes et n’acceptent plus de règles, qu’il s’agisse de l’Église, de l’Université, et qu’il subsiste uniquement le monde des affaires, dans la mesure où le monde des affaires permet de gagner de l’argent et d’avoir des revenus. Mais sinon il n’y a plus rien. — Paris, dimanche 26 mai 1968…

Écroulement de tout (allez, accusez Debré !) ; mai 68 arrive (ce fut autre chose que les manifs anti retraite, pas vrai ?) :

Des pans entiers de l’enseignement s’effondrent : il n’y a plus d’enseignement de l’architecture ; l’enseignement de la médecine est dans un désordre effroyable ; l’enseignement de l’histoire et de bien d’autres disciplines devient d’un ridicule achevé. Par ailleurs, il n’y a point de hiérarchie ou, plus exactement, la hiérarchie est tuée par l’absence totale de sanctions. Le mal gagne les lycées et, de ce fait, le malaise s’étend sur la France entière.

Désagrégation de l’université et de l’éducation (tous de gauche, donc bien sûr..) :

Je rappelle au Général ce que je disais tout à l’heure. L’autorité n’existe plus de par la volonté délibérée du ministère de l’Éducation nationale et j’ajoute en outre que, pour ce qui concerne les activités socio-éducatives, les chefs d’établissement ont des instructions formelles de ne point intervenir. Je regrette d’autant plus cette abdication et cette complicité que l’on sent les prodromes d’une réaction. Le corps enseignant, même dans ses éléments gauchisants, ne comprend plus cette anarchie et s’émeut de ses conséquences. Le Général me dit : “Comment se fait-il que les familles ne réagissent pas ?”

On répète, car à l’heure de la mutilation sexuelle, intellectuelle et vaccinale des enfants c’est trop drôle :

Comment se fait-il que les familles ne réagissent pas ?”

Sur la démographie, Debré n’est guère plus rassurant — et comme il a raison :

On ne dit pas assez, on ne sait pas assez que nos courbes sont déplorables et que nous allons reprendre d’une manière durable la situation de lanterne rouge de l’Europe dans tout ce qui concerne l’évolution démographique. Sait-on que si l’on écartait les enfants nés d’étrangers installés en France et des étrangers naturalisés à la première ou à la seconde génération, notre situation serait de l’ordre de la catastrophe ?”

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

Sources




Flaubert et la catastrophe française de 1870

Par Nicolas Bonnal

Je dirais que la correspondance de Flaubert est le plus grand livre du monde moderne, devant même le Zarathoustra de Nietzsche, et qu’il est gratuit, à télécharger en plusieurs volumes sur le site Gallica de la bibliothèque nationale, dont on saluera le travail. Il y a des milliers de pages, alors perdez-vous-y.

Flaubert a compris le désastre impérial de Napoléon III, désastre métaphysique et moral avant tout.

En 1853 il écrivait déjà à Louise Colet cette sentence définitive sur notre modernité désastreuse et notre présent permanent :

« 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. »

Ceci dit, on a pu descendre plus bas, notamment en 1870, en 1940, en 1968, ou sous le binôme Macron-Hollande. Comme dit un ami nommé Sylvain, et prof d’informatique dans une fac privée américaine (essayez, cela ouvre l’esprit) : « en France quand on touche le fond on creuse encore ».

Maxime du Camp

Mais voyons 1870. J’en ai parlé citant Maxime du Camp (qui souligne la légèreté française face au sérieux prussien) ou Renan (qui vaticine une victoire russe après celle allemande en Europe). 1870 ouvre la porte de la rapide décadence matérielle, morale et culturelle de la France, jadis modèle et âme de cette Europe. La république sera pire que l’empire, et le bilan de la troisième république fut à tous égards désastreux, y compris sur le plan moral avec entre autres les crimes du colonialisme inutile.

1870… L’époque est déjà assez nihiliste et Flaubert écrit du reste :

« On se paye de mots dans cette question de l’immortalité, car la question est de savoir si le moi persiste. L’affirmative me paraît une outrecuidance de notre orgueil, une protestation de notre faiblesse contre l’ordre éternel. La mort n’a peut-être pas plus de secrets à nous révéler que la vie. Quelle année de malédiction ! Il me semble que je suis perdu dans le désert. »

L’année est mauvaise déjà en juin, et il le rappelle :

« Je ne suis pas plus gai que vous, car l’année a été, pour moi, atroce. J’ai enterré presque tous mes amis ou du moins les plus intimes. En voici la liste : Bouilhet, Sainte-Beuve, Jules de Goncourt Duplan le secrétaire de Cernuschi, et ce n’est pas tout. »

Mais démarrons. La guerre arrive, les esprits en France sont enflammés, et on cherche à se prendre une énième rouste. Le 22 juillet, Flaubert écrit à George Sand (une gauchiste caviar adorée aussi par Tocqueville) :

« Que devenez-vous, chère maître, vous et les vôtres ? Moi, je suis écœuré, navré par la bêtise de mes compatriotes. L’irrémédiable barbarie de l’humanité m’emplit d’une tristesse noire. Cet enthousiasme, qui n’a pour mobile, aucune idée, me donne envie de crever pour ne plus le voir. »

Les raisons :

« Le bon Français veut se battre 1° parce qu’il est jaloux de la Prusse ; parce que l’état naturel de l’homme est la sauvagerie ; 3° parce que la guerre contient en soi un élément mystique qui transporte les foules. »

Le trait de génie ensuite :

« En sommes-nous revenus aux guerres de races ? J’en ai peur. »

Après notre artiste en remet une louche sur le bourgeois sartrien d’alors :

« Le bourgeois d’ici ne tient plus. Il trouve que la Prusse était trop insolente et veut “se venger”. »

Le 3 août Flaubert revient sur ce bellicisme insensé (cf. le « Français parfaitement enthousiaste » de Louis-Ferdinand Céline, avant la raclée de juin 40) :

« Je vous assure qu’ici on se ferait assommer si on s’avisait de prêcher la paix. Quoi qu’il advienne, nous sommes reculés pour longtemps. »

Le génie ensuite. Flaubert insiste sur le racisme entre petits blancs :

« Les guerres de races vont peut-être recommencer. On verra, avant un siècle, plusieurs millions d’hommes s’entre-tuer en une séance. Tout l’orient contre toute l’Europe, l’ancien monde contre le nouveau. Pourquoi pas ? »

Mais il voit aussi dans cette grosse guerre une malédiction liée à Suez (tiens, tiens…) et la grande industrie :

« Les grands travaux collectifs comme l’isthme de Suez sont peut-être, sous une autre forme, des ébauches et des préparations dont nous n’avons pas idée. »

À cette époque la France plonge vite dans la misère (et on nous fait le coup des cinq milliards payés rubis sur l’ongle…) :

« La misère s’annonce bien. Tout le monde est dans la gêne, à commencer par moi. Mais nous étions peut-être trop habitués au confortable et à la tranquillité. »

Comme toujours Flaubert regrette un bon vieux temps qu’il sait pourri pourtant :

« Nous nous enfoncions dans la matière. Il faut revenir à la grande tradition, ne plus tenir à la vie, au bonheur, à l’argent, ni à rien ; être ce qu’étaient nos grands-pères, des personnes légères, gazeuses. Autrefois on passait sa vie à crever de faim. »

Le 17 août, encore à George Sand :

« Je suis arrivé à Paris lundi et j’en suis reparti mercredi. Je connais maintenant le fond du Parisien et j’ai fait dans mon cœur des excuses aux plus féroces politiques de 1793. Maintenant, je les comprends. Quelle bêtise quelle lâcheté, quelle ignorance, quelle présomption ! Mes compatriotes me donnent envie de vomir. Ils sont à mettre dans le même sac qu’Isidore. Ce peuple mérite peut-être d’être châtié, et j’ai peur qu’il le soit. »

Et ce peuple a régulièrement été châtié et il s’en moque à chaque fois. C’est ce qui fera de Céline le pacifiste enragé et le francophobe dont j’ai parlé.

Puis Flaubert annonce notre ère ubuesque :

« Voilà où nous a conduits le suffrage universel, dieu nouveau que je trouve aussi bête que l’ancien. N’importe. Vous croyez qu’il en sera démonté, le bon suffrage universel ? Pas du tout. Après Isidore, nous aurons Pignouf 1er. Ce qui me désole dans cette guerre, c’est que les Prussiens ont raison. À leur tour ! Puis à celui des Russes ! »

Déchéance française mais aussi défaite allemande en perspective :

« Nous allons devenir une Pologne, puis une Espagne. Puis ce sera le tour de la Prusse, qui sera mangée par la Russie. Quant à moi, je me regarde comme un homme fini. Ma cervelle ne se rétablira pas. On ne peut plus écrire quand on ne s’estime plus. Je ne demande qu’une chose, c’est à crever, pour être tranquille. »

J’ai cité dans mes chroniques cette grande envolée de Renan, extraite d’une lettre à un célèbre historien allemand :

« Le Slave, dans cinquante ans, saura que c’est vous qui avez fait nom synonyme d’esclave : il verra cette longue exploitation historique de sa race par la vôtre, et le nombre du Slave est le double du vôtre, et le Slave, comme le dragon de l’Apocalypse dont la queue balaye la troisième partie des étoiles, traînera un jour après lui le troupeau de l’Asie centrale, l’ancienne clientèle des Gengis Khan et Tamerlan. »

Flaubert voit la fin d’un dix-neuvième siècle heureux et l’avènement des misères modernes. Il voit un déclin ontologique, comme Nietzsche un peu plus tard (lisez et relisez la deuxième considération sur l’histoire) :

« Nous sommes assaillis de pauvres. Ils commencent à faire des menaces. Les patrouilles de ma milice commenceront la semaine prochaine, et je ne me sens pas disposé à l’indulgence. Ce qu’il y a d’affreux dans cette guerre, c’est qu’elle vous rend méchant. J’ai maintenant le cœur sec comme un caillou et, quoi qu’il advienne, on restera stupide. Nous sommes condamnés à parler des Prussiens jusqu’à la fin de notre vie. »

À Maxime du Camp, il écrit le 29 septembre :

« Ce qui me désole, c’est l’immense bêtise dont nous serons accablés ensuite. Toute gentillesse, comme eût dit Montaigne, est perdue pour longtemps. Un monde nouveau va commencer. On élèvera les enfants dans la haine du Prussien. Le militarisme et le positivisme le plus abject, voilà notre lot désormais à moins que, la poudre purifiant l’air, nous ne sortions de là, au contraire, plus forts et plus sains. »

Pour être honnête j’ai déjà cité Edmond Burke à ce sujet, Burke et son « siècle de philosophes, d’économistes et de sophistes », Burke et cette « chevalerie à jamais en allée »…

The age of chivalry is gone [L’ère de la chevalerie est révolue].

On parle beaucoup de déchéance impériale américaine ; tout est basé sur du faux, du toc et de la dette. Idem à cette époque pour l’empire bonapartiste :

« Oui, mon vieux, tu as raison. Nous payons maintenant le long mensonge où nous avons vécu, car tout était faux, fausse armée, fausse politique, fausse littérature, faux crédit et mêmes fausses courtisanes. Dire la vérité c’était être immoral. »

La république arrive avec Gambetta et ses cassages de jambe (Bernanos), et on se doute que Flaubert, malgré Sand, ne s’en contente pas. Il écrit à sa nièce Caroline, celle qui le ruinera :

« La République me paraît dépasser l’Empire en bêtise. On parle toujours des armées du Centre et on ne les voit pas. On promène les soldats d’une province à l’autre, voilà tout. »

Léon Gambetta

Il voit un monde nouveau naître, bien plus nul que l’ancien, celui du règne de la quantité et de la médiocrité qui finit sous nos yeux en ce moment. À mon avis, et je l’ai prouvé, Chateaubriand a parfaitement traité cette question dans la conclusion des Mémoires d’Outre-tombe. Mais notre génial Flaubert ajoute que la prochaine guerre sera mondiale :

« Quoi qu’il advienne, le monde auquel j’appartenais a vécu. Les Latins sont finis maintenant c’est au tour des Saxons, qui seront dévorés par les Slaves. Ainsi de suite. Nous aurons pour consolation, avant cinq ou six ans, de voir l’Europe en feu ; elle sera à nos genoux, nous priant de nous unir avec elle contre la Prusse. »

Il annonce la guerre civile de la Commune :

« Dans un mois tout sera fini, c’est-à-dire le premier acte du drame sera fini, le second sera la guerre civile. »

À George Sand il écrit encore :

« Paris finira par être affamé et on ne lui porte aucun secours. Les bêtises de la République dépassent celles de l’Empire. Se joue-t-il en dessous quelque abominable comédie ? Pourquoi tant d’inaction ? »

Il voit pulluler les pauvres partout, dont on ne me parla jamais au cours des humanités pourtant poussées :

« Nous n’avons eu mardi dernier que trois cents pauvres environ. Que sera-ce cet hiver ? Quelle abominable catastrophe et pourquoi ? Dans quel but ? Au profit de qui ? Quel sot et méchant animal que l’homme et comme c’est triste de vivre à des époques pareilles. Nous passons par des situations que nous estimions impossibles, par des angoisses qu’on avait au Ve siècle, quand les Barbares descendaient en Italie. »

Il semble que jamais fatigués nous allions vers de nouveaux désastres grâce au virus et au reste !

Nous sommes d’accord sur le reste. Un monde laid et bête va naître, qui va du reste détruire le génie allemand si flamboyant sous Napoléon — voyez mes textes à ce sujet, dédiés à Robert Steuckers, et publiés dans le recueil sur Guénon et les gilets jaunes) :

« J’ai le sentiment de la fin d’un monde. Quoi qu’il advienne, tout ce que j’aimais est perdu. Nous allons tomber, quand la guerre sera finie, dans un ordre de choses exécrable pour les gens de goût. Je suis encore plus écœuré par la bêtise de cette guerre que par ses horreurs. »

À Claudius Popelin, Flaubert écrit le 28 octobre dans une tonalité presque guénonienne :

« Je suis convaincu que nous entrons dans un monde hideux où les gens comme nous n’auront plus leur raison d’être. On sera utilitaire et militaire, économe, petit, pauvre, abject. La vie est en soi quelque chose de si triste, qu’elle n’est pas supportable sans de grands allégements. Que sera-ce donc quand elle va être froide et dénudée. Le Paris que nous avons aimé n’existera plus. »

Il rêve d’un ailleurs, souvent bédouin d’ailleurs :

« Mon rêve est de m’en aller vivre ailleurs qu’en France, dans un pays où l’on ne soit pas obligé d’être citoyen, d’entendre le tambour, de voter, de faire partie d’une commission ou d’un jury. Pouah ! Pouah !

Je ne désespère pas de l’humanité, mais je crois que notre race est finie. C’en est assez pour être triste. Si j’avais vingt ans de moins, je reprendrais courage. Et si j’avais vingt ans de plus, je me résignerais. »

Il sent le retour du refoulé catholique, celui qui va amener des Péguy et justement exaspérer quelques années plus tard des génies comme Bloy, Drumont ou Bernanos :

« En fait de résignation, je vous prédis ceci : la France va devenir très catholique. Le malheur rend les faibles dévots et tout le monde, maintenant, est faible. La guerre de Prusse est la fin, la clôture de la Révolution française. »

Il insiste — et il a raison, car la bêtise catho ou américaine est toujours d’actualité avec Trump ou ce pape :

« Je meurs de chagrin, voilà le vrai, et les consolations m’irritent. Ce qui me navre, c’est la férocité des hommes ; la conviction que nous allons entrer dans une ère stupide. On sera utilitaire, militaire, américaine et catholique, très catholique. »

Et puis il voit que l’Europe va entrer à cause des revanchards Français dans un siècle de guerres :

« … ces civilisés sauvages me font plus horreur que les cannibales. Et tout le monde va les imiter, va être soldat. La Russie en a maintenant quatre millions. Toute l’Europe portera l’uniforme. Si nous prenons notre revanche, elle sera ultra-féroce, et notez qu’on ne va penser qu’à cela, à se venger de l’Allemagne ; Le gouvernement, quel qu’il soit, ne pourra se maintenir qu’en spéculant sur cette passion. Le meurtre en grand va être le but de tous nos efforts. »

On arrête ici et on dédie ce triste texte à notre ami Jean Raspail. Dans la dernière lettre qu’il m’écrivit, il m’avait même dit que nous avions le pape du Camp des saints aux commandes…

Sources :

Nicolas Bonnal — Céline, le pacifiste enragé ; Guénon, Bernanos et les gilets jaunes ; chroniques sur a fin de l’histoire

Flaubert – Correspondance, Gallica BNF, 1859-1871




Merci Patron, Merci Macron

[Source : @avatarmediaeditions]

Nicolas Bonnal






Ernst Jünger ou le roi de la belle santé spirituelle et naturelle contre le totalitarisme médical étatique et moderne

« La force et la santé demeurent en l’intrépide. Au contraire, la crainte assiège ceux même qui s’arment jusqu’aux dents – et ceux-là plus que les autres. On peut en dire autant de ceux qui nagent dans l’abondance. Les armes, les trésors sont impuissants à conjurer les menaces. Ce ne sont que des pis-aller. »

Ernst Jünger
Traité du rebelle ou le recours aux forêts (Der Waldgang), 1951, trad. Henri Plard, Christian Bourgois éditeur, 1995


Par Nicolas Bonnal

L’esprit libertarien (ou encore libre) doit prendre soin de son corps, considéré comme une simple pièce détachée de l’entité techno-mondialiste.

