Brève synthèse géopolitique de la crise en Ukraine, au 18 mars 2022

Par Sébastien Raynaud

Si vous avez manqué le début

Chronologie sélective aussi neutre et factuelle que possible. Les éléments diplomatiques (très nombreux) n’y figurent pas ; le cas échéant, ils sont cités in-texte.

21 février 2022 : la Russie reconnaît l’indépendance des Républiques de Donetsk et de Louhansk (qui à elles deux forment le Donbass)

24 février 2022 : début de l’invasion de l’Ukraine par le nord, l’est et depuis la Crimée.

Prise de l’île des Serpents située au large de la frontière roumano-ukrainienne en mer Noire.

Le président ukrainien ordonne la mobilisation générale.

27 février 2022 : Vladimir Poutine menace de représailles nucléaires les états qui entreraient en conflit avec la Russie. Les pays de l’OTAN prennent des mesures de rétorsion économique et débloquent des fonds pour l’achat d’armes à destination de l’armée ukrainienne. Pour une analyse des sanctions économiques, se reporter à la note en (([1] https://www.youtube.com/watch?v=NYhKM6zI2nM)).

28 février 2022 : Vladimir Poutine énonce ses conditions préalables à l’arrêt des hostilités : « Reconnaissance de la Crimée comme territoire russe », « dénazification de l’Ukraine » et « statut neutre » pour le pays.

1er mars 2022 : les villes de Melitopol et Berdiansk au nord-est de la Crimée tombent aux mains des Russes

2 mars 2022 : prise de la ville de Kherson (dernière ville importante avant l’embouchure du Dniepr)

7 mars 2022 : capture d’Izioum

8 mars 2022 : ouverture du premier corridor humanitaire

9 mars 2022 : les villes de Kharkiv, Soumy, Tchernihiv et Kiev sont encerclées par les forces russes

11 mars 2022 : la Russie s’empare de Volnovakha (Donbass) Bombardement aérien des villes d’Ivano-Frankivsk et Loutsk à l’Ouest

13 mars 2022 : bombardement de la base de Yavoriv, à la frontière polonaise La marine russe organise le blocus maritime de la côte ukrainienne

15 mars 2022 : les forces russes affirment contrôler l’oblast de Kherson en totalité.

Le président Zelensky annonce que l’Ukraine ne pourra pas intégrer l’OTAN.

Pour avoir à l’esprit en quoi consiste l’armement russe et la dissuasion nucléaire 2.0, ce clip de 3 minutes :

Avancées militaires des forces russes

Je vous laisse libre de trouver l’historique ayant conduit la Russie à ne plus donner crédit aux affirmations de l’OTAN et à entreprendre d’elle-même une action qui mette fin à la surdité qu’on oppose à ses revendications. En une phrase : l’État russe prend l’initiative d’instaurer par la force la neutralité de l’Ukraine.

Diverses cartes sont disponibles pour visualiser l’avancée des troupes russes en Ukraine.

Je propose la capture d’écran de la carte fournie par Aljazeera, actualisée chaque jour.

Est du Dniepr :

Donbass : c’est la zone de combats principale. Je ne parle pas en terme militaire au sens strict, mais du fait que cette région est martyrisée depuis 2014.

Peu ou pas relayée dans les médias, la journaliste française Anne-Laure Bonnel sort de l’ombre et relate par le menu les exactions commises par l’armée régulière ukrainienne ou par les forces paramilitaires du Secteur droit. Elle a produit un film (([2] https://vimeo.com/202792798 ? fbclid=IwAR0iU440mCDUmHLC1vqSqSefrHEKSNJlxzjs9V7-t-Ccqh3s8u6yMdXV50w)) à partir de son expérience sur place. On peut l’entendre ici, au micro d’André Bercoff :

Cette partie du pays est russophone à plus de 90 %. Les belligérants ukrainiens privés de toute retraite après que les Russes aient investi la ville de Marioupol ont deux options : se rendre ou combattre. Étant donné les horreurs subies par la population, il sera perçu comme libérateur et le restaurateur de la paix civile.