Ernst Jünger est un des derniers grands esprits européens. Il avait vu qu’après 1945 l’homme technique allait remplacer l’homme tout court. Peut-être qu’il avait moins bien vu que les Américains Dick ou Packard le règne de la déglingue. Car le transhumanisme est un rêve de décrépit — de nonagénaire génocidaire — dont le premier à avoir eu le pressentiment génial fut le dessinateur autrichien Kubin. L’Autre Côté décrivait déjà notre société totalitaire déglinguée. Récit déglingué lui-même il décrit un monde décati créé par un milliardaire…

Roi de la belle santé, roi des vins, des insectes, des plantes, voyages et chasses subtiles (relisez le début merveilleux des Falaises de marbre), Jünger prône une santé alcyonienne, homérique et la résistance contre la médecine totalitaire et technologique. On cite de l’écrivain le Traité du rebelle, ou le recours aux forêts (traduction Henri Plard) :

« Quant à la santé, le modèle que chacun en porte en lui-même, c’est son corps intangible, créé au-delà du temps et de ses vicissitudes, qui transparaît dans l’enveloppe physique et dont l’efficace n’est pas moins sensible dans la guérison. Toute guérison met en jeu des vertus créatrices. »

Avoir conscience de sa santé sans passer par les drogues et produits ? C’est le fait d’un être supérieur :

« Dans l’état de parfaite santé, telle qu’elle est rare de nos jours, l’homme possède aussi la conscience de cet acte d’une créature divine, dont la présence met autour de lui un nimbe visible. Nous trouvons encore chez Homère la connaissance d’une telle fraîcheur, dont son monde est animé. Nous trouvons, unie à elle, une libre sérénité et plus les héros s’approchent des dieux, moins ils deviennent vulnérables — leur corps gagne en spiritualité. »

[Le 666 Arrive]

Oui, et notre corps boosté devient aujourd’hui une machine déglinguée. Jünger impose la royauté du malade qui doit se faire l’ami de sa maladie (comme Rilke qui explique au jeune poète qu’il faut devenir l’ami de sa mort, chose compliquée par les temps qui courent) :

« Actuellement encore, le salut dépend de ce rapport et il importe que l’homme se laisse guider par lui, ne dût-il que l’entrevoir. Le malade, non le médecin, est souverain, dispensateur d’une guérison qu’il tire de résidences inexpugnables. Il n’est perdu que si c’est lui qui perd l’accès de ces sources. L’homme semble souvent, dans son agonie, égaré, en quête de quelque objet. Il trouvera l’issue, en ce monde ou dans l’autre. On a déjà vu guérir bien des malades condamnés par les médecins, mais jamais celui qui s’est laissé aller. »

Éviter les médecins et écouter son corps :

« Éviter les médecins, s’en reposer sur la sagesse du corps, mais prêter à ses avis une oreille attentive, c’est pour le bien-portant la meilleure des ordonnances. Il en va de même du Rebelle, qui doit s’aguerrir en vue de situations où toute maladie autre que mortelle est considérée comme un luxe. »

Et de résumer l’esprit du résistant à la sécu :

« Quoi qu’on pense de ce monde de sécurité sociale, d’assurance-maladie, de fabriques de produits pharmaceutiques et de spécialistes — on est plus fort quand on peut se passer de tout cela. »

Jünger voit donc le règne du totalitarisme étatique arriver :

« Un trait suspect et qui doit inciter à une extrême vigilance, est l’influence croissante que commence à exercer l’État sur l’administration de la santé, en se couvrant le plus souvent de prétextes philanthropiques. En outre, le médecin étant, dans bien des cas, relevé de son secret professionnel, il faudra recommander la défiance envers toute consultation. Car on ne sait jamais dans quelles statistiques on est classé, ni s’il n’y en a pas d’autres que celles des organismes médicaux. »

Nous avons vécu et revivrons le totalitarisme étatique en matière sanitaire et vaccinal ; or Jünger les explique :

« Toutes ces fabriques de santé, avec des médecins fonctionnaires mal payés, dont les cures sont surveillées par la bureaucratie de la Sécurité sociale, sont suspectes et peuvent se muer tout d’un coup en figures inquiétantes, sans même que la guerre les y oblige. Il n’est alors nullement impossible, pour dire le moins, que leurs fichiers scrupuleusement tenus fournissent ces pièces au vu desquelles on pourra être interné, châtré ou liquidé. »

Jünger décrit la conséquence de tout cela : le recours au charlatan ou au thaumaturge ; il me semble qu’ils ont disparu eux aussi, le pékin n’ayant même plus l’énergie pour sortir du système médical mutilant — ou carrément absent comme en France :

« L’énorme clientèle que recrutent les charlatans et les guérisseurs ne s’explique pas seulement par la crédulité des masses, mais aussi par leur méfiance envers la pratique de la médecine et plus spécialement sa tendance à l’automatisme. Ces thaumaturges, malgré toute la grossièreté de leurs procédés, diffèrent cependant des médecins sur deux points importants : d’abord, ils traitent le malade comme un tout ; puis ils présentent la guérison comme un miracle. Tel est le trait qui satisfait un instinct demeuré sain et sur lequel se fondent les guérisons. »

Aucune illusion à se faire :

« Le monde des assurances, des vaccins, de l’hygiène minutieuse, du prolongement de la moyenne de vie représente-t-il un gain réel ? Il ne vaut pas la peine d’en débattre, puisque ce monde continue à s’épanouir et que les idées sur lesquelles il s’appuie ne sont pas encore épuisées. Le navire poursuivra sa course, au-delà même des catastrophes. »

Le navire poursuivra sa course au-delà même des catastrophes…

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

https://echelledejacob.blogspot.com/2023/09/nicolas-bonnal-nous-sommes-dans-une.html


Ernst Jünger

Ernst Jünger

Ernst Jünger, né le 29 mars 1895 à Heidelberg et mort le 17 février 1998 à Riedlingen, est un écrivain allemand. Il a participé aux deux guerres mondiales, d’abord dans les troupes de choc au cours de la Première Guerre mondiale, puis comme officier de l’administration militaire d’occupation à Paris à partir de 1941. Devenu célèbre après la publication de ses souvenirs de la Première Guerre mondiale dans Orages d’acier en 1920, il a été une figure intellectuelle majeure de la Révolution conservatrice à l’époque de Weimar, mais s’est tenu éloigné de la vie politique à partir de l’accession des nazis au pouvoir. Jusqu’à la fin de sa vie à plus de cent ans, il a publié des récits et de nombreux essais ainsi qu’un journal des années 1939 à 1948 puis de 1965 à 1996. Parmi ses récits, Sur les falaises de marbre (1939) est l’un des plus connus.




De Thierry Breton à Napoléon III : Victor Hugo et l’interdiction de penser et d’imprimer

Par Nicolas Bonnal

Les interdits de Breton évoquent Orwell pour le Daily Mail. Mais nous avons de nombreux précédents en France concernant l’interdiction de tout et la bureaucratie ; et je prévoyais dans mon livre sur l’exception française (Les Belles Lettres, 1997) que la technocratie (ou bourgeoisie énarque) française annexerait l’Europe (démographiquement et intellectuellement) et qu’elle finirait par tout interdire.

On fait avec les moyens du bord : en 1851 c’est l’imprimerie, avec Breton c’est internet (d’ailleurs je m’en fous : l’humanité a ce qu’elle mérite). Victor Hugo :

« À l’heure qu’il est, personne ne sait au juste ce que c’est que le 2 décembre, ce qu’il a fait, ce qu’il a osé, qui il a tué, qui il a enseveli, qui il a enterré. Dès le matin du crime, les imprimeries ont été mises sous le scellé, la parole a été supprimée par Louis Bonaparte, homme de silence et de nuit. Le 2, le 3, le 4, le 5 et depuis, la vérité a été prise à la gorge et étranglée au moment où elle allait parler. Elle n’a pu même jeter un cri. Il a épaissi l’obscurité sur son guet-apens, et il a en partie réussi. Quels que soient les efforts de l’histoire, le 2 décembre plongera peut-être longtemps encore dans une sorte d’affreux crépuscule. Ce crime est composé d’audace et d’ombre ; d’un côté il s’étale cyniquement au grand jour, de l’autre il se dérobe et s’en va dans la brume. Effronterie oblique et hideuse qui cache on ne sait quelles monstruosités sous son manteau. »

Rappelons que peu à peu l’empire devint libéral et… populaire, le plébiscite de 1870, quelques mois avant la « correction » (Marx) face à la Prusse — correction méritée pour un empire qui avait croisé le fer avec la moitié de la terre, Chine, Mexique, Italie (1867 et 70), Autriche et bien sûr… Russie — confirmant Napoléon dans sa pérennité dynastique.

Aucune illusion à se faire sur le suffrage universel : sous Napoléon III ce fut comme sous Hitler. Hugo rajoute :

« Et c’est là le scrutin, et répétons-le, insistons-y, ne nous lassons pas ; je crie cent fois les mêmes choses, dit Isaïe, pour qu’on les entende une fois ; et c’est là le scrutin, c’est là le plébiscite, c’est là le vote, c’est là le décret souverain du “suffrage universel”, à l’ombre duquel s’abritent, dont se font un titre d’autorité et un diplôme de gouvernement ces hommesqui tiennent la France aujourd’hui, qui commandent, qui dominent, qui administrent, qui jugent, qui règnent, les mains dans l’or jusqu’aux coudes, les pieds dans le sang jusqu’aux genoux ! »

Comme sous Macron et sous Breton on a des élections et des médias euphorisants :

« Maintenant, et pour en finir, faisons une concession à M. Bonaparte. Plus de chicanes. Son scrutin du 20 décembre a été libre, il a été éclairé ; tous les journaux ont imprimé ce qui leur a plu ; qui a dit le contraire ? des calomniateurs… »

Après, Hugo (il sera pacifiste sous Napoléon, belliciste sous Gambetta) part sur les grands mots :

« Ils résolurent d’en finir une fois pour toutes avec l’esprit d’affranchissement et d’émancipation, et de refouler et de comprimer à jamais la force ascensionnelle de l’humanité.L’entreprise était rude. Ce que c’était que cette entreprise, nous l’avons indiqué déjà, plus d’une fois, dans ce livre et ailleurs. »

… mais quand on voit la liquidation de la « culture masculine blanche » (désolés, c’est la culture) par Fink (qui commande tout) et consorts (Ursula, Bourla, etc.) on peut méditer les belles paroles qui suivent :

« Défaire le travail de vingt générations ; tuer dans le dix-neuvième siècle, en le saisissant à la gorge, trois siècles, le seizième, le dix-septième et le dix-huitième, c’est-à-dire Luther,Descartes et Voltaire, l’examen religieux, l’examen philosophique, l’examen universel ; écraser dans toute l’Europe cette immense végétation de la libre pensée, grand chêne ici, brin d’herbe là ; marier le knout et l’aspersoir ; mettre plus d’Espagne dans le midi et plus de Russie dans le nord ; ressusciter tout ce qu’on pourrait de l’inquisition et étouffer tout ce qu’on pourrait de l’intelligence ; abêtir la jeunesse, en d’autres termes, abrutir l’avenir ; faire assister le monde à l’autodafé des idées ; renverser les tribunes, supprimer le journal, l’affiche, le livre, la parole, le cri, le murmure, le souffle ; faire le silence ; poursuivre la pensée dans la casse d’imprimerie, dans le composteur, dans la lettre de plomb, dans le cliché, dans la lithographie, dans l’image, sur le théâtre, sur le tréteau, dans la bouche du comédien, dans le cahier du maître d’école, dans la balle du colporteur ; donner à chacun pour foi, pour loi, pour but et pour dieu, l’intérêt matériel ; dire au peuple : mangez et ne pensez plus ; ôter l’homme du cerveau et le mettre dans le ventre ; éteindre l’initiative individuelle, la vie locale, l’élan national, tous les instincts profonds qui poussent l’homme vers le droit ; anéantir ce moi des nations qu’on nomme Patrie ; détruire la nationalité chez les peuples partagés et démembrés, les constitutions dans les États constitutionnels, la République en France, la liberté partout ; mettre partout le pied sur l’effort humain. »

C’est ce qu’ils refont aujourd’hui nos clercs et bureaucrates associés au capital des fonds de pension américains. Hugo écrit au passage (il irait en taule aujourd’hui donc je le dénigre) :

« Parce que vous avez vu réussir un coup de main prétorien, vous vous déclarez bas-empire ! C’est vite dit, et lâchement pensé. Mais réfléchissez donc, si vous pouvez. Est-ce que le bas-empire avait la boussole, la pile, l’imprimerie, le journal, la locomotive, le télégraphe électrique ? Autant d’ailes qui emportent l’homme, et que le bas-empire n’avait pas ! Où le bas-empire rampait, le dix-neuvième siècle plane. Y songez-vous ? Quoi ! nous reverrions l’impératrice Zoé, Romain Argyre, Nicéphore Logothète, Michel Calafate ! Allons donc ! Est-ce que vous vous imaginez que la Providence se répète platement ? Est-ce que vous croyez que Dieu rabâche ? »

Comme je l’ai dit le pouvoir devenu libéral sera conforté par le dernier plébiscite. Et comme le dit Flaubert (alors ami de Hugo, avec il correspond et dont il récupère le courrier) dans son Journal, quelque part en 1853 :

« Mais une vérité me semble être sortie de tout cela ; c’est qu’on n’a nul besoin du vulgaire, de l’élément nombreux des majorités, de l’approbation, de la consécration. 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. »

Breton comme Biden ou Macron l’ont parfaitement compris. Il n’y a aucune résistance, qu’une poignée de râleurs qui cliquent en attendant d’être affamés et privés de tout comme les autres, alors pourquoi se priver, merde ? Censure aussi Victor Hugo, Thierry. Et notre cher passé…

Flaubert encore :

« L’humanité a la rage de l’abaissement moral, et je lui en veux de ce que je fais partie d’elle. »

Sources principales :

http://www.bouquineux.com/?telecharger=304&Flaubert-Correspondance_2e_s%C3%A9rie._1850_-_1854

https://www.dailymail.co.uk/news/article-12469157/EU-accused-taking-page-Orwells-1984-creation-ministries-truth-ensure-wrong-thoughts-not-allowed-bid-tackle-disinformation-online.html

http://www.centremultimedia.be/IMG/pdf/hugo_napoleon_le_petit.pdf




JRR Tolkien contre le monde moderne : une mise au point

Par Nicolas Bonnal

Ce texte est extrait d’un chapitre de notre deuxième livre sur Tolkien (Ed. Avatar). Le premier édité aux Belles Lettres fut traduit et publié en Russie en 2002.

But it is the aeroplane of war that is the real villain.
(Mais c’est l’avion de guerre qui est ici le vrai méchant.)

Tolkien

Nous sommes la civilisation de la destruction du monde.

Philippe Grasset

Tolkien refuse toute allégorie. Il envoie dinguer les interprètes, et il a raison, il y en a trop : faites-moi comme moi, écrivez de la fantasy, arrêtez de courir après Tolkien !1

Mais Tolkien déclare ensuite que Beren est son nom, Luthien celui de sa femme ; surtout, que le Mordor progresse à l’ouverture d’une station-service, ou l’Isengard. Puis il déclare être un hobbit, aimer fumer et qu’on le fiche en paix. Puis il se déclare même anarchiste à son fils, et pendant la guerre, tout en ajoutant que s’agenouiller devant un grand seigneur ne fait de mal à personne. Enfin il écrit qu’utiliser un bombardier reviendrait pour Frodon à chevaucher un nazgul pour libérer la comté !

Tolkien aime se contredire, suivant ses humeurs, suivant ses interlocuteurs ou lecteurs (certains l’énervent plus que d’autres), suivant les époques aussi. Par exemple il est selon nous beaucoup plus sincère contre son époque pendant la guerre qu’après. A-t-il perçu la montée terrifiante du politiquement correct à partir des années soixante ? Certainement. En outre son monde a été tellement déformé et recyclé par la sillification (mot qu’il utilise à propos d’une adaptation débile de son œuvre par… la BBC), la stupidification si l’on ose dire. Il été récupéré par la gauche anar et hippie avant de l’être par l’industrie médiatique et son goût prononcé pour les monstres de tout poil et les univers sombres et tordus. Ici Melkor, avec sa cohorte d’orques, de balrogs, de dragons, de loups-garous pouvait trouver un emploi à sa mesure, tant le satanisme de masse est devenu la culture contemporaine de la jeunesse.

Nous n’allons pas réécrire l’histoire de la critique du monde moderne. Faisons quelques rappels toutefois.

Elle émerge avec le romantisme en Angleterre et en France à l’époque de la Révolution française et de la révolution industrielle. C’est l’avènement de la vulgarité, de la masse, de la dictature, de l’industrie, de l’argent, de la pollution, de tout ce que nous adorons et déifions aujourd’hui. Balzac parle quelque part (dans Béatrix en fait) du remplacement de l’œuvre par le produit.

Car à l’époque on résiste encore un peu. Voyez Edmund Burke, gentleman britannique qui a plus fait pour la France que n’importe quel Français (pauvre Rivarol, sinistre de Maistre !) à cette tragique époque :

« … je n’aurais pas imaginé que j’aurais vécu pour voir de tels désastres s’abattre sur elle dans une nation d’hommes vaillants, dans une nation d’hommes d’honneur et de cavaliers. Je pensais que dix mille épées avaient dû sortir de leur fourreau pour venger ne serait-ce qu’un regard qui la menaçait d’insulte. Mais l’âge de la chevalerie a disparu.

Celui des sophistes, des économistes ; et les calculatrices ont réussi ; et la gloire de l’Europe s’éteint à jamais. »2

Attends Edmund, y’a Barroso ! Les économistes ont remplacé les hommes d’honneur. Nous sommes bien d’accord. Un Alexandre Dumas très inspiré, plus en tout cas que ses collègues du Panthéon, écrit lui :

— La cause la plus sacrée qu’il y ait au monde, dit Athos ; celle du malheur, de la royauté et de la religion. Un ami, une épouse, une fille, nous ont fait l’honneur de nous appeler à leur aide. Nous les avons servis selon nos faibles moyens, et Dieu nous tiendra compte de la volonté à défaut du pouvoir…

Et Athos ajoute dans ces phrases sublimes :

— … tous les gentilshommes sont frères, parce que vous êtes gentilhomme, parce que les rois de tous les pays sont les premiers entre les gentilshommes, parce que la plèbe aveugle, ingrate et bête prend toujours plaisir à abaisser ce qui lui est supérieur ; et c’est vous, vous, d’Artagnan, l’homme de la vieille seigneurie, l’homme au beau nom, l’homme à la bonne épée, qui avez contribué à livrer un roi à des marchands de bière, à des tailleurs, à des charretiers ! Ah ! d’Artagnan, comme soldat, peut-être avez-vous fait votre devoir, mais comme gentilhomme, vous êtes coupable, je vous le dis.3

Cette belle lancée est d’autant plus intéressante qu’elle concerne le roi d’Angleterre supplicié par les marchands et les agents du puritanisme qui préparent là une conquête mondiale.

Chateaubriand aussi (n’en déplaise au francophobe Tolkien !) chante et regrette sa vieille Angleterre (Old England! Voyez le King Arthur de Purcell) dans des lignes sublimes qui évoquent la Fin de l’Histoire selon Hegel, Kojève ou Fukuyama. L’Angleterre se banalise sous le règne de Rothschild et des Windsor…

« Il me semble que j’achève une course en Angleterre comme celle que je fis autrefois sur les débris d’Athènes, de Jérusalem, de Memphis et de Carthage. En appelant devant moi les siècles d’Albion, en passant de renommée en renommée, en les voyant s’abîmer tour à tour, j’éprouve une espèce de douloureux vertige. Que sont devenus ces jours éclatants et tumultueux où vécurent Shakespeare et Milton, Henri VIII et Elisabeth, Cromwell et Guillaume, Pitt et Burke ? Tout cela est fini ; supériorités et médiocrités, haines et amours, félicités et misères, oppresseurs et opprimés, bourreaux et victimes, rois et peuples, tout dort dans le même silence et la même poussière. »4

Encore n’est-on là que dans la métaphore et la nostalgie romantique. Mais Chateaubriand voit l’Angleterre déjà détruite, un siècle avant le Seigneur des anneaux. Et cela donne :

« Aujourd’hui ses vallées sont obscurcies par les fumées des forges et des usines, ses chemins changés en ornières de fer ; et sur ces chemins, au lieu de Milton et de Shakespeare, se meuvent des chaudières errantes. »

« Déjà les pépinières de la science, Oxford et Cambridge, prennent un air désert : leurs collèges et leurs chapelles gothiques, demi-abandonnés, affligent les regards ; dans leurs cloîtres auprès des pierres sépulcrales du moyen âge, reposent oubliées les annales de marbre des anciens peuples de la Grèce ; ruines qui gardent les ruines. »5

Après ces rappels, voyons un peu Tolkien, sa description de la destruction du monde, sa description du monde moderne donc : anéantissement de la nature et des paysages traditionnels, constructions hideuses et polluantes, pullulement de ruffians et de règlements (il me semble qu’on a tout résumé là). C’est dans le Seigneur des Anneaux, épisode proche de notre âge de fer rouillé (ou de laiton), qu’il a précisément donné ces descriptions. Alors on l’écoute :

« Il y avait là de nombreuses maisons, chambres, salles et passages creusés dans la face intérieure des murs, de sorte que le cercle découvert était surplombé d’innombrables fenêtres et portes sombres. Des milliers de personnes pouvaient habiter là, ouvriers, serviteurs, esclaves et guerriers avec de grands approvisionnements d’armes, des loups étaient nourris et logés en dessous dans de profondes tanières. La plaine aussi était forée et creusée. Des puits s’enfonçaient loin dans le sol, l’orifice en était recouvert de monticules bas et de dômes de pierre, de sorte qu’au clair de lune le Cercle d’Isengard avait l’air d’un cimetière de morts agités (a graveyard of unquiet dead). Car la terre tremblait. Les puits descendaient par de nombreuses pentes et escaliers en spirale vers des cavernes profondes, là, Saroumane avait des trésors, des magasins, des armureries, des forges et de grands fourneaux. Des roues d’acier y tournaient sans répit, et les marteaux y résonnaient sourdement. La nuit, des panaches de vapeur s’échappaient des trous d’aération, éclairés par en dessous de lueurs rouges, bleues ou d’un vert vénéneux (venomous green). »6

Un cimetière de morts agités… Le monde moderne est avant tout une « déformation dégoûtante », comme dit Lovecraft, de ce qui était original et ancien. C’est ainsi que Tolkien décrit cet endroit similaire à la tour de Barad-dûr, dont le nom vient du turc (bahadir, le héros) :

« L’Isengard était une étonnante place forte, et elle avait longtemps été belle, là avaient résidé de grands seigneurs, les gardiens du Gondor à l’Ouest, et des sages qui observaient les étoiles. Mais Saroumane l’avait lentement adaptée à ses desseins mouvants et, à son idée, bien qu’il s’abusât, améliorée, car tous ces artifices et dispositifs ingénieux, pour lesquels il abandonna sa sagesse antérieure et qu’il se plaisait à imaginer siens, ne venaient que du Mordor, de sorte que ce qu’il faisait n’était rien d’autre qu’une copie en petit modèle d’enfant ou flatterie d’esclave de ces vastes forteresse, armurerie, prison, fourneau à grande puissance, qu’était Barad-dûr, la Tour Sombre, qui ne souffrait pas de rivale et se riait de la flatterie, attendant son heure, invulnérable dans son orgueil et sa force incommensurable. »7

Sylvebarbe, lui, comprend enfin la menace, faite de rouages, de métaux et puissance :

« Je crois comprendre à présent ses desseins. Il complote pour devenir une Puissance. Il a un esprit de métal et de rouages, et il ne se soucie pas des choses qui poussent, sauf dans la mesure où elles lui servent sur le moment. Et il est clair maintenant que c’est un traître noir. Il s’est acoquiné avec des gens immondes, avec des Orques. Brm, houm ! Pis encore : il leur a fait quelque chose, quelque chose de dangereux. Car ces Isengardiens ressemblent davantage à de mauvais Hommes. C’est une marque des choses néfastes qui vinrent dans les Grandes Ténèbres parce qu’elles ne peuvent supporter le Soleil, mais les Orques de Saroumane le peuvent, même s’ils le détestent. Je me demande ce qu’il a fait. Sont-ce des Hommes qu’il a dégradés ou a-t-il métissé la race des Orques avec celle des Hommes ? Ce serait là un noir méfait ! »8

Et dans le fameux chapitre du nettoyage de la comté, Tolkien démonte tout le mécanisme du monde dit moderne : comment on veut gagner plus, comment on saccage tout, comment on contraint tout ; comment on réalise le socialisme dont les factions, dit-il quelque part, se disputent durant la « Deuxième Guerre Mondiale » (c’est ce que disent et constatent aussi les libertariens).

« Tout a commencé avec La Pustule, comme on l’appelle, dit le Père Chaumine, et ça a commencé aussitôt après votre départ, Monsieur Frodon. Il avait de drôles d’idées, ce La Pustule. II semble qu’il voulait tout posséder en personne, et puis faire marcher les autres. Il se révéla bientôt qu’il en avait déjà plus qu’il n’était bon pour lui, et il était tout le temps à en raccrocher davantage, et c’était un mystère d’où il tirait l’argent : des moulins et des malteries, des auberges, des fermes et des plantations d’herbe. Il avait déjà acheté le moulin de Rouquin avant de venir à Cul de Sac, apparemment… Mais à la fin de l’année dernière, il avait commencé à envoyer des tas de marchandises, pas seulement de l’herbe. Les choses commencèrent à se raréfier, et l’hiver venait, aussi. Les gens s’en irritèrent, mais il avait une réponse toute prête. Un grand nombre d’Hommes, pour la plupart des bandits, vinrent avec de grandes charrettes, les uns pour emporter les marchandises au loin dans le Sud, d’autres pour rester. Et il en vint davantage. Et avant qu’on sût où on en était, ils étaient plantés par-ci par-là dans toute la Comté, et ils abattaient des arbres, creusaient, se construisaient des baraquements et des maisons exactement selon leur bon plaisir. Au début, les marchandises et les dommages furent payés par La Pustule, mais ils ne tardèrent pas à tout régenter partout et à prendre ce qu’ils voulaient. »9

Les choses s’aggravent bien sûr :

« Et puis il y eut quelques troubles, mais pas suffisamment. Le vieux Will le Maire partit pour Cul de Sac afin de protester, mais il n’y arriva jamais. Des bandits mirent la main sur lui et l’enfermèrent dans un trou à Grand’Cave, où il est toujours. Après cela, c’était peu après le Nouvel An, il n’y eut plus de Maire et La Pustule s’appela Shiriffe en Chef, ou simplement Chef, et fit ce qui lui plaisait, et si quelqu’un se montrait “arrogant”, comme ils disaient, il prenait le même chemin que Will. »

Ce shériff fait penser à celui de Nottingham ! Ensuite comme chez Chesterton10, on s’en prend au tabac, à la boisson, à tout ce qui est bon :

« II ne restait plus rien à fumer, sinon pour les Hommes, et le Chef, qui n’en tenait pas pour la bière, sauf pour ses Hommes, ferma toutes les auberges, et tout, à part les Règles, devint de plus en plus rare, à moins qu’on ne pût cacher un peu de ce qui nous appartenait, quand les bandits faisaient leur tournée de ramassage pour “une juste distribution” : ce qui signifiait qu’ils l’avaient et pas nous, excepté les restes qu’on obtenait aux Maisons des Shiriffes, si on pouvait les avaler. Tout était très mauvais. Mais, depuis l’arrivée de Sharcoux, ç’a été la ruine pure. »11

Chesterton a écrit des passages de la même veine (je veux dire : vraiment de la même veine), en 1925 encore, dans The improbable success of Mr Owen Hood.

Après cette aggravation (communisme, économie de guerre…), on en arrive à la phase terminale :

« Sharcoux est le plus grand bandit de tout le tas, semble-t-il, répondit Chaumine. C’est vers la dernière moisson, à la fin de septembre peut-être, qu’on a entendu parler de lui pour la première fois. On ne l’a jamais vu, mais il est là-haut à Cul de Sac, et c’est lui le véritable Chef à présent, je pense. Tous les bandits font ce qu’il ordonne, et ce qu’il ordonne, c’est surtout : taillez, brûlez et ruinez, et maintenant, ça en vient à tuer. II n’y a plus même de mauvaises raisons. Ils coupent les arbres et les laissent là, ils brûlent les maisons et ne construisent plus. »12

Comme on boit du petit lait en liant ces lignes immortelles, on continue :

« Prenez le moulin de Rouquin, par exemple. La Pustule l’a abattu presque dès son arrivée à Cul de Sac. Puis il a amené un tas d’hommes malpropres pour en bâtir un plus grand et le remplir de roues et de machins étrangers. Seul cet idiot de Tom a été content, et il travaille à astiquer les roues pour les Hommes, là où son papa était le Meunier et son propre maître. L’idée de La Pustule était de moudre davantage et plus vite, ou c’est ce qu’il disait. Il a d’autres moulins semblables. Mais il faut avoir du blé pour moudre, et il n’y en avait pas plus pour le nouveau moulin que pour l’ancien. Mais depuis l’arrivée de Sharcoux on ne moud plus de grain du tout. Ils sont toujours à marteler et à émettre de la fumée et de la puanteur, et il n’y a plus de paix à Hobbitebourg, même la nuit. Et ils déversent des ordures exprès, ils ont pollué toute l’Eau inférieure, et ça descend jusque dans le Brandevin. S’ils veulent faire de la Comté un désert, ils prennent le chemin le plus court. Je ne crois pas que cet idiot de La Pustule soit derrière tout cela. C’est Sharcoux, m’est avis »13

ensuite les hobbits découvrent leur propre territoire dévasté et saccagé par les innovateurs et progressistes, les investisseurs et les planificateurs (c’est Byron qui dans Manfred conjure ainsi les démons : you agencies!) :

« Ce fut une des heures les plus tristes de leur vie. La grande cheminée s’éleva devant eux, et, comme ils approchaient du vieux village de l’autre côté de l’Eau, en passant entre des rangées de nouvelles et vilaines maisons, ils virent le nouveau moulin dans toute sa rébarbative et sale laideur : grand bâtiment de brique à cheval sur la rivière, qu’il polluait d’un débordement fumant et nauséabond. Tout au long de la Route de Lézeau, les arbres avaient été abattus. »14

Ce qui rassure c’est qu’il y a toujours des imbéciles pour apprécier cela (aujourd’hui pour ne plus le voir).

Voyons maintenant ce que dit Tolkien de tout cela dans sa correspondance.

Des Orques et des hommes sauvages tout d’abord :

« Dans le cas de ceux qui sortent aujourd’hui de prison “soumis à un lavage de cerveau”, brisés ou fous, faisant l’éloge de leurs tortionnaires, une telle délivrance immédiate n’est généralement pas visible. »15

Le terme de brainwashing est étonnant pour un auteur comme Tolkien. On n’est pas dans le Candidat mandchourien tout de même ! Ce serait là un orque : un être torturé et transformé pour les besoins de la guerre, un elfe brainwashé…

Il précise ailleurs sa pensée sur ce point :

« Car nous tentons de conquérir Sauron avec l’Anneau. Et nous réussirons (semble-t-il). Mais la pénalité est, comme vous le savez, d’engendrer de nouveaux Saurons et de transformer lentement les hommes et les elfes en orques. »16

Dans cette même lettre à son fils Christopher, Tolkien n’hésite pas à écrire cette phrase :

« Eh bien, vous voilà : un hobbit parmi les Urukhai. Gardez votre passe-temps dans votre cœur et pensez que toutes les histoires ressemblent à cela lorsque vous y êtes. Vous êtes dans une très belle histoire ! »17

Demeurer un hobbit au milieu des orques, tout un programme…

Sur l’esprit d’Isengard et la destruction d’Oxford, il ose aussi cette comparaison :

« Même si l’esprit de “Isengard”, sinon du Mordor, est bien sûr toujours présent. Le projet actuel de détruire Oxford pour y installer des automobiles est un cas exemplaire. »18

Tolkien et la menace américaine dans le monde dit moderne ? Voici ce qu’il écrit à son fils au moment de la terrifiante conférence de Téhéran :

« Ma chérie,
Le Ballyhoo de Téhéran… Je dois admettre que j’ai souri d’une sorte de sourire maladif… quand j’ai entendu parler de ce vieux meurtrier assoiffé de sang Joseph Staline invitant toutes les nations à rejoindre une heureuse famille de gens dévoués à l’abolition de la tyrannie et de l’intolérance ! »19

L’oncle Joe, le copain du socialiste Roosevelt, était invité à célébrer avec lui la conquête de l’Europe, les droits de l’homme et tout le reste : mais le pire était à venir après la guerre, à savoir l’homogénéisation et l’américanisation du monde. Lisez ces lignes extraordinaires et presque comiques (la séquelle de pays arriérés à conquérir pour le féminisme et la marchandise US) :

« Plus les choses deviennent grandes, plus le globe devient petit et plus terne ou plat. Cela devient une foutue petite banlieue de province. Lorsqu’ils ont introduit l’assainissement américain, le moral, le féminisme et la production de masse dans tout le Proche-Orient, le Moyen-Orient, l’Extrême-Orient, l’URSS, la Pampa, le Gran Chaco, le bassin danubien, l’Afrique équatoriale, Hither Further et Inner Mumboland, Gondhwanaland., Lhassa et les villages du plus sombre Berkshire, comme nous serons heureux. »20

Sur le féminisme américain et sa tendance profonde à transformer le monde en nursery et les citoyens en enfants, Chesterton avait aussi tout dit dans son opus américain. Debord dira lui que dans un monde unifié on ne saurait s’exiler. Tolkien aussi, dans cette même lettre spéciale adressée donc à Christopher le 9 décembre 1943 :

« En tout cas, cela devrait réduire les déplacements. Il n’y aura nulle part où aller. Les gens iront donc (à mon avis) d’autant plus vite. Le colonel Knox affirme que les ⅛ de la population mondiale parle “anglais”, et qu’il s’agit du groupe linguistique le plus important. Si c’est vrai, putain de honte — dis-je. Que la malédiction de Babel frappe toutes leurs langues jusqu’à ce qu’ils ne puissent que dire “baa baa”. Cela signifierait à peu près la même chose. »21

Et la cerise sur le gâteau sur la société américanisée et cosmopolite :

« Je pense que je vais devoir refuser de parler autre chose que le vieux mercien.

Mais sérieusement : je trouve cet américano-cosmopolitisme très terrifiant. »22

On comprend pourquoi il redoutait pour son roman la récupération et la pollution commerciale américaine et mondiale ! Parler en vieux mercien pour ne plus se faire comprendre… Et de rappeler qu’il aime l’Angleterre, mais certainement pas le Commonwealth (grrr… dit-il en énonçant cet infâme vocable). Chesterton avait aussi jadis remis Kipling à sa place, et considéré, dans ses Hérétiques, d’un œil les mondialistes post-impériaux comme l’inénarrable et médiocre H. G. Wells…

« Car j’aime l’Angleterre (pas la Grande-Bretagne et certainement pas le Commonwealth britannique (grr !))… »23

Théophile Gautier, de passage à Grenade (où nous résidons une partie de l’année) avait un jour écrit aussi ces belles et tristes lignes un siècle avant Tolkien ou presque :

« C’est un spectacle douloureux pour le poète, l’artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l’uniformité la plus désespérante envahir l’univers sous je ne sais quel prétexte de progrès.

Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. À quoi bon aller voir bien loin, à raison de dix lieues à l’heure, des rues de la Paix éclairées au gaz et garnies de bourgeois confortables ? »24

Nous en revenons à notre citation initiale. La catastrophe de l’aviation moderne et des bombardements qui mettent fin à la guerre :

« Mais c’est l’avion de guerre qui est le véritable méchant. Et rien ne peut vraiment adoucir mon chagrin que vous, mon bien-aimé, ayez un quelconque lien avec cela. Mes sentiments sont plus ou moins ceux qu’aurait eus Frodon s’il avait découvert des Hobbits apprenant à monter des oiseaux Nazgûl, “pour la libération de la Comté”. »25

Oui, la libération fait bien rire quand elle est gagnée à ce prix.

Mais on comparera ces lignes de Bernanos à celles de Tolkien :

« Je me permettrai pourtant de revenir sur ce type si parfaitement représentatif, en un sens, de l’ordre et de la civilisation des machines, l’aviateur bombardier. Torchez-vous une dernière fois les yeux, et revenons si vous le voulez bien à l’aviateur bombardier. Je disais donc que le brave type qui vient de réduire en cendres une ville endormie se sent parfaitement le droit de présider le repas de famille, entre sa femme et ses enfants, comme un ouvrier tranquille sa journée faite. »26

Bernanos ajoutait dans son même beau pamphlet qu’avant la Grande Guerre nous vivions comme dans la Comté — ou presque.

« J’ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N’importe quel honnête homme, pour se rendre d’Europe en Amérique, n’avait que la peine d’aller payer son passage à la Compagnie Transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son portefeuille. »27

Tolkien insiste : il déteste cette guerre et son monde, ses conséquences et ses vainqueurs. Il écrit encore :

« Mais dans ce cas, comme je ne connais rien de l’impérialisme britannique ou américain en Extrême-Orient qui ne me remplisse de regret et de dégoût, je crains de ne pas être soutenu même par une lueur de patriotisme dans cette guerre qui reste. Je n’y souscrirais pas un sou, encore moins un fils, si j’étais un homme libre. Cela ne peut profiter qu’à l’Amérique ou à la Russie. »28

Oui, avec le triomphe du communisme en Europe pour les cinquante années à suivre ; et avec ensuite la folie américaine de prolonger l’existence de l’OTAN pour achever de détruire l’Europe. Finalement le Brexit redonne ses lettres de noblesse à l’Angleterre et à son fidèle et champêtre allié gallois (ses archers détruisaient nos armées au quatorzième siècle)…

À propos de la destruction de l’Europe, Tolkien se met à parler de Berlin et de sa prochaine prise catastrophique par l’armée rouge :

« Je viens d’apprendre la nouvelle….. Des Russes à 60 milles de Berlin. Il semble que quelque chose de décisif pourrait bientôt se produire. La destruction et la misère effroyables de cette guerre augmentent d’heure en heure : destruction de ce qui devrait être (en fait est) la richesse commune de l’Europe et du monde, si l’humanité n’était pas si obsédée, richesse dont la perte nous affectera tous, vainqueurs ou non. . Pourtant, les gens se réjouissent d’entendre parler des files interminables, longues de 40 miles, de misérables réfugiés, de femmes et d’enfants affluant vers l’Ouest, mourant en chemin. Il ne semble plus y avoir de pitié ou de compassion, ni d’imagination, en cette heure sombre et diabolique. Je ne veux pas dire par là que tout ne peut pas, dans la situation actuelle, principalement (pas uniquement) créé par l’Allemagne, soit nécessaire et inévitable. Mais pourquoi se réjouir ! Nous étions censés avoir atteint un stade de civilisation dans lequel il était peut-être encore nécessaire d’exécuter un criminel, mais pas de se réjouir, ni de pendre sa femme et son enfant près de lui pendant que la foule des orques huait. La destruction de l’Allemagne, même si elle est 100 fois méritée, est l’une des catastrophes mondiales les plus épouvantables. »29

Massacre des femmes et des enfants d’abord, des prisonniers et des réfugiés allemands, destruction de la plus importante civilisation-société européenne, dimension diabolique de l’heure. Que demander de plus à nos gouvernements démocratiques ? Les millions de morts de famine de l’après-guerre !30

Tolkien reconnaît aussi que la guerre n’a pas été le fait des seuls allemands. Il n’est pas le seul et voyez — parmi beaucoup d’autres — le très bon livre de mon ami Guido Preparata à ce sujet.31

Et comme Bernanos Tolkien dénonce dans cette lettre fantastique et eschatologique la guerre des machines :

« Eh bien, eh bien — vous et moi ne pouvons rien y faire… Eh bien, la première Guerre des Machines semble tirer vers son dernier chapitre non concluant — laissant, hélas, tout le monde plus pauvre, beaucoup de personnes endeuillées ou mutilées et des millions de morts, et une seule chose triomphante : les Machines. À mesure que les serviteurs des Machines deviennent une classe privilégiée, les Machines vont devenir énormément plus puissantes. Quelle est leur prochaine action ?… »32

Il nous semble important d’ajouter qu’aujourd’hui les (jeunes) gens les plus riches du monde, les nouveaux « 300 » de Rathenau (et non de Léonidas) sont les maîtres des ordinateurs et des réseaux, qu’ils sont presque tous américains, de Gates à Zuckerberg en passant par Dell, Page et Bryn de Google. Et que le monde de Tolkien, ô comble de l’horreur été totalement recyclé et caricaturé, souillé et profané par ces agents. Même Gollum devient une entité numérique dans l’adaptation si frauduleuse du livre…

Mais la transformation du monde en dystopie a aussi été dénoncée par l’écrivain William Gibson père du cyberspace. Dans ces conditions…

Dans ces conditions, demeurons optimistes :

« … et c’est ainsi que, si l’on veut aller jusqu’à la réalité de l’ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la “fin d’un monde” n’est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d’une illusion. »33

Nicolas Bonnal

Remarques

1 Voyez nos infortunées et imaginatives fictions : Les Maîtres carrés ; les Territoires protocolaires (Michel de Maule) ; les contes latinos (publiés par Michel de Maule) ; Nev le bureaucrate (en PDF, sur france-courtoise.info)

2 Burke, Réflexions sur la Révolution en France, p.63

3 Dumas, Vingt ans après, chapitre LXI

4 Mémoires d’Outre-tombe, 3 L27 Chapitre 11

5 ibid.

6 Les Deux Tours, chapitre 8

7 ibid., ch. 4

8 Le retour du roi, chapitre Le nettoyage de la comté

9 ibid.

10 Voyez l’Auberge volante, The Flying Inn

11 Le nettoyage de la comté, suite

12 ibid.

13 Le nettoyage de la comté, suite

14 ibid.

15 Lettres de Tolkien, Extrait d’une lettre à Miss J. Bum (ébauche) 26 juillet 1956

16 Lettres de Tolkien, Extrait d’une lettre à Christopher Tolkien du 6 mai 1944

17 ibid.

18 ibid., To Michael Straight [ébauches], février 1956

19 Lettres de Tolkien ; À Christopher Tolkien 20 Northmoor Road, Oxford, 9 décembre 1943

20 ibid.

21 ibid., à Christopher Tolkien 20 Northmoor Road, Oxford, 9 décembre 1943

22 ibid.