Nord-Est : région la plus proche de la Russie. Les assauts entrepris contraignent les forces ukrainiennes à diviser ses effectifs militaires au détriment du Donbass, et de la défense de Kiev. En progressant, la Russie crée un front supplémentaire qui permet d’encercler la capitale. Elle prévient aussi toute attaque à revers.

Ouest du Dniepr :

Au-delà du 48e degré de latitude Nord, les forces russes se limitent au bombardement aérien des aéroports et de structures militaires bien ciblées, à l’exemple de la base de Yavoriv le dimanche 13 mars. Cette zone entièrement ukrainophone est dominée sans partage par l’aviation russe. Les troupes terrestres qui ont envahi le nord du pays depuis la Biélorussie orientent leurs mouvements pour assiéger la capitale. Pas davantage.

Zone méridionale :

Tout d’abord, cette carte montrant le partage des eaux territoriales en mer Noire(([3] https://theconversation.com/russie-ukraine-une-dangereuse-accumulation-des-contentieux-109333)):

À l’heure actuelle, le domaine maritime ukrainien subit le blocus de la marine russe. La prise d’Odessa aurait des conséquences considérables et permettrait à la Russie de disposer d’un port à vocation marchande en mer noire en plus des installations militaires de Sébastopol. C’est à Odessa qu’est acheminée la production de blé ukrainien. En contrôlant ce port, Moscou aurait la possibilité de contrôler les exportations selon ses intérêts et en conséquence d’influer directement sur le cours mondial du blé.

Comme le rappelle cette vidéo du média international Wion(([4] https://www.youtube.com/watch?v=EClSiBdYRQE)), basé à New Delhi, la Turquie nourrit des échanges commerciaux avec la Russie à hauteur de 16,4 milliards de dollars par an. Elle s’entretient probablement du futur des pavillons arborés en mer Noire dont elle gère le trafic. Avec Israël et la Chine, l’État turc est l’un des candidats possibles comme intercesseur dans le règlement diplomatique du conflit.

Les enjeux à la fin du conflit

Vladimir Zelinsky

Le chef d’État ukrainien ne dispose que d’un champ d’action extrêmement réduit. Militairement, les forces sont à son désavantage(([5] Voir le tableau « Military head-to-head »,
https://www.aljazeera.com/news/2022/2/28/russia-ukraine-crisis-in-maps-and-charts-live-news-interactive)). Les forces de l’OTAN se limitent à l’expédition d’armes pour le combat terrestre et antiaérien. De plus, aucun des états ne souhaite enfreindre la zone d’exclusion aérienne, dont la violation serait considérée par la Russie comme une déclaration de guerre.

Néanmoins, l’Union européenne et les USA ont apporté chacun de leur côté leur soutien aussi bien moral que symbolique à Vladimir Zelinsky.

Ici, au parlement européen le 1er mars :

Là, au Congrès américain, le 16 mars :

Figurant dans la liste des personnalités dévoilée dans les Pandora Papers, ces documents lui attribuent la possession de trois appartements à Londres pour la coquette somme de 7,5 millions de dollars. Pour information, le salaire moyen en Ukraine équivaut à 334 euros(([6] https://www.ukrinform.fr/rubric-economy/3217786-le-salaire-moyen-en-ukraine-a-augmente-de-pres-de-16.html)). Ses jours au pouvoir sont comptés..

Laboratoires américains chimiques et biologiques

Après le départ du président ukrainien, c’est le point qui sera au cœur des discussions diplomatiques à la fin du conflit. Si les faits sont avérés, c’est une plate violation du droit international.

Mercredi 9 mars, en réponse aux accusations russes, les instances officielles américaines ont rejetté en bloc toute implication. Le lendemain, l’ONU a déclaré pour sa part n’être informée d’aucune activité ukrainienne impliquant la production d’armes biologiques. A contrario, vendredi 11, Reuters relaie une réponse en catimini de l’OMS(([7] https://www.reuters.com/world/europe/exclusive-who-says-it-advised-ukraine-destroy-pathogens-health-labs-prevent-2022-03-11/)); celle-ci recommandant à l’Ukraine de détruire d’éventuels « agents pathogènes dangereux » sur son territoire.