23 Toujours la même lettre !

24 Théophile Gautier, Voyage en Espagne.

25 Lettres de Tolkien, Extrait d’une lettre à Christopher Tolkien du 29 mai 1945

26 Bernanos, La France contre les robots, chapitre 8

27 ibid. chapitre I

28 Lettres de Tolkien, Extrait d’une lettre à Christopher Tolkien du 29 mai 1945

29 Lettres de Tolkien, à Christopher Tolkien 20 Northmoor Road, Oxford, 30 janvier 1945 (FS 78)

30 Voyez James Bacques, Other losses.

31 Guido Preparata, évoquant Hitler

32 Lettres de Tolkien, à Christopher Tolkien, Oxford, 30 janvier 1945 (FS 78)

33 René Guénon, Le règne de la quantité, chapitre LX, dernières lignes…




Tocqueville et les démons de la race blanche

Par Nicolas Bonnal

On fait le procès des blancs aujourd’hui, et on a parfois bien raison de le faire. Un point de vue traditionnel et guénonien sera farouchement anti-blanc. Avant de s’autodétruire, le blanc a détruit le monde pour le débaucher à coups de technoscience, de capitalisme, de socialisme, de colonialisme. Le fait qu’il pleurniche aujourd’hui ne l’empêche pas de continuer de piller et détruire, de faire la guerre à tout ce qui bouge. La barbarie intérieure du blanc donne la théorie du genre, l’antiracisme, le féminisme, le multiculturalisme : en Espagne le parti Podemos veut supprimer les allocations aux mères de famille qui se renferment dans un rôle présumé trop féminin. Le blanc interdira la maternité aux blancs. 90 % des gens s’en moqueront ou tonneront contre (Flaubert) mollement. Paul Craig Roberts, qui dénonce le traitement fait aux blancs dans les écoles US, reconnaît que le gullible blanc [crédule, NDT] se moque de sa disparition. Mieux, sa disparition satisfait son instinct malthusien de snob écolo.

Le blanc est devenu débile depuis longtemps. Nietzsche parle du crétin mâle, Flaubert ou Baudelaire tapent sur les bourgeois, les quarante-huitards ou les Belges… Mais malheureusement tout le monde le copie ce blanc : progrès, croissance, changement… Tout le monde quoiqu’on dise se rue pour copier l’occidental et le yankee. Notre anticivilisation mondialisée n’est pas condamnée aux clashes mais aux cloches !

Condamnée à disparaître en ce siècle de confort, la « race blanche » sera imitée/suivie par les autres. En ce moment, on donne dans le snobisme malthusien, comme l’andouille Cochet. Pareil, on n’enseigne plus l’histoire de cette race dite blanche ou sa littérature aux autres « races », mais comme elle-même s’en fout…

Et plus personne dans ce monde zombifié ne s’en préoccupe. C’est qu’ailleurs aussi on cherche à croître et à se gaver. Pauvre Chine, pauvre hindouisme, pauvre Japon et pauvre islam en tout cas, qui finiront comme les peuples primitifs broyés et oubliés qui disparurent les premiers sous les coups des blancs. Il restera les subsahariens que le confort du vingt-deuxième siècle abolira à leur tour. Car on n’arrête pas le progrès, demandez aux robots…

Un qui parle de nos primitifs engloutis, des Peaux-Rouges de notre enfance de blanc américanisé, c’est Tocqueville, dans l’admirable Quinze jours au désert.

Tocqueville remarque :

« Une des choses qui piquaient le plus notre curiosité en venant en Amérique, c’était de parcourir les extrêmes limites de la civilisation européenne ; et même, si le temps nous le permettait, de visiter quelques-unes de ces tribus indiennes qui ont mieux aimé fuir dans les solitudes les plus sauvages que de se plier à ce que les blancs appellent les délices de la vie sociale. Mais il est plus difficile qu’on ne croit de rencontrer aujourd’hui le désert. »

S’ensuit une expression admirable que les grands voyageurs (ceux qui ne savent pas quand ils rentrent, disait Paul Bowles) ont connue partout :

À partir de New York, et à mesure que nous avancions vers le nord-ouest, le but de notre voyage semblait fuir devant nous.

Tocqueville dénonce la froide indifférence du blanc :

« Et que sont devenus les Indiens ? disais-je. — Les Indiens, reprenait notre hôte, ils ont été je ne sais pas trop où, par-delà les Grands Lacs ; c’est une race qui s’éteint ; ils ne sont pas faits pour la civilisation, elle les tue.

L’homme s’accoutume à tout, à la mort sur les champs de bataille, à la mort dans les hôpitaux, à tuer et à souffrir. Il se fait à tous les spectacles. Un peuple antique, le premier et le légitime maître du continent américain, fond chaque jour comme la neige aux rayons du soleil, et disparaît à vue d’œil de la surface de la Terre.

Dans les mêmes lieux et a sa place, une autre race grandit avec une rapidité plus surprenante encore ; par elle les forêts tombent, les marais se dessèchent ; des lacs semblables à des mers, des fleuves immenses ; s’opposent en vain a sa marche triomphante. Les déserts deviennent des villages, les villages deviennent des villes. Témoin journalier de ces merveilles, l’Américain ne voit dans tout cela rien qui l’étonne. »

Il finit par une belle conclusion traditionnelle :

« Cette incroyable destruction, cet accroissement plus surprenant encore, lui paraissent la marche habituelle des événements de ce monde. II s’y accoutume comme à l’ordre immuable de la nature. »

Chateaubriand a déjà dénoncé notre insensibilité moderne. Tocqueville écrit encore :

« Au milieu de cette société si jalouse de moralité et de philanthropie, on rencontre une insensibilité complète, une sorte d’égoïsme froid et implacable, lorsqu’il s’agit des indigènes de l’Amérique. Les habitants des États-Unis ne chassent pas les Indiens à cor et à cris ainsi que faisaient les Espagnols du Mexique. Mais c’est le même instinct impitoyable qui anime ici comme partout ailleurs la race européenne. »

Aux siècles dits libéraux, cet instinct impitoyable s’appliqua aussi contre les pauvres en Europe, en Grande-Bretagne surtout, et les esclaves blancs (indentured servants), surtout irlandais, qui peuplent les colonies américaines. L’instinct impitoyable revient aujourd’hui avec la montée du nombre des sans-abri, de Paris à San Francisco. Mais les bobos et les oligarques préfèrent s’occuper de leur lointain que de leur prochain. Ah, ce goût du voyage !

Tocqueville nous dit aussi :

« Combien de fois, dans le cours de nos voyages, n’avons-nous pas rencontré d’honnêtes citadins qui nous disaient le soir, tranquillement assis au coin de leur foyer : Chaque jour le nombre des Indiens va décroissant ! Ce n’est pas cependant que nous leur fassions souvent la guerre, mais l’eau-de-vie que nous leur vendons à bas prix en enlève tous les ans plus que ne pourraient le faire nos armes. Ce monde-ci nous appartient, ajoutaient-ils ; Dieu, en refusant à ses premiers habitants la faculté de se civiliser, les a destinés par avance à une destruction inévitable. »

On en revient toujours au fric. Les Indiens ne sont pas méprisés parce qu’ils sont rouges, mais parce qu’ils sont pauvres :

« Les véritables propriétaires de ce continent sont ceux qui savent tirer parti de ses richesses. »

Et Tocqueville remarque cette transformation du christianisme en pharisaïsme :

« Satisfait de son raisonnement, l’Américain s’en va au temple où il entend un ministre de l’Évangile lui répéter que les hommes sont frères, et que l’Être éternel, qui les a tous faits sur le même modèle, leur a donné à tous le devoir de se secourir. »

Certes, ce pharisaïsme est tempéré par la bonne conscience qui fait détruire la Libye, et fait rentrer plus de migrants ; car notre blanc n’est jamais à bout de bonnes intentions humanitaires !

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr




Chateaubriand et la conclusion de notre histoire

Par Nicolas Bonnal

Un des plus importants textes du monde moderne, le premier qui nous annonce comment tout va être dévoré : civilisation occidentale et autres, peuples, sexes, cultures, religions aussi. C’est la conclusion des Mémoires d’outre-tombe. On commence avec l’unification technique du monde :

« Quand la vapeur sera perfectionnée, quand, unie au télégraphe et aux chemins de fer, elle aura fait disparaître les distances, ce ne seront plus seulement les marchandises qui voyageront, mais encore les idées rendues à l’usage de leurs ailes. Quand les barrières fiscales et commerciales auront été abolies entre les divers États, comme elles le sont déjà entre les provinces d’un même État ; quand les différents pays en relations journalières tendront à l’unité des peuples, comment ressusciterez−vous l’ancien mode de séparation ? »

On ne réagira pas. Chateaubriand voit l’excès d’intelligence venir :

« La société, d’un autre côté, n’est pas moins menacée par l’expansion de l’intelligence qu’elle ne l’est par le développement de la nature brute. Supposez les bras condamnés au repos en raison de la multiplicité et de la variété des machines, admettez qu’un mercenaire unique et général, la matière, remplace les mercenaires de la glèbe et de la domesticité : que ferez−vous du genre humain désoccupé ? Que ferez−vous des passions oisives en même temps que l’intelligence ? La vigueur du corps s’entretient par l’occupation physique ; le labeur cessant, la force disparaît ; nous deviendrions semblables à ces nations de l’Asie, proie du premier envahisseur, et qui ne se peuvent défendre contre une main qui porte le fer. Ainsi la liberté ne se conserve que par le travail, parce que le travail produit la force : retirez la malédiction prononcée contre les fils d’Adam, et ils périront dans la servitude : In sudore vultus tui, vesceris pane. [tu mangeras du pain à la sueur de ton front.] »

Le gain technique va se payer formidablement. Vient une formule superbe (l’homme moins esclave de ses sueurs que de ses pensées) :

« La malédiction divine entre donc dans le mystère de notre sort ; l’homme est moins l’esclave de ses sueurs que de ses pensées : voilà comme, après avoir fait le tour de la société, après avoir passé par les diverses civilisations, après avoir supposé des perfectionnements inconnus on se retrouve au point de départ en présence des vérités de l’Écriture. »

Puis Chateaubriand constate la fin de la monarchie :

« La société entière moderne, depuis que la bannière des rois français n’existe plus, quitte la monarchie. Dieu, pour hâter la dégradation du pouvoir royal, a livré les sceptres en divers pays à des rois invalides, à des petites filles au maillot ou dans les aubes de leurs noces : ce sont de pareils lions sans mâchoires, de pareilles lionnes sans ongles, de pareilles enfantelettes tétant ou fiançant, que doivent suivre des hommes faits, dans cette ère d’incrédulité. »

Il voit le basculement immoral de l’homme moderne, grosse bête anesthésiée, ou aux indignations sélectives, qui aime tout justifier et expliquer :

« Au milieu de cela, remarquez une contradiction phénoménale : l’état matériel s’améliore, le progrès intellectuel s’accroît, et les nations au lieu de profiter s’amoindrissent : d’où vient cette contradiction ?

C’est que nous avons perdu dans l’ordre moral. En tout temps il y a eu des crimes ; mais ils n’étaient point commis de sang−froid, comme ils le sont de nos jours, en raison de la perte du sentiment religieux. À cette heure ils ne révoltent plus, ils paraissent une conséquence de la marche du temps ; si on les jugeait autrefois d’une manière différente, c’est qu’on n’était pas encore, ainsi qu’on l’ose affirmer, assez avancé dans la connaissance de l’homme ; on les analyse actuellement ; on les éprouve au creuset, afin de voir ce qu’on peut en tirer d’utile, comme la chimie trouve des ingrédients dans les voiries. »

La corruption va devenir institutionnalisée :

« Les corruptions de l’esprit, bien autrement destructives que celles des sens, sont acceptées comme des résultats nécessaires ; elles n’appartiennent plus à quelques individus pervers, elles sont tombées dans le domaine public. »

On refuse une âme, on adore le néant et l’hébétement (Baudrillard use du même mot) :

« Tels hommes seraient humiliés qu’on leur prouvât qu’ils ont une âme, qu’au-delà de cette vie ils trouveront une autre vie ; ils croiraient manquer de fermeté et de force et de génie, s’ils ne s’élevaient au-dessus de la pusillanimité de nos pères ; ils adoptent le néant ou, si vous le voulez, le doute, comme un fait désagréable peut−être, mais comme une vérité qu’on ne saurait nier. Admirez l’hébétement de notre orgueil ! »

L’individu triomphera et la société périra :

« Voilà comment s’expliquent le dépérissement de la société et l’accroissement de l’individu. Si le sens moral se développait en raison du développement de l’intelligence, il y aurait contrepoids et l’humanité grandirait sans danger, mais il arrive tout le contraire : la perception du bien et du mal s’obscurcit à mesure que l’intelligence s’éclaire ; la conscience se rétrécit à mesure que les idées s’élargissent. Oui, la société périra : la liberté, qui pouvait sauver le monde, ne marchera pas, faute de s’appuyer à la religion ; l’ordre, qui pouvait maintenir la régularité, ne s’établira pas solidement, parce que l’anarchie des idées le combat… »

Une belle intuition est celle-ci, qui concerne… la mondialisation, qui se fera au prix entre autres de la famille :

« La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra-t-elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez-vous jeter au cou d’un frère. »

Puis Chateaubriand décrit notre société nulle, « flat » (cf. Thomas Friedman en anglais), plate et creuse et surtout ubiquitaire :

« Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait−il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera-t-il un idiome universel, ou bien y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient−elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? »

Et de conclure sur cette prison planétaire :

« Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »

Elle n’en est même pas capable…

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr




Le 666 Arrive

[Source : AVATAR Media]






Gustave de Beaumont et la critique radicale de la démocratie américaine

Par Nicolas Bonnal

Comme je le dis parfois, nous vivons dans un présent permanent depuis environ deux siècles. Les années 1830 sont déjà notre société et nous ne les quitterons qu’à la prochaine comète qui s’écrasera sur notre vieille planète. Ce n’est pas un hasard. Le progrès et la blafarde modernité ont paralysé l’histoire de l’humanité. Pronostiquée par Hegel en 1806, la Fin de l’Histoire n’en finit pas de prendre son congé.

Gustave de Beaumont est le célèbre accompagnateur de Tocqueville en Amérique. Ils allaient y étudier les établissements pénitentiaires (c’est prémonitoire, il y a trois millions de détenus là-bas, et les matons forment le premier syndicat dans une dizaine d’États). Je n’avais jamais pensé à le lire, mais c’est Karl Marx qui le cite ! Ma curiosité éveillée, je trouve sur un site québécois son très beau livre (avec une partie romanesque un peu niaise et trop copiée sur Manon Lescaut) sur Marie et l’esclavage, où Gustave de Beaumont révèle une lucidité française bien digne de Tocqueville et un style d’exception digne de Chateaubriand, du Lamartine de Graziella (texte préféré de Joyce en français) et plus généralement de l’aristocrate qu’il était — après ce sera fini avec Balzac ; après la prose sentira la roture, je le dis comme je le pense.

Les jugements de Beaumont sont encore plus durs que ceux de Tocqueville. Il ne digère pas l’hypocrisie éhontée de l’esclavage dans une nation libre et donneuse de leçons, et aussi beaucoup d’autres choses. J’ai picoré ces réflexions çà et là dans son si beau texte :

Les Américains des États-Unis sont peut-être la seule de toutes les nations qui n’a point eu d’enfance mystérieuse.

Là, on est bien d’accord. Le prosaïsme américain a écœuré toutes les grandes âmes yankees, Poe (Colloque entre Monos et Una), Melville (Pierre), Hawthorne (lisez l’admirable Petite fille de neige) entre autres. Encore qu’en analysant mieux le caractère Illuminati du dollar qui continue de fasciner l’humanité alors que l’Amérique est en faillite…

Il est clair en tout cas que pour Beaumont l’argent fait le bonheur des Américains, qui réifient tout, comme disent aussi les marxistes : la nature c’est de l’environnement, et l’environnement ça sert d’abord à faire de l’argent.

Absorbé par des calculs, l’habitant des campagnes, aux États-Unis, ne perd point de temps en plaisirs ; les champs ne disent rien à son cœur ; le soleil qui féconde ses coteaux n’échauffe point son âme. Il prend la terre comme une matière industrielle ; il vit dans sa chaumière comme dans une fabrique.

Vrai Saroumane, l’Américain déteste la nature et en particulier la forêt (on se souvient du film Délivrance où un retour à la nature vire au cauchemar) :

Les Américains considèrent la forêt comme le type de la nature sauvage (wilderness), et partant de la barbarie ; aussi c’est contre le bois que se dirigent toutes leurs attaques. Chez nous, on le coupe pour s’en servir ; en Amérique, pour le détruire. L’habitant des campagnes passe la moitié de sa vie à combattre son ennemi naturel, la forêt ; il le poursuit sans relâche ; ses enfants en bas âge apprennent déjà l’usage de la serpe et de la hache… l’absence de bois est, à leurs yeux, le signe de la civilisation, comme les arbres sont l’annonce de la barbarie.

Beaumont comprend comme Baudelaire et aussi Edgar Poe qu’avec l’Amérique on entre dans un nouvel âge du monde : l’âge de l’intérêt matériel, du conformisme moral (la tyrannie de la majorité) et de la standardisation industrielle. Et comme Chateaubriand et avant Nietzsche, il pense que :

Tout d’ailleurs s’était rapetissé dans le monde, les choses comme les hommes. On voyait des instruments de pouvoir, faits pour des géants, et maniés par des pygmées, des traditions de force exploitées par des infirmes, et des essais de gloire tentés par des médiocrités.

Beaumont a raison : le monde moderne c’est Lilliput.

La force d’imprégnation américaine est telle qu’elle uniformise toutes les nations immigrées chez elles. Cela est intéressant, car cela se passe bien avant la machine à broyer hollywoodienne ou l’irruption de la télévision. L’Amérique c’est l’anti-Babel, le système à tuer les différences que la chrétienté avait si bien su préservé… Chose étrange ! La nation américaine se recrute chez tous les peuples de la terre, et nul ne présente dans son ensemble une pareille uniformité de traits et de caractères.

Le rapport sacré à la terre n’existe bien sûr pas. On n’y connaît pas le paysan de Heidegger (Beaumont explique que le Tasse et Homère ne seraient pas riches, alors…). Tout n’est qu’investissement immobilier au paradis du déracinement libéral :

L’Américain de race anglaise ne subit d’autre penchant que celui de l’intérêt ; rien ne l’enchaîne au lieu qu’il habite, ni liens de famille, ni tendres affections… Toujours prêt à quitter sa demeure pour une autre, il la vend à qui lui donne un dollar de profit.

Une des grandes victimes de la civilisation américaine est alors la femme (avec les noirs et les Indiens dont Beaumont parle très bien, et objectivement). Ce n’est pas pour rien que toutes les cultures du ressentiment au sens nietzschéen, l’antiracisme, la théorie du genre, le féminisme, le sectarisme sont nés aux USA au dix-neuvième siècle et après. La femme US est dangereuse et Beaumont explique le premier pourquoi :

Sa vie est intellectuelle. Ce jeune homme et cette jeune fille si dissemblables s’unissent un jour par le mariage. Le premier, suivant le cours de ses habitudes, passe son temps à la banque ou dans son magasin ; la seconde, qui tombe dans l’isolement le jour où elle prend un époux, compare la vie réelle qui lui est échue à l’existence qu’elle avait rêvée. Comme rien dans ce monde nouveau qui s’offre à elle ne parle à son cœur, elle se nourrit de chimères, et lit des romans. Ayant peu de bonheur, elle est très religieuse, et lit des sermons.

On dirait notre bonne vieille Emma ! Tout cela ne fait pas le bonheur des femmes, qui n’ont pas encore le féminisme et la pension alimentaire pour bien se rattraper. L’Amérique invente madame Bovary plus vite que Flaubert (l’adaptation de Minnelli avec Jennifer Jones est éblouissante d’ailleurs) et le couple qui n’a rien à se dire — sauf devant l’avocat ou le psy, comme Mr and Mrs Smith (ils veulent bien se parler, mais il faut qu’ils paient !). La famille US est déjà telle que nous la connaissons aujourd’hui : quand elle n’est pas recomposée ou divisée, elle n’est pas ; Et cela sans qu’il y ait eu besoin de la télévision, du frigidaire et du portable pour abrutir et isoler tout le monde. Beaumont ajoute qu’il n’y a aucune affection, c’est cela le plus moderne — et donc choquant.

Ainsi se passent ses jours. Le soir, l’Américain rentre chez lui, soucieux, inquiet, accablé de fatigue ; il apporte à sa femme le fruit de son travail, et rêve déjà aux spéculations du lendemain. Il demande le dîner, et ne profère plus une seule parole ; sa femme ne sait rien des affaires qui le préoccupent ; en présence de son mari, elle ne cesse pas d’être isolée. L’aspect de sa femme et de ses enfants n’arrache point l’Américain au monde positif, et il est si rare qu’il leur donne une marque de tendresse et d’affection, qu’on donne un sobriquet aux ménages dans lesquels le mari, après une absence, embrasse sa femme et ses enfants ; on les appelle the kissing families.

L’obsession de l’argent qui crée des crises et de banqueroutes continuelles est continuelle : on n’a pas attendu Greenspan, Bernanke et les bulles de la Fed pour se ruiner — ou refaire fortune.

Le spectacle des fortunes rapides enivre les spéculateurs, et on court en aveugle vers le but : c’est là la cause de ruine. Ainsi tous les Américains sont commerçants, parce que tous voient dans le négoce un moyen de s’enrichir ; tous font banqueroute, parce qu’ils veulent s’enrichir trop vite.

Voyons la religion dont on a fait si grand cas là-bas. Si la femme est une « associée », un partner, comme on dit là-bas, l’homme religieux est un homme d’affaires. Beaumont est ici excellent dans son observation (c’est le passage que cite Marx dans un fameux petit essai sur la question juive) :

Le ministère religieux devient une carrière dans laquelle on entre à tout âge, dans toute position et selon les circonstances. Tel que vous voyez à la tête d’une congrégation respectable a commencé par être marchand ; son commerce étant tombé, il s’est fait ministre ; cet autre a débuté par le sacerdoce, mais dès qu’il a eu quelque somme d’argent à sa disposition, il a laissé la chaire pour le négoce. Aux yeux d’un grand nombre, le ministère religieux est une véritable carrière industrielle. Le ministre protestant n’offre aucun trait de ressemblance avec le curé catholique.

On s’en serait douté ! La religion évangélique comme business et comme programmation mentale malheureusement a un beau futur devant elle. Revoyez l’épisode de Columbo Le Chant du Cygne sur cette question.

Beaumont n’a pas vu de western (voyez mon livre ici), mais on va voir qu’il aurait pu en écrire les scénarios. Il parle du duel US en des termes peu amènes :

En Amérique, le duel a toujours une cause grave, et le plus souvent une issue funeste ; ce n’est pas une mode, un préjugé, c’est un moyen de prendre la vie de son ennemi. Chez nous, le duel le plus sérieux s’arrête en général au premier sang ; rarement il cesse en Amérique autrement que par la mort de l’un des combattants.
Il y a dans le caractère de l’Américain un mélange de violence et de froideur qui répand sur ses passions une teinte sombre et cruelle… On trouve, dans l’Ouest, des États demi-sauvages où le duel, par ses formes barbares, se rapproche de l’assassinat.

Il ne manque plus que Liberty Valance, que Wayne abat d’ailleurs comme un chien dans le classique postmoderne de Ford. Comme on voit, la situation réelle est aussi sinistre que celle décrite dans bien des films (contrairement à ce qu’une histoire révisionniste — il y en a pour tous les genres — a voulu nous faire croire).
Venons-en au thème de son ouvrage.

Scandalisé par l’esclavage et par le préjugé autoentretenu qui lui sert de base, Beaumont comprend très bien le rôle du capitalisme — et surtout du christianisme — mal digéré :

L’exploitation de sa terre est une entreprise industrielle ; ses esclaves sont des instruments de culture. Il a soin de chacun d’eux comme un fabricant a soin des machines qu’il emploie ; il les nourrit et les soigne comme on conserve une usine en bon état ; il calcule la force de chacun, fait mouvoir sans relâche les plus forts et laisse reposer ceux qu’un plus long usage briserait. Ce n’est pas là une tyrannie de sang et de supplices, c’est la tyrannie la plus froide et la plus intelligente qui jamais ait été exercée par le maître sur l’esclave.

Voir Tocqueville et son analyse de l’extermination légale et philanthropique des Indiens (« On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité »). S’il n’y a vite eu plus d’Indiens, il y avait en tout cas 700 000 Africains en 1799, quatre millions lors de la Guerre civile (qui tue 3 % de la population, ruine puis pille le Sud, et endette le pays), 40 millions aujourd’hui ! L’esclavage est un beau calcul !

Beaumont constate que le racisme finit par découler de l’esclavage ce qui n’était pas le cas avant. Cela aura des conséquences importantes dans les années vingt du siècle, quand les Allemands décréteront que les Ukrainiens sont bons à leur servir d’esclaves ou que les Polonais peuvent être remplacés parce que moins techniques et moins universitaires (comme on sait, l’antisémitisme a d’autres fondements). Ils avaient moins de « lumières », comme disait Washington à propos des Indiens ou Ferry à propos des « races inférieures » — on en dit quoi dans les loges du mariage pour tous ?

Faudrait-il, parce qu’on reconnaîtrait à l’homme d’Europe un degré d’intelligence de plus qu’à l’Africain, en conclure que le second est destiné par la nature à servir le premier ? Mais où mènerait une pareille théorie ?
Il y a aussi parmi les blancs des intelligences inégales : tout être moins éclairé sera-t-il l’esclave de celui qui aura plus de lumières ? Et qui déterminera le degré des intelligences ?

Demandez à Harari…

Le grand ennemi spirituel des sectes protestantes souvent athées ou folles (les quakers par exemple : « rien dans cette cérémonie burlesque ne fait rire, parce que tout fait pitié ») qui se partagent le pays est bien sûr le catholicisme. Ici Beaumont va aussi plus loin que Tocqueville :

Au milieu des sectes innombrables qui existent aux États-Unis, le catholicisme est le seul culte dont le principe soit contraire à celui des autres.

On dirait du Chesterton. L’Église fait enrager tout le monde, et cela n’a pas changé jusqu’à ce que Bergoglio soit imposé par les USA.

L’unité du catholicisme, le principe de l’autorité dont il procède, l’immobilité de ses doctrines au milieu des sectes protestantes qui se divisent, et de leurs théories qui sont contraires entre elles, quoique partant d’un principe commun, qui est le droit de discussion et d’examen ; toutes ces causes tendent à exciter parmi les protestants quelques sentiments hostiles envers les catholiques.

La haine du catholicisme devient alors le seul commun dénominateur (on se doutait que ce n’était pas Jésus !) du discours américain, comme de tout discours moderne en général (c’est ce que disait notre ami Muray et il avait bien raison !) :

Il paraît bien constant qu’aux États-Unis le catholicisme est en progrès, et que sans cesse il grossit ses rangs, tandis que les autres communions tendent à se diviser. Aussi est-il vrai de dire que, si les sectes protestantes se jalousent entre elles, toutes haïssent le catholicisme, leur ennemi commun.

L’État américain n’est bien sûr pas chrétien, il l’a dit du reste aux Marocains dès le début, il est comme dit Marx judaïque — on dira vétérotestamentaire (on jure sur la Bible, on ignore toujours l’Évangile ; vous avez déjà vu une allusion à la naissance du Christ pour la fête de Noël en Amérique ?), et il a même inventé la laïcité, aujourd’hui battue en brèche par le ressentiment communautariste venu aussi d’Amérique.

Ainsi il n’existe aux États-Unis ni religion de l’État, ni religion déclarée celle de la majorité, ni prééminence d’un culte sur un autre. L’État est étranger à tous les cultes.

Enfin Beaumont trouve que les Américains deviendront dangereux avec leur orgueil :

Je blâme cet aveuglement de l’orgueil national des Américains, qui leur fait admirer tout ce qui se passe dans leur pays.

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr




Bernays et Céline et la standardisation moderne

Par Nicolas Bonnal

Avant d’étudier Bernays, on rappellera Céline. Apparemment, tout les oppose, mais sur l’essentiel ils sont d’accord : le monde moderne nous conditionne…

« Nous disions qu’au départ, tout article à “standardiser” : vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition absolue. Pour s’imposer au goût, à l’admiration des foules les plus abruties, des spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l’article à lancer doit être encore plus con, plus méprisable qu’eux tous à la fois. »

Bernays… C’est un des personnages les plus importants de l’histoire moderne, et on ne lui a pas suffisamment rendu hommage ! Il est le premier à avoir théorisé l’ingénierie du consensus et la définition du despotisme éclairé.

Edouard Bernays est un expert en contrôle mental et en conditionnement de masse. C’est un neveu viennois de Freud, et comme son oncle un lecteur de Gustave Le Bon. Il émigre aux États-Unis, sans se préoccuper de ce qui va se passer à Vienne… Journaliste (dont le seul vrai rôle est de créer une opinion, de l’in-former au sens littéral), il travaille avec le président Wilson au Committee on Public Information, au cours de la Première Guerre mondiale. Dans les années 1920, il applique à la marchandise et à la politique les leçons de la guerre et du conditionnement de masse ; c’est l’époque du spectaculaire diffus, comme dit Debord. À la fin de cette fascinante et marrante décennie, qui voit se conforter la société de consommation, le KKK en Amérique, le fascisme et le bolchévisme en Europe, le surréalisme et le radicalisme en France, qui voit progresser la radio, la presse illustrée et le cinéma, Bernays publie un très bon livre intitulé Propagande (la première congrégation de propagande vient de l’Église catholique, créée par Grégoire XV en 1622) où le plus normalement et le plus cyniquement du monde il dévoile ce qu’est la démocratie américaine moderne : un simple système de contrôle des foules à l’aide de moyens perfectionnés et primaires à la fois ; et une oligarchie, une cryptocratie plutôt où le sort de beaucoup d’hommes, pour prendre une formule célèbre, dépend d’un tout petit nombre de technocrates et de faiseurs d’opinion. C’est Bernays qui a imposé la cigarette en public pour les femmes ou le bacon and eggs au petit déjeuner par exemple : dix ans plus tard, les hygiénistes nazis, aussi forts que lui en propagande (et pour cause, ils le lisaient) interdisent aux femmes de fumer pour raisons de santé. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il travaille avec une autre cheville ouvrière d’importance, Walter Lippmann.

Avec un certain culot (une certaine chutzpah1 ?), Bernays dévoile les arcanes de notre société de consommation. Elle est conduite par une poignée de dominants, de gouvernants invisibles. Rétrospectivement on trouve cette confession un rien provocante et — surtout — imprudente. À moins qu’il ne s’agît à l’époque pour ce fournisseur de services d’épater son innocente clientèle américaine ?

« Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d’êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d’habiles personnages agissant en coulisse. »

Bernays reprend l’image fameuse de Disraeli dans Coningsby : l’homme-manipulateur derrière la scène. C’est l’image du parrain, en fait un politicien, l’homme tireur de ficelles dont l’expert russe Ostrogorski a donné les détails et les recettes dans son classique sur les partis politiques publié en 1898, et qui est pour nous supérieur aux Pareto-Roberto Michels. Nous sommes dans une société technique, dominés par la machine (Cochin a récupéré aussi l’expression d’Ostrogorski) et les tireurs de ficelles, ou wire-pullers (souvenez-vous de l’affiche du Parrain, avec son montreur de marionnettes) ; ces hommes sont plus malins que nous, Bernays en conclut qu’il faut accepter leur pouvoir. La société sera ainsi plus smooth. On traduit ?

Comme je l’ai dit, Bernays écrit simplement et cyniquement. On continue donc :

« Les techniques servant à enrégimenter l’opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente. »

La complexité suppose des élites techniques, les managers dont parle Burnham dans un autre classique célèbre (L’ère des organisateurs, préfacé en France par Léon Blum en 1946). Il faut enrégimenter l’opinion, comme au cours de la première guerre mondiale, qui n’aura servi qu’à cela : devenir communiste, anticommuniste, nihiliste, consommateur ; comme on sait le nazisme sera autre chose, d’hypermoderne, subtil et fascinant, avec sa conquête spatiale et son techno-charisme — modèle du rock moderne (lisez ma damnation des stars).

L’ère des masses est aussi très bien décrite — mais pas comprise — par Ortega Y Gasset (il résume tout dans sa phrase célèbre ; « les terrasses des cafés sont pleines de consommateurs »…). Et cette expression, ère des masses, traduit tristement une standardisation des hommes qui acceptent humblement de se soumettre et de devenir inertes (Tocqueville, Ostrogorski, Cochin aussi décrivaient ce phénomène).

« Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites d’intérêt général ; nous acceptons qu’un guide moral, un pasteur, par exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons. »

Pour Bernays bien sûr on est inerte quand on résiste au système oppressant et progressiste (le social-corporatisme dénoncé dans les années 80 par Minc & co).

La standardisation décrite à cette époque par Sinclair Lewis dans son fameux Babbitt touche tous les détails de la vie quotidienne : Babbitt semble un robot humain plus qu’un chrétien (il fait son Church-shopping à l’américaine d’ailleurs), elle est remarquablement rendue dans le cinéma comique de l’époque, ou tout est mécanique, y compris les gags. Bergson a bien parlé de ce mécanisme plaqué sur du vivant. Il est favorisé par le progrès de la technique :

« Il y a cinquante ans, l’instrument par excellence de la propagande était le rassemblement public. À l’heure actuelle, il n’attire guère qu’une poignée de gens, à moins que le programme ne comporte des attractions extraordinaires. L’automobile incite nos compatriotes à sortir de chez eux, la radio les y retient, les deux ou trois éditions successives des quotidiens leur livrent les nouvelles au bureau, dans le métro, et surtout ils sont las des rassemblements bruyants. »

La capture de l’esprit humain est l’objectif du manipulateur d’opinion, du spécialiste en contrôle mental, cet héritier du magicien d’Oz.

« La société consent à ce que son choix se réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la propagande de toute sorte. Un effort immense s’exerce donc en permanence pour capter les esprits en faveur d’une politique, d’un produit ou d’une idée. »

Concernant la Première Guerre mondiale, Bernays « révise » simplement l’Histoire en confiant que la croisade des démocraties contre l’Allemagne s’est fondée sur d’habituels clichés et mensonges ! Il a d’autant moins de complexes que c’est lui qui a mis cette propagande au point…

« Parallèlement, les manipulateurs de l’esprit patriotique utilisaient les clichés mentaux et les ressorts classiques de l’émotion pour provoquer des réactions collectives contre les atrocités alléguées, dresser les masses contre la terreur et la tyrannie de l’ennemi. Il était donc tout naturel qu’une fois la guerre terminée, les gens intelligents s’interrogent sur la possibilité d’appliquer une technique similaire aux problèmes du temps de paix. »

On n’a jamais vu un cynisme pareil. Machiavel est un enfant de chœur. La standardisation s’applique bien sûr à la politique. Il ne faut pas là non plus trop compliquer les choses, écrit Bernays. On a trois poudres à lessive pour laver le linge, qui toutes appartiennent à Procter & Gamble (les producteurs de soaps séries à la TV) ou à Unilever ; et bien on aura deux ou trois partis politiques, et deux ou trois programmes simplifiés !

Bernays reprend également l’expression demachinede Moïse Ostrogorski (voir notre chapitre sur ce chercheur russe, qui disséqua et désossa l’enfer politique américain), qui décrit l’impeccable appareil politique d’un gros boss. La machine existe déjà chez le baroque Gracian. Ce qui est intéressant c’est de constater que la mécanique politique — celle qui a intéressé Cochin — vient d’avant la révolution industrielle. Le motindustriedésigne alors l’art du chat botté de Perrault, celui de tromper, d’enchanter — et de tuer ; l’élite des chats bottés de la politique, de la finance et de l’opinion est une élite d’experts se connaissant, souvent cooptés et pratiquant le prosélytisme. Suivons le guide en conspiration !

« Il n’en est pas moins évident que les minorités intelligentes doivent, en permanence et systématiquement, nous soumettre à leur propagande. Le prosélytisme actif de ces minorités qui conjuguent l’intérêt égoïste avec l’intérêt public est le ressort du progrès et du développement des États-Unis. Seule l’énergie déployée par quelques brillants cerveaux peut amener la population tout entière à prendre connaissance des idées nouvelles et à les appliquer. »

Comme je l’ai dit, cette élite n’a pas besoin de prendre de gants, pas plus qu’Edouard Bernays. Il célèbre d’ailleurs son joyeux exercice de style ainsi :

« Les techniques servant à enrégimenter l’opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente. »

La démocratie a un gouvernement invisible qui nous impose malgré nous notre politique et nos choix. Si on avait su…

Après la Guerre, Bernays inspire le méphitique Tavistock Institute auquel Daniel Estulin a consacré un excellent et paranoïaque ouvrage récemment.

Mais en le relisant, car cet ouvrage est toujours à relire, je trouve ces lignes définitives sur l’organisation conspiratrice de la vie politique et de ses partis :

« Le gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. Depuis, par esprit pratique et pour des raisons de simplicité, nous avons admis que les appareils des partis restreindraient le choix à deux candidats, trois ou quatre au maximum. »

Et cette conspiration était n’est-ce pas très logique, liée à l’esprit pratique et à la simplicité :

« Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d’organisation et de direction, la dispersion de leurs voix individuelles entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusion ».

Pour le grand Bernays il n’y a de conspiration que logique. La conspiration n’est pas conspiratrice, elle est indispensable. Sinon tout s’écroule. L’élite qu’il incarne, et qui œuvre d’ailleurs à l’époque de Jack London, ne peut pas ne pas être. Et elle est trop souple et trop liquide pour se culpabiliser. N’œuvre-t-elle pas à la réconciliation franco-allemande après chaque guerre qu’elle a contribué à déclencher, et que la Fed a contribué à financer au-delà des moyens de tous ?

Elle est aussi innocente que l’enfant qui vient de naître.

Un qui aura bien pourfendu Bernays sans le savoir dans ses pamphlets est Louis-Ferdinand Céline. Sur la standardisation par exemple, voici ce qu’il écrit :

« Standardisons ! le monde entier ! sous le signe du livre traduit ! du livre à plat, bien insipide, objectif, descriptif, fièrement, pompeusement robot, radoteur, outrecuidant et nul. »

Et d’ajouter sur un ton incomparable et une méchanceté inégalable :

« le livre pour l’oubli, l’abrutissement, qui lui fait oublier tout ce qu’il est, sa vérité, sa race, ses émotions naturelles, qui lui apprend mieux encore le mépris, la honte de sa propre race, de son fond émotif, le livre pour la trahison, la destruction spirituelle de l’autochtone, l’achèvement en somme de l’œuvre bien amorcée par le film, la radio, les journaux et l’alcoolisme. »

La standardisation (j’écris satan-tardisation…) rime avec la mort (mais n’étions-nous pas morts avant, cher Ferdinand ? Vois Drumont, Toussenel même, ce bon Cochin, ce génial Villiers…). Le monde est mort, et on a pu ainsi le réifier et le commercialiser ;

« Puisque élevés dans les langues mortes ils vont naturellement au langage mort, aux histoires mortes, à plat, aux déroulages des bandelettes de momies, puisqu’ils ont perdu toute couleur, toute saveur, toute vacherie ou ton personnel, racial ou lyrique, aucun besoin de se gêner ! Le public prend ce qu’on lui donne. Pourquoi ne pas submerger tout ! simplement, dans un suprême effort, dans un coup de suprême culot, tout le marché français, sous un torrent de littérature étrangère ? Parfaitement insipide ?… »

Divaguons sur ce thème de la civilisation mortelle — et sortons du Valéry pour une fois. À la même époque, Drieu La Rochelle écrivait dans un beau libre préfacé par Halévy, Mesure de la France :

« Il n’y a plus de conservateurs, de libéraux, de radicaux, de socialistes. Il n’y a plus de conservateurs, parce qu’il n’y a plus rien à conserver. Religion, famille, aristocratie, toutes les anciennes incarnations du principe d’autorité, ce n’est que ruine et poudre. »

Puis Drieu enfonce plus durement le clou (avait-il déjà lu Guénon ?) :

« Tous se promènent satisfaits dans cet enfer incroyable, cette illusion énorme, cet univers de camelote qui est le monde moderne où bientôt plus une lueur spirituelle ne pénétrera. »

Le gros shopping planétaire est mis en place par la matrice américaine, qui va achever de liquider la vieille patrie prétentieuse :

« Il n’y a plus de partis dans les classes, plus de classes dans les nations, et demain il n’y aura plus de nations, plus rien qu’une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen. »

Drieu affirme il y a cent ans que le catholicisme romain est zombie :

« Le Vatican est un musée. Nous ne savons plus bâtir de maisons, façonner un siège où nous y asseoir. À quoi bon défendre des banques, des casernes, et les Galeries Lafayette ? »

Enfin, vingt ans avant Heidegger ou Ellul, Drieu désigne la technique et l’industrie comme les vrais conspirateurs :

« Il y aura beaucoup de conférences comme celle de Gênes où les hommes essaieront de se guérir de leur mal commun : le développement pernicieux, satanique, de l’aventure industrielle. »

Revenons à Céline, qui avec ferveur et ire dépeint la faune nouvelle de l’art pour tous :

« Les grands lupanars d’arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères de l’art robot ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés… Le recrutement est infini. Le lecteur moyen, l’amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, constitue la base piétinable à travers villes et continents, l’humus magnifique le terreau miraculeux, dans lequel les merdes publicitaires vont resplendir, séduire, ensorceler comme jamais. »

Et de conclure avec son habituelle outrance que l’époque de l’inquisition et des gladiateurs valait bien mieux :

« Jamais domestiques, jamais esclaves ne furent en vérité si totalement, intimement asservis, invertis corps et âmes, d’une façon si dévotieuse, si suppliante.