La Russie ayant à faire valoir : la reconnaissance de ses exigences stratégiques bafouées par l’OTAN, l’urgence humanitaire au Donbass, les risques (avérés ?) de production d’armes biologiques et enfin la corruption du pouvoir ukrainien, devant les instances internationales, Moscou défendra la légitimité de son intervention sur des bases solides.

L’Union Européenne trouvera certainement un rôle utile à jouer dans le domaine humanitaire, en particulier concernant le sort des deux à trois millions de réfugiés.

Partition possible du pays

Pour visualiser les possibilités décrites ci-dessous, une carte (2001 Ukraine Census) :

Trois scénarios

A- Exigences russes réduites au minimum : la Russie accroît son territoire de la Crimée, du Donbass, incluant les zones maritimes correspondantes (et l’île des Serpents, pour laquelle je n’imagine pas de cas de figure où elle puisse être rétrocédée).

B- Partition linguistique : Kiev devient la capitale d’un territoire divisé selon la langue parlée en majorité par les habitants.

C- Accroissement de l’État russe au détriment de l’État ukrainien : tous les oblasts russophones intègrent le territoire russe.

L’Ukraine et après ?

L’Ukraine finira par trouver un nouveau statut qui convienne à l’ensemble des acteurs en présence. Pour autant, Moscou souhaite-t-elle mener une politique expansionniste en Europe ?

Je ne le crois pas. Toutefois, il est difficile d’imaginer que la Russie tolère des états faisant partie de l’OTAN et qui soient contigus à son territoire.

Au même titre que l’Ukraine devenant un état neutre, on imaginera facilement le désir de Moscou de se prémunir de toute hostilité à l’abri derrière un arc de pays neutres séparant la Russie des pays européens de l’OTAN.

Sur la carte, en gris la Suède, la Finlande et la Moldavie, pays neutres ; l’Ukraine en noir et gris ; la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie en mauve sont membres de l’OTAN.

Mis en garde dès le début de l’invasion russe sur une éventuelle intégration à l’OTAN(([8] https://www.lesoir.be/426620/article/2022-02-25/la-russie-menace-la-finlande-et-la-suede-de-graves-repercussions-militaires)), la Finlande et la Suède ont rapidement rebroussé chemin pour se muer en interlocuteurs des intérêts européens.

Ici, une capture d’écran d’un article du Figaro :

La Pologne a intégré l’OTAN depuis 1999 et les états baltes depuis 2004. En dépit de relations maintenant bien établies, ces quatre pays ne disposaient pas d’infrastructures, de troupes ou d’armement nucléaire jusqu’au sommet de l’OTAN à Varsovie en 2016. À cette occasion, il fut décidé de la mise en place d’une nouvelle présence avancée rehaussée (enhanced forward presence ; eFP). L’eFP correspond au déploiement d’un bataillon dans chacun de ces pays.

Le bloc occidental semble montrer ici un esprit bravache plus qu’une réelle volonté politique. Cela devrait être exploité par Moscou, quitte à ce que ses diplomates se râclent ostensiblement la gorge au cours des négociations pour convaincre leurs homologues.

L’OTAN ne se livrera pas à une surenchère nucléaire et aucun de ces quatre états ne devrait s’opposer à la puissance militaire des Russes. Comme en Ukraine, la neutralité est au bout du chemin.

Timbre albanais commémoratif du premier être vivant dans l’espace, Laïka, en 1957, lors du lancement du satellite russe Spoutnik 2

La Russie partira-t-elle à la conquête du monde ? Et après la conquête de la Terre, celle de la Lune ? Rien n’est moins sûr. Ce qui l’est en revanche, c’est que le monde assiste, KO debout, à la résurgence de la Russie comme l’interlocuteur incontournable des relations internationales.

Sébastien Raynaud

Notes :