Rome ? En comparaison ?… Mais un empire du petit bonheur ! une Thélème philosophique ! Le Moyen Âge ?… L’Inquisition ?… Berquinades ! Époques libres ! d’intense débraillé ! d’effréné libre arbitre ! le duc d’Albe ? Pizarro ? Cromwell ? Des artistes ! »

Dans son très bon livre sur Spartacus, l’écrivain juif communiste Howard Fast établit lui aussi un lien prégnant entre la décadence impériale et son Amérique ploutocratique. C’est que l’homme postmoderne et franchouillard a du souci à se faire (ce que Léon Bloy nommait sa capacité bourgeoise à avaler — surtout de la merde) :

« Plus c’est cul et creux, mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le “bon sens” des foules c’est : toujours plus cons. L’esprit banquiste, il se finit à la puce savante, achèvement de l’art réaliste, surréaliste. Tous les partis politiques le savent bien. Ce sont tous des puciers savants. La boutonneuse Mélanie prend son coup de bite comme une reine, si 25 000 haut-parleurs hurlent à travers tous les échos, par-dessus tous les toits, soudain qu’elle est Mélanie l’incomparable… Un minimum d’originalité, mais énormément de réclame et de culot. L’être, l’étron, l’objet en cause de publicité sur lequel va se déverser la propagande massive doit être avant tout au départ, aussi lisse, aussi insignifiant, aussi nul que possible. La peinture, le battage-publicitaire se répandra sur lui d’autant mieux qu’il sera plus soigneusement dépourvu d’aspérités, de toute originalité, que toutes ses surfaces seront absolument planes. Que rien en lui, au départ, ne peut susciter l’attention et surtout la controverse. »

Et comme s’il avait lu et digéré Bernays, Céline ajoute avec le génie qui caractérise ses incomparables pamphlets :

« La publicité pour bien donner tout son effet magique ne doit être gênée, retenue, divertie par rien. Elle doit pouvoir affirmer, sacrer, vociférer, mégaphoniser les pires sottises, n’importe quelle himalayesque, décervelante, tonitruante fantasmagorie… à propos d’automobiles, de stars, de brosses à dents, d’écrivains, de chanteuses légères, de ceintures herniaires, sans que personne ne tique… ne s’élève au parterre, la plus minuscule naïve objection. Il faut que le parterre demeure en tout temps parfaitement hypnotisé de connerie.

Le reste, tout ce qu’il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper, standardiser, doit disparaître. C’est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde robot qu’on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l’infini, fades simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam d’imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et infecte… »

Et de poursuivre sa belle envolée sur la standardisation :

« Le Standard en toutes choses, c’est la panacée. Plus aucune révolte à redouter des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, langage, l’immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La civilisation moderne c’est la standardisation totale, âmes et corps. »

La violence pour finir :

« Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l’or et devant la merde !… Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n’eut jamais dans toutes les pires antiquités… Du coup, on la gave, elle en crève… Et plus nulle, plus insignifiante est l’idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules… mieux la publicité s’accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l’idolâtrie… Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »

Céline est incomparable quand il s’attaque à la foule, lamentable quand il reprend le lemme du juif comme missionnaire du mal dans le monde moderne. Mais c’est cette folie narrative qui crée la tension géniale de son texte. De toute manière, ce n’est pas notre sujet. Et puis c’est Disraeli et c’est Bernays qui ont joué à l’homme invisible un peu trop visible. Comme dit Paul Johnson dans sa fameuse Histoire des Juifs (p. 329) :

« Thus Disraeli preached the innate superiority of certain races long before the social Darwinists made it fashionable, or Hitler notorious. »
[« Ainsi, Disraeli a prêché la supériorité innée de certaines races bien avant que les darwinistes sociaux ne la mettent à la mode ou que Hitler ne la rende notoire. »]

Bibliographie

Nicolas Bonnal — Littérature et conspiration (Dualpha, Amazon.fr)
Frédéric Bernays — Propagande
Céline — Bagatelles…
Drieu La Rochelle — Mesure de la France
Johnson (Paul) – A History of the Jews


1 De l’hébreu ḥuṣpâ (חֻצְפָּה) pour insolence, audace, impertinence.




Poésie : Laurence Guillon contre « les dévoués valets des Ténèbres »

Par Nicolas Bonnal

Ce texte sur des vers rimés promis à de rares Happy Few (l’expression n’est pas de Stendhal, mais de Shakespeare comme toujours) s’adresse aux fans de Laurence Guillon, qui offre l’originalité d’un blog double — de combat et de lutte contre les ténèbres du mondialisme ; et de survie et résurrection intérieure, résurrection qui se passe dans le cadre qui lui convenait de notre Russie orthodoxe et profonde. Le cas est assez exceptionnel : on pense à cette autrichienne ministre persécutée (Karin K.) depuis, qui est aussi polymathe, et que Poutine avait salué le jour de son mariage. Laurence poétesse est aussi traductrice, jardinière, musicienne, chanteuse et peintre — elle m’a offert un très beau tableau solaire qui orne mon deuxième appartement de travail dans mon bled andalou. Je ne peux malheureusement pas dire que l’Espagne pourtant moins esquintée que leur hexagone ait gardé les vertus que Laurence trouve en Russie profonde, à cent bornes de Moscou ? Mais Laurence est tout sauf une illuminée, cette aventurière voit les choses telles qu’elles sont, c’est une mystique avec un regard réaliste et parfois justement profane. Le mystique trop rêveur a vite fait de se faire bouffer — esprit compris — par les Temps qui courent.

Soyons réalistes donc. J’ai demandé ses poèmes à Laurence par curiosité et aussi ai-je ajouté parce qu’ils sont trop chers. Ancien poète amateur moi-même j’ai bradé les miens (écrits depuis trente-cinq ans quand même) à trois euros sur Amazon. Et j’ai des couillons de lecteurs qui tentent de revendre mon recueil à deux euros. La poésie est un risque à courir (on se fait traiter de mirlitons par les amateurs de destruction massive) par les temps qui courent, puisqu’il n’y a plus de lecteurs — ou peu s’en faut. Le mieux est de lui virer à Laurence une somme sur un compte français et de recevoir le PDF. Ou carrément et courageusement (achetez le couscous et les bougies avant) de commander le livre, si mon texte le justifie !
J’ai aimé le ton et les sujets guerriers des textes, et j’ai pensé au grandiose peintre Desvallières, l’ami flamboyant de Léon Bloy, génie méconnu, mystique et expressionniste, père de toute une tribu, et qui s’engagea sous les drapeaux à 53 ans pour défendre sa patrie, dans cette guerre où les derniers nobles français moururent. Après on n’eut plus que des électeurs et des consommateurs.
Laurence écrit dans son très grand poème l’Arche, toute consciente des enjeux apocalyptiques actuels :

« Le monde s’ouvre en deux, comme un crâne brisé,
Coulent les ténèbres, avec le sang versé,
Où se noient emmêlés les bêtes et les gens,
Trop peu de coupables et beaucoup d’innocents. »

Je trouve malheureusement qu’il y a bien moins d’innocents que jadis, qu’il s’agisse de guerre américaine, de vaccins, de credo climatique ou autre. Avant le paysan sacrifié par Napoléon ou Gambetta n’était pas informé, maintenant son héritier présumé aime se désinformer, fût-ce au risque de se faire écharper, affamer et ruiner. Le troupeau est enthousiaste comme dit Céline avant la giclée de Quarante. Il aime le mensonge, il aime le chiqué.
Refusons alors leur sabbat (climat vaccin guerre totale) :

« Les voilà tous dansant sur nos tombes futures.
Et l’unique chose dont je puis être sûre,
C’est qu’à leur bal maudit, je n’irai pas valser
Sans doute je mourrai, mais sans avoir chanté
Les louanges du diable et de ses diablotins
Qu’encensent bégayant tous ces tristes pantins. »

C’est tout ce qu’on peut faire en effet : refuser de chanter avec ce pape (lui ou un autre) le diable et ses sacrements.
Laurence visionnaire écrit ensuite dans son Écho secret des massacres :

« Voilà qu’arrive l’impossible…
Ces cohortes épouvantées
Devant le fracas des armées,
Et ces nuages invisibles,

Depuis ces villes écharpées,
Sont pleins des présences terribles
Que vous nous avez déchaînées,
Dévoués valets des ténèbres,

Malfaiteurs puissants et célèbres,
Aux âmes déjà remplacées
Par ceux qui vous les ont volées. »

Ce grand remplacement des âmes est en effet grandiose ; je cite toujours le film de Don Siegel l’Invasion des profanateurs de sépultures. Nous voulions montrer que les gens devenaient des légumes, disait ce maître du réalisme brutal et de Clint Eastwood. On est au milieu des années cinquante : la télé bouffe tout, l’autoroute (voyez aussi Stanley Donen) aussi, et bientôt le monde cybernétique qui inspirera à Debord des lignes superbes.
Le combat du système technétronique pour reprendre un terme célèbre passe par une censure de la terre, une interdiction de tous les éléments : terre, air, soleil, eau. L’écologiste informaticien rêve d’une terre brûlée (cf. Hawaii) et d’un homme affalé effaré (cf. Rousseau Sandrine). En effet le diable veut nous priver de la nature pas seulement de la vie (voyez et écoutez Harari sur les Territoires occupés).
Laurence écrit dans Joyeux Noël :

« C’est la terre qu’ils n’aiment pas,
Et qu’ils nous ont privée de voix,
Et puis le ciel bleu par-dessus,
Qui leur blesse par trop la vue.

Ils n’aiment pas la vie qui sourd
Des moindres failles du béton,
Tout ce qui brûle avec passion
Et sanctifie le fil des jours. »

C’est le sujet de mon libre sur la Destruction de la France au cinéma, France bétonnée et remplacée dans les années soixante par un gouvernement soi-disant souverainiste. Voyez Mélodie en sous-sol (ô Gabin à Sarcelles ville nouvelle…), Alphaville de Godard ou Play Time de Tati pour comprendre.
Laurence ajoute :

« Ils sont laids, froids, méchants et bas
Mais on n’entend plus que leurs voix,
Leurs mille voix dans le désert
De nos pays prêts à la guerre. »

Les techno-démocraties sont toujours en guerre depuis des siècles, mais ces guerres sentent la mort, elles ne témoignent jamais d’un excès de vie. De pures guerres d’attrition, celle de Quatorze et de Quarante, des guerres voulues par la bulle financière « anglo-saxonne » (ouaf), comme celle d’Ukraine. Une élite aux vues reptiliennes ou extraterrestres dirait-on.

Dans Cassandre (lisez le chant II de l’Enéide mon Dieu), Laurence écrit superbement :

« La bêtise aux cent mille bouches,
Le grand tohu-bohu du diable,
S’en va remplir ses desseins louches
En rameutant la foule instable,

Chien noir de cet affreux berger,
Glapissant à tous les échos,
Elle pousse à courir nos troupeaux
Sur les chemins qu’il a tracés.

Et comme il y va volontiers,
Le grand troupeau des imbéciles,
À l’abattoir sans barguigner,
Se pressant pour doubler la file. »

Le troupeau des imbéciles a été fabriqué artificiellement par la culture et l’art moderne (lisez Jacques Barzun, qui en parle bien, un autre exilé lui aussi) ; mon ami Paucard avait excellemment titré : la crétinisation par la culture — et par la télé, et par les médias, et par l’immobilier, et par l’économie, et par les vacances, et par la politique (mais quel futur gentil candidat de droite fera enfin la guerre à la Russie, merde ?).
C’est Alain Soral qui disait l’autre jour que la France ne pourrait être sauvée que par un miracle : que c’est juste !
Car la France est tombée plus bas que la plupart des pays, même d’Europe. Et comme je l’ai montré, ce n’est pas parce qu’elle est une victime ; c’est parce qu’elle l’a voulu. C’est le coq hérétique, ou comme dit Van Helsing dans le Dracula de Coppola la concubine de Satan, et depuis longtemps.
Très beau poème aux teintes géographiques : Aigues-mortes, Saintes-Maries. Laurence pense à Saint Louis tandis que l’emplâtre revote Macron :

« Aigues-Mortes, Saintes-Maries,
Aux quatre vents bien élargies,
Reviendra-t-il jamais le saint roi d’autrefois
Dans sa robe de lys, sur son blanc palefroi ?

Aigues-Mortes, Saintes-Maries,
Verrons-nous demain déferler,
Sur vos ruines de sel blanchies,
De sombres foules d’étrangers,

De conquérants et de bandits,
De bateleurs et d’usuriers,
Qui vendront vos fils au marché
Sous l’amer soleil du midi ? »

Quand on est Français sincère et lucide on a de quoi désespérer — j’en sais quelque chose. Laurence écrit sans hésiter dans la Fin du jour :

« Je meurs sans descendance et j’en rends grâce à Dieu,
Sur l’autel de Moloch, je n’étendrai personne.
Pas de fille soumise au plaisir des messieurs,
Pas de garçon brisé par le canon qui tonne. »

Sur l’imbécillité cosmique qui frappe ce peuple depuis longtemps (revoir Drumont, Céline ou Bernanos) Laurence écrit un texte admirable, l’abîme :

« L’abîme s’élargit et le tumulte croît
Sur la terre entière, le grand tohu-bohu…
Mais la France ébahie ne le voit toujours pas
Et n’entend pas les voix de ses anges perdus.

Elle ne comprend pas que déjà tout finit,
Qu’en bradant son honneur aux bandits de rencontre,
Elle dut en concevoir tous ces horribles fruits
Qui, mûris à présent, vont et partout se montrent.

Étrangers à la terre et bien trop loin du ciel,
Nous voici pourrissants dans cet entre-deux,
Sans idées, sans patrie, sans famille et sans Dieu,
Mollusques accrochés au néant démentiel. »

Mollusques accrochés au néant démentiel : je parlais Desvallières, on dirait du Goya. Il faudrait être Tarkovski pour filmer un texte comme celui-là. J’aime Voir les textes, pas les lire.
Pour se raccrocher, on a les animaux (je repense toujours à Leopardi et à ses oiseaux) ; dans Hommage notre poétesse écrit :

« Mon gentil petit chien, vas-tu me pardonner
De recueillir si tôt ce chien qui te ressemble ?
Malgré tout, je le sais, dedans l’éternité,
Nous nous retrouverons à jamais tous ensemble.
Et tu ne seras plus, là-bas, aussi jaloux,
Car d’amour jaillissant nous ne manquerons point. »

L’amitié des animaux est un don divin comme on sait (elle peut aussi devenir un don pour crétins, tout étant parodié en nos temps retournés) ; alors Laurence ajoute :

« Et toi, pendant neuf ans, mon joli petit chien,
Tu fus le gai soleil des instants quotidiens,
Gracieux comme un lutin.
Je t’ai porté là-bas, dans notre monastère,
Je t’ai bercé longtemps dans le vent de l’été,
Qui croyait avec toi pouvoir encore jouer,
Puis j’ai dû te coucher, souple et doux, dans la terre
Pour la première fois, j’ai dû t’abandonner. »

Parfois Laurence sur son blog écrit des phrases fulgurantes sur son paysage russe, et surtout sur le ciel. Je ne me suis jamais risqué à décrire le ciel moi (trop peur qu’il me tombe sur la tête !) ; mais dans l’Arc-en-ciel elle écrit :

« De tous ces plats d’argent renversés sur les champs,
Coule le lait de la lumière qui s’étale,
Et dans les blancs remous de cette gloire pâle,
De scintillants oiseaux montent tourbillonnants.

Au loin, l’ourlet bleui des collines dormantes
Borde de noirs labours et des vignes crispées,
Les nuées soulevées basculent, chancelantes,
De lourdes draperies au nord-ouest épanchées.

Et sous leurs plis violets s’esquisse l’arc-en-ciel… »

C’est très beau, innocent, et cela me mène à mon poème préféré, que je ne commenterai pas :

Pressentiment

« Il est des jours d’été pleins d’automne secret,
Comme au sein d’un beau fruit l’obscur noyau repose.
Leur lumière est plus douce et leur vent est plus frais,
Je ne sais quel mystère imprègne toutes choses.

Sur le ciel trop brûlant passe un voile doré
Qui donne à la nature un fond glorieux d’icône,
Les arbres s’illuminent et les prés desséchés
Font au nimbe solaire un drap de paille jaune.

Et mon cœur s’éclairant, pareil au verre frêle
De la lampe allumée, couvant la jeune flamme,
Laisse monter sereine à timide coups d’ailes,
La lente adoration qui embrase mon âme. »

On a ici un bel héritage de cette culture française qui n’existe pas. Mais pas de commentaires !

Dans Sainte Rencontre, Laurence écrit sur les astres et la Croix :

« Le vieillard Siméon prit le petit enfant,
Qui portait les étoiles dedans son corps langé,
Et vit dans ce moment jusqu’au fond le passé
Qui monte vers demain sous le flot des instants.

La grande croix du temps qui perce nos destins,
Irradiant nos larmes d’une lumière sans fin,
Instrument de supplice qui jette sur nos vies
L’éclat écartelé qui les réconcilie.

Verticale des siècles dans la mer éternelle,
Astre des jours plongé sous l’écume actuelle,
Qui tremble à la surface de l’océan profond
De l’antique existence au centre des éons. »

Ici on se promène dans le cosmos et à travers le temps.

Dans Croquis sinon Laurence renonce à nos alexandrins et affronte un mètre brutal :

« Ruissellement
Roucoulements
Tout petit chant
Intermittent
File une abeille.
Le grand azur bascule à l’orée des murailles,
Lisses, lents déplacements, très hauts lacis
Des martinets précis.
Le soleil assis sur le toit,
Rêve et balance ses pieds d’or.
L’ombre bleue le boude à l’écart,
Sous les loques lourdes de la pierraille,
Fuyant l’effroyable et douce lumière… »

On arrive à l’acédie, thème qui me préoccupe depuis toujours ; j’en ai parlé dans mon Graal et dans mon livre sur Cassien. Les moines les premiers ont vécu cette épreuve qui frappe aussi des chevaliers dont Galehot :

« Mon cœur est sourd
Comme le plomb,
Étanche et lourd
Et sans passion.
Lampe sans feu,
Miroir sans tain
Des vieux chagrins,
Vide de Dieu.
Pourquoi Seigneur
Me laisser choir
Dans ce trou noir
Et sans lueur ? »

Il y a un ton saturnien (le plomb) qui évoque Verlaine bien sûr et le titre même du recueil de Laurence : A l’ombre de Mars. Les planètes et leurs métaux, une belle alchimie…
Dans Vieil ami on a un ton hugolien, quand la nature parle (cf. Stella : « un vent frais m’éveilla, je sortis de mon rêve… ») :

« Le vent frais me caresse et sa chanson me suit,
De l’orée de mes jours à leur issue prochaine,
Mon plus fidèle amant me chante la rengaine
Dont jamais ne fut las mon cœur par trop meurtri.

J’écoute autour de moi son verbiage indistinct,
Ses cent chuchotements et ses multiples ailes,
Dans les remous d’azur du glorieux matin
Qui célèbre toujours son enfance éternelle.

Je passerai bientôt, mais son mouvement bleu
Et sa folle oraison ne prendront jamais fin.
Je laisserai sur terre à ses jeux incertains
La trace de mes pas et mes derniers adieux. »

Quel beau chuchotement éolien tout de même. J’ai toujours sinon pensé que trois quatrains aussi c’est mieux que deux quatrains et deux tercets.

Un dernier texte, le Lac final alors que la patrie trahie s’en est allée :

« Et je me souviendrai, devant l’espace ouvert,
De la mer vivante et douce, des rivages
Où j’allais tout enfant cherchant des coquillages
Dans la tiédeur salée, dans les parfums amers.

Large mer des larmes, ma douce France enfuie
Je m’écarte de toi comme on quitte un tombeau,
Sur nos tendres années implacablement clos,
Gisant silencieux en notre terre trahie. »

SOURCES

Laurence Guillon, à l’ombre de Mars.

www.leseditionsdunet.com
Sur les sites Internet : Amazon.fr, Chapitre.com, Fnac.com, etc. Auprès de votre libraire habituel




Paul Virilio et l’ère de la dissuasion globale

Par Nicolas Bonnal — Septembre 2019 — Source nicolasbonnal.wordpress.com

Jamais nous n’avons tant eu l’impression que notre planète, comme dit Hamlet (ou plus exactement Rosencrantz) est devenue une prison, prison dotée d’une foule de geôles, d’interdits, de flics de la pensée. La France est un camp de concentration médiatique, culturel et politique dont on ne s’échappe que par l’exode virtuel, ce qui est une faible consolation, puisque les responsabilités de l’aliénation sont imputables à cette même omniprésente et addictive technologie. Nous prétendons retourner contre l’ennemi les armes qu’il utilise pour nous emprisonner. Comme si nous n’avions pas compris Tolkien et la menace protéiforme et polyfacétique de son anneau…

Un des plus brillants penseurs de notre époque aura été l’urbaniste et théologien Paul Virilio qui dans un langage particulièrement inspiré a expliqué cet anéantissement de l’espace par la dromocratie (la dictature de la vitesse). Virilio évoque les grands bonds de cette vitesse depuis la renaissance ou l’épouvantable Napoléon, mais René Guénon parlait déjà d’Abel, de Caïn, et du temps dévoré par l’espace ; puis de l’espace dévoré à son tour.

Dans un passionnant entretien avec Jean-Luc Evard, Virilio nous éclaire :

Ce qui est en cause dans le progrès, c’est une accélération sans décélération, c’est-à-dire une hubris, une démesure.

On relira Eschyle sur ce point (car on oublie que pour Eschyle le fou dans Prométhée n’est pas le titan enchaîné, mais le néo-dieu usurpateur Zeus). Et on continue sur notre incarcération du monde :

À côté de la pollution des substances (dont traite l’écologie « verte »), il y a une pollution des distances : le progrès réduit à rien l’étendue du monde. Il y a là une perte insupportable, qui sera bien plus rapide que la pollution des substances. Et qui aura des conséquences autrement plus drastiques que celles relevées par Foucault à la suite du grand enfermement — la réalisation du grand enfermement, de l’incarcération du monde, dans un monde réduit par l’accélération des transports et des transmissions. Pour moi, l’écologie grise remet en cause la grandeur nature.

Et Virilio d’indiquer :

Projetons-nous en imagination deux générations devant nous : vivre sur terre sera insupportable, de par le phénomène d’incarcération dans un espace réduit à rien.

Quant à la « fin » (de la géographie, ou de l’histoire), il s’y agit de la finitude — non d’un terminal.

Virilio nous met en garde contre la farce scientifique (l’expression est de moi), qui, bâtie sur le mensonge éhonté de la conquête spatiale, nous fit miroiter d’autres mondes :

Face à ces phénomènes d’incarcération, d’enfermement, on est en train de chercher un outre-monde (des terraformations, par géo-ingénierie). Les astrophysiciens sont déjà en train de nous préparer une autre Terre promise. En Europe, il y a déjà des gens qui vivent enfermés dans des containers pour expérimenter les voyages vers Mars, la vie en exil aux limites de l’extrême. Toutes ces choses-là sont des signes pathologiques de l’exil à venir, ou de l’exode. Derrière l’écologie et la préservation de l’environnement, pour beaucoup de scientifiques, c’est déjà fichu. On est déjà en train d’anticiper une outre-Terre.

Lisez et relisez les lignes de Guénon sur cette capacité hallucinatoire du monde moderne. Puis pensez à ces jeunes du métro ou du train, logés dans six mètres carrés, et qui passent leur espace/temps sur les centimètres carrés des écrans lumineux de leur smartphone… puis pensez aux enfants de trois ans déjà hypnotisés et aliénés par une techno-addiction qui les rendra obèses, asexués, déracinés, humainement invertébrés et politiquement esclaves. Le système, et ses élites devenues folles ou simplement achetées, exulte.

On sait que notre monde moderne s’est bâti sur les grandes découvertes et les colonies. Virilio observe que le virtuel repose sur les mêmes préceptes et illusions :

Autre exemple de cette recolonisation, de cette quête d’une terre promise, ce sont les cyber-continents, l’espace virtuel.

Le sixième continent est une colonie virtuelle.

On nous dit que les gens s’y amusent, que c’est pour leur bien, pour la communication. En réalité, l’aventure coloniale recommence. Aussi bien chez ceux qui recherchent d’autres planètes que chez ceux qui peuplent l’outre — monde du sixième (cyber) continent qui vient supplanter — je dis bien : supplanter — les cinq autres, ceux de la géologie et de la géographie. L’idée de la colonie est très importante.

C’est que la colonie nous enferme :

Pour l’instant, la globalisation est un phénomène d’endo-colonisation. Et le colonisateur, c’est la vitesse, engendrée par le progrès de la technique (transports, transmissions, etc.). C’est le pouvoir de la vitesse, qui nous enferme, nous conditionne. C’est en ce sens que c’est une musicologie, un envoûtement.

Roland Barthes remarque du reste dans ses Mythologies si peu lues que les héros soi-disant aventuriers de Jules Verne aiment vivre enfermés dans des machines ou des décors de théâtre.

Virilio rappelle qu’enfant il vécut mal la guerre entre les occupants et les alliés :

Les Allemands dans la rue et les amis qui nous bombardaient. Eh bien j’ai de nouveau le sentiment d’être occupé. La mondialisation nous occupe, elle nous enferme. D’où mon intérêt pour le Mur de l’Atlantique (sur lequel j’ai travaillé dix ans). La clôture. La forclusion du monde.

Il rappelle l’illusion de la mobilité qui est une mobilité formelle et factice (aéroports, queues, embouteillages, salles d’attente, avions, trains, bagnoles) :

Qui sont les sédentaires ? Ceux qui ne quittent jamais leur siège d’avion, d’automobile, ceux qui sont partout chez eux, grâce au téléphone portable. Qui sont les nomades ? Ceux qui ne sont nulle part chez eux sauf sur les trottoirs, sous les tentes des sans-abri. C’est pourquoi je dis : « Ne me parlez pas de la périphérie. »

Oui, le nomade au sens actuel n’est pas le milliardaire d’Attali qui s’y connaît en bible comme Bocuse en Panzani. Le nomade c’est le pauvre hère sous une tente.

Et basculons. Le procès du transport moderne devient le procès des camps d’extermination :

On va là vers une révolution de l’emport, pas du transport, de l’emport, je veux dire : la quantité déplacée. Il y a là quelque chose qui a été vécu dans la déportation et l’extermination nazie. Il ne faut jamais oublier — et là je suis d’accord avec R. Hillberg — que la déportation est plus importante que l’extermination. C’est la déportation qui a mené à l’extermination. Le mouvement de déplacement de population a été l’origine de l’extermination.

Et de conclure sur cette question épineuse (jusqu’où peut-on incriminer notre usage de la technique ?) :

Là encore, quand on met l’accent sur les camps et que par ailleurs on demande à la Deutsche Bahn de faire son mea culpa, on a raison. Sur la photo la plus connue du camp d’Auschwitz, on voit les rails et le portail. Il faut la regarder en sens inverse : les rails sont plus importants, sans les rails, il n’y aurait pas eu Auschwitz.

Une belle réponse de chrétien, inspiré par notre Thérèse de Lisieux, serait la pauvreté :

Je me sens franciscain : la pauvreté, « Dame Pauvreté », cela nous ramène à la théologie de la pauvreté. À la théologie de la vitesse.

À la théologie de la pauvreté de la vitesse. Quelle est la pauvreté de la décélération par rapport à la richesse de l’accélération ? C’est une des grandes questions de l’humilité chrétienne.

Thérèse : « L’humilité c’est la vérité. ». Phrase théologique, bien sûr, mais aussi scientifique (et que les scientifiques n’ont pas comprise).

On peut toujours rêver chrétiennement, surtout avec un Vatican comme ça. Mais on sait que « le destin du spectacle n’est pas de finir en despotisme éclairé (Debord). »

Virilio établit une définition importante sur les charlatans (Debord toujours) postmodernes que sont devenus les savants et autres experts en réchauffements, soucoupes, nanotechnologies, racismes :

Jean-Luc Evard. Quelle différence fais-tu entre scientifiques et technoscientifiques ?

Paul Virilio. Comme disait un scientifique récemment : « Nous appliquons au monde que nous ne connaissons pas la physique que nous connaissons. » Là, de fait, on est devant l’illusionnisme scientifique.

Et puis vient la cerise sur le gâteau. Le système nous fait peur, le système nous persécute, le système nous dissuade. C’est la fin des grandes évasions de nos jeunesses. Virilio rappelle la mésaventure du cinéaste Éric Rohmer…

Je considère qu’après la dissuasion militaire (Est-Ouest), qui a duré une quarantaine d’années, nous sommes entrés, avec la mondialisation, dans l’ère d’une dissuasion civile, c’est-à-dire globale. D’où les interdits si nombreux qui se multiplient aujourd’hui (exemples : un des acteurs de La Cage aux folles déclarant qu’aujourd’hui on ne pourrait plus tourner ce film ; ou mon ami Éric Rohmer à qui son film, L’Astrée, a valu un procès, un président de conseil régional l’attaquant pour avoir déclaré que L’Astrée — le film — n’a pu être tourné sur les lieux du récit, engloutis par l’urbanisation, tu te rends compte ?). Donc je suis très sensible au fait que nous sommes des Dissuadés.

C’est bien en effet la prison sans barreaux dont nous a déjà parlé Aldous Huxley ; elle est en voie non plus de réalisation mais d’achèvement. Et cette expression de dissuadés a du génie et ô combien de justesse : nous sommes en effet dissuadés d’agir, puisque c’est la prison ; de parler, puisque c’est les amendes ; de penser, puisque c’est inutile ; et de vivre, puisque cela pollue.




Édouard Drumont, et la montée du grand impérialisme américain

Par Nicolas Bonnal

On a déjà étudié Mgr Delassus et sa conjuration antichrétienne — et son étude sur l’américanisme qui montre que l’Amérique est sans doute une matrice et une république (une république ou un royaume comme celui d’Oz ?) antéchristique qui repose sur quatre piliers : le militarisme messianique d’essence biblique ; le matérialisme effroyable ; la subversion morale totale qui défie et renverse aujourd’hui toutes les civilisations (LGBTQ, BLM, Cancel culture, Green Deal, etc.). Quatrième pilier enfin : pire qu’Hiroshima, l’arme absolue semble être cette bombe informatique dont l’admirable et déjà oublié Paul Virilio (dernier penseur français d’importance) a parlé. L’éditeur de Virilio, Galilée, a d’ailleurs repris un de mes textes sur cet esprit fondamental.

Dans le tome deuxième de sa Conjuration Mgr Delassus cite Drumont (Drumont c’est comme Céline : on oublie ses propos sur les juifs et on se concentre sur le reste) sur la naissance de l’impérialisme gnostique des USA qui volent impunément — en arguant d’un attentat attribué à Ben Laden, pardon au gouvernement espagnol d’alors — Cuba et les Philippines pour faire de l’une un bordel (puis un paradis de sanctions communistes…) et de l’autre une colonie pénitentiaire (300 000 morts tout de même, voyez mon texte sur fr.sputniknews.com basé sur des historiens libertariens) puis capitaliste ad vitam (voyez le sort des ouvrières philippines dans film The Bourne Legacy avec Jeremy Renner par exemple).

L’étonnant et fondamental Monseigneur Delassus donc, le dernier très grand esprit du dévasté depuis clergé catholique (voir aussi Mgr Gaume bien sûr) :

« M. Edouard Drumont faisait tout récemment ces observations : “Ce dont il faut bien se pénétrer, c’est que les États-Unis d’aujourd’hui ne ressemblent plus du tout aux États-Unis d’il y a seulement vingt ans.”

“II y a eu, surtout depuis la guerre avec l’Espagne, une transformation radicale des mœurs, des idées et des sentiments de ce pays. Les États-Unis étaient naguère une grande démocratie laborieuse et pacifique ; ils sont devenus peu à peu une démocratie militaire, orgueilleuse de sa force, avide d’agrandissements et de conquêtes ; il n’y a peut-être pas dans le monde entier d’impérialisme plus ambitieux, plus résolu et plus tenace que l’impérialisme américain. Chez ce peuple, qui eût haussé les épaules autrefois si on lui eût parlé de la possibilité d’une guerre avec une puissance quelconque, il n’est question actuellement que de dissentiments, de conflits et d’aventures.” »

On verra ou reverra à ce propos l’admirable Le Lion et le Vent de John Milius, avec Sean Connery, qui illustrait bien cette fièvre définitive d’impérialisme qui prendra fin (prochaine) avec le monde.

Drumont ajoute (je ne sais d’où sort ce texte — sans doute est-ce un article de son journal) :

« Remarquez également combien l’action diplomatique des États-Unis est différente de ce qu’elle était jadis. Au lieu de se borner à maintenir l’intangibilité de la doctrine de Monroe, la grande République a la prétention maintenant de jouer partout son rôle de puissance mondiale. Elle ne veut pas que nous intervenions dans les affaires américaines, mais elle intervient à chaque instant et à tout propos dans nos affaires d’Europe. On n’a pas oublié le mauvais goût et le sans-gêne avec lesquels Roosevelt, il y a deux ou trois ans, voulut s’immiscer dans les affaires intérieures de la Roumanie, à propos des Juifs. Il est vrai que les États-Unis sont en voie de devenir une puissance juive, puisque dans une seule ville, comme New-York, il y a près d’un million d’Hébreux ! Ajoutez à cela la fermentation continue de toutes ces races juxtaposées, mais non fusionnées, qui bouillonnent perpétuellement sur ce vaste territoire, comme en une immense cuve : la question chinoise, la question japonaise, la question nègre, presque aussi aiguë aujourd’hui qu’elle l’était à la veille de la guerre de Sécession. Tout cela fait ressembler la République américaine à un volcan gigantesque qui lance déjà des jets de fumée et des bouffées de lave, en attendant l’éruption qui ne peut manquer d’éclater tôt ou tard… »

Comme la république impérialiste des Romains qui unifia et détruisit les cultures antiques (Oswald Spengler en parle bien), l’empire détruit et unifie tout ; Delassus ajoute :

« C’est en Amérique surtout qu’a pris corps le projet de l’établissement d’une religion humanitaire, devant se substituer aux religions existantes. Depuis longtemps on y travaille à abaisser les barrières dogmatiques et à unifier les confessions de façon à favoriser les voies à l’humanitarisme. »

La liquidation du catholicisme romain par l’agent Bergoglio est une belle illustration. Et à propos de cette fusion des intérêts juifs et américains, Delassus (qui cite beaucoup, et comme il a raison) cite l’historien Henry Bargy :

Il croit pouvoir poser ces deux assertions :

« La République des États-Unis est, dans la pensée des Juifs d’Amérique, la Jérusalem future ».

« L’Américain croit sa nation venue de Dieu ».

Et il ajoute :

« Dans cette confiance patriotique des Américains, les Juifs ont reconnu la leur. Leur orgueil national est venu s’appuyer sur celui de leurs nouveaux compatriotes. Les uns comme les autres attendent de leur race le salut de la terre (1). »

Avec des messies comme ça qui tiennent l’informatique, la presse et les billets de banque, nous sommes mal partis. Delassus annonce même le Grand Reset, simple application des idéaux socialistes et maçonniques. Mais découvrez son œuvre admirable.

PS Je découvre en terminant ce texte que Google devient inutilisable.

M. Bargy, dans son livre : La Religion dans la société aux États-Unis dit :

« La République des États-Unis est, dans la pensée des Juifs d’Amérique, la Jérusalem future. »

Les Sources principales citées :




Poésie et crépuscule : les meilleures pages de JMLP

« … à mesure que je grandissais puis que je prenais une certaine importance, mon pays rapetissait… »

Mon ami Guillaume de Thieulloy (les4verites.com, où j’ai écrit dix-huit ans) a publié aux éditions Muller le tome premier des mémoires de Jean-Marie Le Pen et bien lui en a pris puisqu’il en a vendu beaucoup — et ce n’est pas terminé…

À titre personnel j’ai rencontré plusieurs fois Le Pen dans les années 90 grâce à Serge de Beketch (voyez mon livre sur Serge). Nous avions fait une belle émission le 3 janvier 90 sur Radio-courtoisie où je l’avais étonné, tout « jeune homme que j’étais par mes connaissances sur l’ésotérisme et notre tradition » (nous évoquions les doriphories(([1] cycles planétaires et grandes concentrations planétaires selon les astrologues)) de Jean Phaure à propos des évènements de Roumanie). Le Pen est un bloc de culture et de sensibilité traditionnelle et française, et il me semble d’ailleurs que c’est comme cela qu’il faut lire ses mémoires, comme un bréviaire pour maintenir le cap spirituel en ces âges sombres où tout a été rasé, religion catholique romaine y compris ! Il ne subsistera que les catholiques parcs que j’ai évoqué dans un conte publié par Philippe Randa, ou ces oasis de tradition dont a parlé Benoit XVI (lui aussi remplacé, et de quelle manière !). La politique était foutue en France comme partout et c’est son message de solide menhir celte et enraciné qu’il faut méditer maintenant ; car Le Pen est un éclairé et ce n’est pas pour rien si ce phare breton (sic) tient depuis si longtemps.

Je l’ai interviewé pour la presse russe en 2012 (Pravdareport.com) et il avait étincelé, évoquant un arc d’union boréale qui irait de la Bretagne à la Sibérie. (nous en sommes loin…). Comme Serge, il avait compris que la Russie virerait à la tradition dès les années 90.

Ce chevalier sauvage m’a toujours impressionné par ses qualités (culture, phrasé, humour, force, flamme, énergie). Son combat était perdu d’avance on le sait, mais lui ne chargeait que plus. Souvent trahi, jamais culbuté. On devient immortel en se sacrifiant, pas en se planquant. Ce qui n’a pas tué Le Pen ne l’a pas seulement rendu plus fort, il l’a rendu plus grand. Et là en écrabouillant par ses ventes tous les Hollande et petits plumitifs de la planète média, il montre que le peuple n’est pas totalement mort.

Je laisse le début du livre bien déprimant. La mer, les tempêtes, la famille orpheline, la guerre, l’occupation, la Libération-épuration, le rejet du communisme… La malédiction française, « terre du fiasco récurrent » depuis deux siècles comme dit un historien anglais. Quelques phrases magnifiques sur la fin des cathédrales de voiles :

« Mais “tant que la mer est par-dessous, c’est le marin qui tient le bon bout”. Ces risques, ces souffrances ne tarirent jamais le recrutement tant au moins que la machine laissa survivre ces splendides cathédrales de voile, marchant “avec la respiration du bon Dieu” comme aurait dit maître Cornille, le meunier d’Alphonse Daudet. Quand l’évolution des techniques les condamna à la démolition, avec eux disparut la race des titans de la mer et fut tournée l’une des pages les plus poétiques et les plus émouvantes de notre histoire maritime. »

Je prends ces pages du milieu des années cinquante. Un peu d’Indochine et les débuts du poujadisme, cette fronde technophobe si sympa quand on voit que nous sommes depuis devenus un camp de concentration électronique et technocratique mondialisé. Le Pen peut à la fois être cet « extrémiste » patenté et redouté (en réalité un provo de la corpo…) ou un humaniste en guerre contre cet inframonde moderne.

Sur de Gaulle :

« J’allai voir le 23 juillet le général De Gaulle à Auray. Pour toucher le grand homme. Il n’avait pas encore acquis le métier des bains de foule et passait hiératique, un peu excédé, au milieu de la masse enthousiaste. Je serrai cette main indifférente. Il me parut laid et dit quelques banalités à la tribune tendue de tricolore. Il n’avait pas une tête de héros. Un héros doit être beau. Comme saint Michel ou le maréchal Pétain. J’étais à nouveau déçu. »

Sur l’Indochine coloniale :

« Comme tous ceux qui l’ont vue alors, l’Indochine m’avait conquis. Le pays était prenant, le peuple charmant, j’en aimais les bruits et les odeurs. Malgré la guerre sauvage, la saleté, la misère à l’occasion, ces gens minces et gracieux ne me répugnaient jamais. L’amour était simple. Les femmes pas lascives, mais douces, accueillantes. Avec les paysans, les rapports étaient naturels, ils ressemblaient aux paysans français, mêmes structures mentales et affectives. En plus petits, plus frêles. On avait l’impression de boy-scouts. »

Sur la fin du monde :

« Le monde que nous avons connu est mort, je préfère garder mes images intactes. Depuis est survenue une catastrophe. »

Sur la catastrophe communiste :

« Mon “boy” n’était ni un “béni-oui-oui” ni un “collaborateur”, pour reprendre le vocabulaire que parvient à comprendre une intelligentsia faisandée, c’était un homme du peuple qui avait senti au fond de lui-même que la moins mauvaise des tutelles qu’il pourrait connaître, la moins dictatoriale, la plus émancipatrice, était celle de la France. Quand Saigon tomba, je me demandai comment rendre hommage à ce monde englouti d’un seul coup, à ce peuple abandonné à l’esclavage, dont la défaite bafouait les sacrifices. »

Sur les mensonges éternels de la presse-système qui frappaient tous les génies littéraires du dix-neuvième siècle (Flaubert, Tolstoï, Nietzsche…) :

« Au-delà des larmes de rage, jusqu’à l’hébétude, on touche l’horreur de cette presse qui ment. Pour cela aussi, je devais faire de la politique. Pour combattre le mensonge. Flétrir non seulement le communisme, mais les modérés qui le laissaient faire, les compagnons de route, la sale presse qui s’en faisait complice. Pour les morts, pour les vivants, pour la France, pour les enfants à naître, il fallait rétablir la vérité. »

Sur Poujade donc et sa révolte contre la technocratie montante qui aboutirait au très eschatologique binôme Macron-Hollande :

« Le mouvement Poujade était un rassemblement qui mettait en synergie les Français, quels que soient leurs intérêts particuliers, leur rôle social. À l’opposé de l’idéologie marxiste dominant le monde politique, qui opérait la division des Français par le dogme mortel de la lutte des classes, Poujade dirigeait un mouvement proprement politique, visant le bien commun de la Cité entière, non celui d’une seule classe. »

Sur la juste révolte contre le fisc :

« Il n’est pas indifférent qu’il (le poujadisme) se soit manifesté contre les abus du fisc. Ce sont les abus du fisc qui ont jeté depuis des siècles les braves gens de France dans la révolte, des jacqueries à Jacquou le croquant, et le terme exaction fut d’abord appliqué aux exempts du fisc. Consentir à l’impôt est l’une des prérogatives majeures des représentants du peuple. »

Le Pen note sur le vrai grand remplacement dont j’ai parlé avec Guitry de la France traditionnelle, et qui allait être liquidée et exterminée par le techno-gaullisme américanisé dans les années soixante (c’est le remplacement des Français par les néo-français, comparez Manon des sources aux Valseuses de Blier pour comprendre) :

« Au milieu des années cinquante se déroula une révolution qui allait faire disparaître assez vite non seulement la plupart des commerçants et artisans, mais aussi les paysans, c’est-à-dire la France traditionnelle des travailleurs indépendants, au profit d’une armée de salariés et de fonctionnaires. »

Ces braves engloutis furent nos koulaks :

« D’origine sociale modeste, l’homme qui allait disparaître était son propre patron, révolté par l’outrecuidance des irresponsables qui l’interpellaient au nom de l’État joufflu : le choc culturel était palpable, d’un côté les agents du fisc, de vrais pros, et de l’autre leurs victimes, des amateurs qui n’avaient pas les codes, ni social ni administratif. »

Après le poujadisme Le Pen entrevoit la catastrophe de la grande distribution et l’enlaidissement sidérant du pays :

« La révolution sociale et mentale que les technocrates menaient par l’impôt devait engendrer, en matière de commerce, les géants de la grande distribution. Pierre Poujade se révolta contre l’État qui spoliait les petits au profit des gros. »

Et on en est resté là, au populisme comme on dit. Ô présent perpétuel (Ortega Y Gasset dit « définitif »)…

Après écoutez bien, c’est génial, Le Pen héritier de Tocqueville :

« J’ajoute que le mouvement Poujade, que l’on présente comme un combat d’arrière-garde de ploucs ringards, de beaufs menés par quelques fascistes, était en fait très en avance.

D’une part, c’est l’agriculture industrielle et la grande distribution qui sont aujourd’hui obsolètes, alors que le bio, le raisonné, le commerce de proximité, les circuits courts ont montré leur intérêt : le coût social de prétendus progrès des années cinquante et soixante n’a pas fini d’être calculé. D’autre part, le fiscalisme, dont je n’ai cessé en soixante ans de carrière politique de dénoncer les méfaits, est non seulement un étrangloir économique, mais la matrice de l’État policier.

L’habitude de surveillance, les instruments statistiques qu’il crée, ont été mis à profit par le totalitarisme informatisé qui s’installe. »

Encore un peu de Poujade et de pression fiscale :

« Poujade avait su rendre leur fierté aux pauvres gens injustement traités, humiliés, offensés, bafoués. Il faut savoir que les polyvalents, armée recrutée à la va-vite, se croyaient autorisés à perquisitionner comme des policiers, vidaient les armoires, jetaient les draps par terre, laissant les mères de famille en pleurs :

— Ils nous traitent pire que faisaient les boches, ça va pas ! »

Le résultat de cette Gestapo fiscale c’est le chiffre donné récemment par Mélenchon : 32 milliardaires sont plus riches que les vingt-sept millions de Français les plus pauvres. Le phénomène est d’ailleurs mondial.

Un beau moment démocratique, le triomphe électoral :

« Les résultats du scrutin secouèrent la France et l’Europe. Cinquante-trois députés poujadistes entraient au Palais Bourbon. Quand j’y pénétrai, précédé des huissiers à chaîne, sous le roulement des tambours des gardes républicains, j’eus, avec la chair de poule, une pensée pour mon père, qui m’avait inscrit au collège de Vannes. C’était la première fois que je votais et j’étais élu. Je n’ai pas besoin de décrire la fierté de ma mère. »

La découverte du prodigieux talent oratoire :

« Étant donné le peu d’habitude de la tribune de la plupart de mes collègues poujadistes, je fus amené à prendre très vite la parole, sans respecter le temps de silence et d’observation imposé traditionnellement aux députés novices. J’étais le plus jeune élu de l’assemblée et je ne me débrouillais pas trop mal. »

Modeste ! Je l’ai vu-entendu parler des heures sans faire tinter la syntaxe une fois, en gardant sa pensée bien sauvage (dixit Baudrillard).

Tiens, une preuve sur la fin du chant et de la culture traditionnelle. On dirait du Leopardi :

« Le chant est aussi naturel à l’homme qu’à l’oiseau. Les deux fonctions de la musique sont complémentaires »

Après JMLP s’en prend à la culture musicale comme arme de destruction massive (de Johnny à Lady Gaga…) :

« On se limite aujourd’hui à la fonction passive d’écoute. On se mutile de la fonction active. Sans doute reste-t-il des gens qui chantent ou jouent d’un instrument, mais cela fait partie de la culture savante. La culture populaire ingurgite une soupe toute faite et servie par la télé, la radio, les concerts, internet. Le peuple a perdu sa voix. Nous chantions à l’école, le maître était aussi professeur de chant. Les mélodies de mon enfance me sont restées gravées dans la tête et dans le cœur. L’église était le temple du chant collectif, chants en latin de la liturgie que l’on connaissait ou cantiques des processions et des pardons qui se transmettaient de père en fils. »

Et la conclusion :

« Dans les années soixante, tout a été attaqué ensemble chez nous : la liturgie romaine et le grégorien, la poésie classique, la musique. On essaya de remplacer Mozart et Beethoven par la musique sérielle, mais cela n’a pas très bien marché, en même temps qu’on remplaçait la goualante, le musette, la chanson traditionnelle par une pop façonnée sur le rock — et cela a marché, dans l’ensemble. »

Le Pen a raison : le système fou n’a pu remplacer Bach et Vivaldi par Boulez et Stockhausen.

Pour le reste c’est le grand remplacement culturel :

« C’est le grand remplacement du chant de la France.

Alors l’orphéon de village se raréfie et les ouvriers ne chantent presque plus, la société ne chante plus ensemble. Cela creuse un grand vide. C’est peut-être une compensation à cela que pas mal de jeunes cherchent dans leurs raves-parties déjantées, ils veulent retrouver un langage commun, un moment où ils s’expriment ensemble, ce que les pontifiantes fadaises de la Kultur officielle ne leur donnent pas. Nous, cela nous était donné sans que personne n’ait à s’en occuper. Quand le peuple chantait lors des pardons, on aurait dit la mer, qui revient sans cesse sur elle-même, qui ne finit jamais. Mais tout finit. »

Je trouve qu’il y a une certaine grandeur de sa part à le reconnaître : « tout finit. » Et on restera là.

Sources

Jean-Marie Le Pen — Mémoires Fils de la nation – ÉDITIONS MULLER




Jean-Marie Le Pen et la décadence de la France sous De Gaulle

Par Nicolas Bonnal

J’évoque dans mon nouveau livre sur le Cinéma la destruction de la France. Comme on sait elle a eu lieu sous de Gaulle et Pompidou, sans oublier Giscard. Je fournis des dizaines de preuves en images. Même Debré s’en rend compte dans ses entretiens avec de Gaulles (le vieux acquiesce et laisse faire : pourquoi est-il revenu au pouvoir, lui qui avait créé tous les monstres y compris la sécu ?).

Le pays est effondré moralement et culturellement en mai 68 et le peuple déjà remplacé mentalement peut se préparer à être remplacé physiquement, alors qu’il a perdu sa foi, sa culture, son originalité — voyez les Amis de Blain. La meilleure preuve ? Les comédies musicales américaines, qui ont arrêté alors d’aimer Paris : comparez Funny Face de Donen à Charade du même Donen et vous comprendrez.

Enfin, comparez Biquefarre et Farrebique (produit par RKO…) du même Rouquier et puis vous comprendrez.

Comparez la septième compagnie de l’autre à l’Alerte au sud de Jean Devaivre et vous comprendrez. Jean Devaivre était résistant, mais comme le colonel Rémy scénariste du fabuleux monocle il se battait pour un Empire, pas pour la république et la France lumière du monde, pas pour les mots.

Ou vous ne comprendrez pas.

Je sais que cela énerve les imbéciles qui ont fait du gaullisme l’âge d’or de leur rêverie historique. Donc je continue. Avec un modèle, le Vive la France ! de Michel Audiard qui montre en se marrant qu’avec de Gaulle déjà le repeuplement de la France déchue par les anciens colonisés commence. Mais quand on est bouché… La grandeur de la France c’est le mantra dont on nous abreuve les oreilles, avec 95 % du territoire perdu, l’américanisation (Johnny, Salut les copains) et la marxisation (Sartre, Althusser, Bataille) de la culture, et le maintien dans l’UE, en attendant Giscard et ses Young leaders. Giscard six ans ministre de l’Économie tout de même sous de Gaulle. En 1972 quand je débarque en France je découvre une émission d’épouvante : la France défigurée, qui est l’œuvre de journalistes de droite (le gaullisme ne l’est pas) pourtant…

Je n’ai plus envie de polémiquer. J’aurais envie d’éviter ceux qui ne comprennent pas. Comme dit Modeste Schwartz il ne faut pas s’étonner que personne n’ait envie de voter pour ceux (Asselineau et Philippot) qui se réclament du gaullisme : de Chirac à Juppé en passant par Hollande ou Macron ils s’en sont déjà tous réclamés, alors…

En relisant l’excellent tome premier des Mémoires de Le Pen j’y trouve ces observations suivantes, qui montrent que Le Pen a raté le coche dans les années soixante (il le dit lui-même : le pays était plus sain) et qui résument le grand remplacement de la France (lisez Mattelart sur ce rapport Ozbekhan-Perlmutter qui « défigura » définitivement la France.) par le gaullisme et sa technocratie progressiste : villes nouvelles, industrialisation ratée, immigration bâclée, déchetterie culturelle grâce à Malraux et triomphe du politiquement correct. Lisez mon ami Jean Raspail, qui n’a pas écrit son livre en 2020, pas vrai ?

« Du point de vue strictement politique, avec la manifestation sur les Champs Élysées du 30 mai et les élections bleu horizon qui suivirent, le gaullisme allait se refaire pour un an. Mais il avait perdu définitivement la jeunesse, et le pourrissement massif des têtes, dont nous mourons aujourd’hui, commença. La réforme d’Edgar Faure et la loi d’orientation scolaire signaient l’abandon de l’éducation nationale à la gauche, le Yalta culturel qui fut désormais le fondement de la Cinquième République, I’abandon de l’esprit public au marxisme. D’un strict point de vue universitaire, ce fut une catastrophe. Amener toute la jeunesse à l’Université quels que soient ses possibilités et ses buts, C’est voler les contribuables français, c’est fourvoyer les jeunes, c’est gaspiller l’énergie et le potentiel de la Nation. »

Le monstre soviétiforme de l’EN ; Le Pen lui règle bien son compte (en vain comme toujours) dans les lignes suivantes :

« L’Université tend aujourd’hui, sous la pression de ses milliers de mandarins, à l’universalité. Bénéficiaire du premier budget de la Nation, I’Éducation nationale réclame chaque année plus de moyens, bien que le nombre d’enfants à scolariser diminue corrélativement à la crise démographique, un peu compensée par l’immigration. Le patient de Knock mourait guéri, nous mourrons tous savants. Après avoir élevé l’âge et le niveau des scolarités obligatoires, on prétend enseigner les handicapés profonds, les aliénés, les immigrés, les malades, les détenus, les étrangers chez nous, chez eux, avant leur métier, pendant leur vie, après leur retraite. Ce rêve fou d’hégémonie scolaire est le fruit paradoxal de la “révolution” de Mai 68, qui vouait la fonction enseignante au nettoyage des WC. La Salope n’est pas crevée, tel un moloch femelle qui se renforce des armes tournées contre elles. L’Alma Mater affermit la Dictature des pions. »

Dictature des pions et des pionnes : pensez au virus, au vaccin, au prochain, au prochain vaccin et au prochain passe carbone. Vive Sandrine Rousseau pythie républicaine. Le Pen ajoute :

« Ce n’est pas la République des robots qui nous menace, mais celle des Pions, sous-système d’un ubuesque univers galactique de fonctionnaires. L’Éducation Nationale dicte sa loi au pays. Elle détermine les programmes, les orientations, l’avancement. Mais le dommage de Mai G8 est encore plus vaste, car au désastre de l’école s’ajoute celui des médias, de la littérature, des arts, du cinéma et de la télévision, de tout ce qui sous le mot impropre culture influe sur la mentalité des hommes, et dont la maîtrise, le philosophe italien Gramsci l’a rappelé à toute une génération de révolutionnaires, permet de prendre le pouvoir sans peine. »

Le Pen on le sait parle de la gravure à l’eau-forte. Première frappe en 68, deuxième le 10 mai 81 quand le peuple est fin prêt pour son remplacement :

« En gros, vous pouvez entailler la plaque de cuivre que l’on va encrer pour imprimer, de deux manières. Soit directement avec un burin, c’est long, difficile et cela demande de la force : c’est la révolution à l’ancienne, brutale et aléatoire. Soit vous choisissez ce que l’on appelle l’eau-forte. Sur la plaque de cuivre vous passez un vernis qui résiste à l’acide, puis vous entaillez cette couche protectrice avec une pointe d’un maniement souple qui permet un dessin fin, avant de plonger la plaque dans un bain d’acide. En quelques heures les parties dont vous avez ôté la protection sont attaquées par l’acide et prêtes à recevoir l’encre. Ainsi a procédé la révolution de Mai 68. Avec son slogan directeur, il est interdit d’interdire, elle a plongé la civilisation européenne dans un bain d’acide où nous sommes restés durant toutes les années soixante-dix, puis, au fil des années quatre-vingt, on a sorti la plaque, on l’a essuyée, et la gravure à l’eau-forte est apparue, image de la nouvelle civilisation, avec sa nouvelle morale, sa nouvelle esthétique, ses nouveaux fondements politiques, dans laquelle nous vivons. Le monde ancien, homme ancien, ont été dissous, et se dessinent maintenant l’homme nouveau et ses valeurs nouvelles. »

Belle conclusion :

« Aux héros et aux saints qu’on nous montrait en exemple a succédé l’écocitoyen LGBT friendly et phobophobe, ouvert au vivre ensemble, au culte de la terre mère, qui ne fume pas, accueille le migrant et se prépare à rouler en voiture autonome. »

On ne dira rien de ce qui nous reste de curés et de militaires aujourd’hui : certains crétins font encore semblant que cela EXISTE ENCORE. Debord nous prévenait :

« Non seulement on fait croire aux assujettis qu’ils sont encore, pour l’essentiel, dans un monde que l’on a fait disparaître, mais les gouvernants eux-mêmes souffrent parfois de l’inconséquence de s’y croire encore par quelques côtés. Il leur arrive de penser à une part de ce qu’ils ont supprimé, comme si c’était demeuré une réalité, et qui devrait rester présente dans leurs calculs. »

Faire croire que quelque chose existe (la France, la Liberté, l’économie, la culture, la famille, etc.) qui est déjà mort est devenue une marotte. Mais Debord ajoute :

« Ce retard ne se prolongera pas beaucoup. Qui a pu en faire tant sans peine ira forcément plus loin. »

Cela donne Macron ; Debord :

« Il faut conclure qu’une relève est imminente et inéluctable dans la caste cooptée… »

Mais continuons avec Le Pen ; meurtre de Paris sous de Gaulle (voyez Du rififi à Paname ou Anatomie d’un livreur…) :

« Le ventre de Paris était tout près, le pouvoir gaulliste avait décidé en l960 de transférer les Halles à La Villette et Rungis, mais le déménagement ne devait se faire qu’en 1969. On disait adieu au vieux Paris. Tout un peuple de vivandiers venus des banlieues et des provinces approvisionnait la capitale depuis le XIXème siècle dans un décor que le dix-neuvième avait rationalisé sans le changer en profondeur. Ce peuple qui avait fait naguère un triomphe à Poujade allait se trouver remplacé par un mélange de petits-bourgeois consuméristes le jour et de zonards la nuit. Les mots disent tout : un Forum remplacerait les Halles, des bobos multi colores à prétention intello en prendraient possession. Mais avant qu’un grand trou n’occupe symboliquement les lieux pour assurer la transition d’un passé millénaire vers la nouvelle ville, le quartier grouillait pour quelques mois encore de ses métiers et vivait intensément la nuit. Les putains en étaient l’ornement nécessaire. Elles avaient leurs spécialités. Les amateurs de petites filles venaient s’y tourner, non pas qu’elles fussent mineures, mais, même avancées en âge, elles se déguisaient pour complaire aux diverses marottes des clients. »

On voit déjà la clique de débauchés et de pédophiles qui s’amène dans les années 70 et on n’a pas besoin de geindre après les années 2020. On baigne dans cette merde depuis cinquante ou soixante ans. Revoyez Godard, Deville et les autres.