Afghanistan : la cécité occidentale

Par Lucien Samir Oulahbib

L’islam n’a rien à faire lui non plus en Afghanistan dans ce cas, à ceux qui relativisent (et le retour des Talibans ne résoudra rien, permettant seulement à l’État islamique financé par les wahhabites de diverses obédiences — Pakistan compris — de supplanter « La Base » tout en tuant le plus de chiites possible). N’est-il pas un cruel conquérant colonisateur (voir également son action effroyable en Inde), alors que cette terre ne lui appartient pas, comme le montrent bien ces images des années 70 qui signifient moins une « domination occidentale » que l’évolution d’échanges civilisationnels (immémoriaux) qui font que les humains adoptent des coutumes autres lorsqu’elles semblent s’insérer au mieux à des désirs d’épanouissement morphologique (au même titre que l’enfouissement des égouts, l’électricité, l’eau courante, la mécanisation des tâches pénibles) ?

Il en est de même pour l’idée de « nation » qui s’avère s’être perfectionnée au fil du temps, comme l’indique Liah Greenfeld au sens où le citoyen n’est plus seulement membre d’une Cité comme en Grèce antique (n’oublions pas que Sparte avait fait financer sa flotte par la Perse contre Athènes lors de la guerre du Péloponnèse), mais aussi d’une entité politique avec des frontières civilisationnelles et physiques (le Limès romain exprime bien l’intrication de ces deux notions) censée mieux développer les aspirations du « citoyen » à ne plus être dépendant de ses origines sociales stratifiées dans des « Ordres », mais pouvant progresser de façon « méritocratique ». Tel est (toujours) l’acquis morphologique fondamental très récent (quelques siècles) dilapidé aujourd’hui par les actuels réductionnistes globalistes (affairistes hygiénistes, néo-eugénistes au fond) ne voyant plus en l’humain que son aspect animal (à modifier — modéliser — et marquer de plus en plus à la façon d’un bétail « javélisé »).

Il s’avère qu’en Afghanistan tout comme en Afrique (Égypte, Algérie par exemple) ce stade d’évolution progressive vers cette liberté d’ascension méritocratique qu’est la nation a été peu à peu tué dans l’œuf. Ce « printemps des peuples », disait-on en 1848, a été mal compris par Marx (puis Lénine) qui n’y voyaient que le conflit, éternel, entre « classes » (cf. Machiavel à ce sujet, dans Les Discours sur la seconde décade de Tite-Live), alors qu’il s’agit d’une lutte bien plus spirituelle entre imaginaires singuliers : un Français n’est pas un Anglais ni un Allemand ; un Hongrois ne veut plus être associé à un Autrichien, pas plus qu’un Serbe ; un Amazigh n’est pas un Arabe ; un Touareg n’est pas un « Malien » ; un Marseillais n’est certes pas un Parisien (on le voit bien aujourd’hui), mais c’est d’une autre nature (qu’il faudra cependant un jour analyser, en particulier le rôle — sous-estimé — de Marseille lors de la première phase du changement de Régime en 1789), car ils se sentent tous deux également « français » (à peaufiner en permanence cependant, comme on le voit visiblement aujourd’hui tant la recette pour y arriver peut se perdre…).

Cette avancée (en termes de Technè) vers la nation a été fragilisée dans les pays fraîchement élevés par l’idée « nationale », du fait d’une corruption accélérée au sein d’un désengagement hâtif des puissances dominantes ne prenant pas en compte toutes les forces en présence (comme en Algérie, au Vietnam…) avec par voie de conséquences le retour aux conflits intertribaux via des différents religieux : les tribus en tant que phénomène politique global (donc également spirituel) étant en effet toujours présentes, quoique en sourdine, au creux des liens familiaux et non pas le produit d’un « État failli » (comme le prétend un Bertrand Badie), puisque cet « État » au sens national (État-nation) n’a jamais été réellement construit dans sa profondeur morphologique (et non pas seulement juridique)…
Ce qui signifie (sommairement) que l’idée nationale transcende en effet la notion d’« État de droit » (sur ce point Zemmour a raison), en ce sens où il ne suffit pas de construire des institutions en soi, mais celles-là mêmes qui correspondent à l’état d’avancée donnée de la société civile (ainsi édifier en Afrique des « partis », ces nouveaux types de « tribus » travestissant les tribus canal historique fut une illusion). Par exemple, en Algérie il aurait mieux valu réunir toutes les forces en présence et leur imposer la constitution d’un compromis, ce qui implique aussi d’écraser les réticents : le FLN algérien était par exemple militairement et spirituellement vaincu en 1958 — voir le débat Soustelle/Aron sur ce point, ce que n’a pas compris de Gaulle qui pensait que les démocrates algériens francophones étaient de fait cristallisés pour toujours dans « l’essence » musulmane, ce qui était faux, même chez les arabophones (voir mon livre Le monde arabe existe-t-il ?), mais éliminer ce dernier en sautant sur Paris au lieu de seulement occuper Alger fut aussi une erreur fondamentale du « quarteron ».

De même, écraser les djihadistes comme l’a fait Petraeus en Irak et en Afghanistan avec son « Surge » (avant d’être évincé par Obama et les Républicains n’ayant jamais digéré un Reagan, ce Trump avant l’heure…) était essentiel pour asseoir le processus constitutif de l’idée nationale au sens indiqué ci-dessus de liberté en acte du processus méritocratique entouré des institutions du moment considéré (l’Irak n’existant pas en réalité, pas plus que l’Algérie), alors qu’un Saddam Hussein pas plus qu’un Nasser ou un Boumediene ne pouvaient l’incarner (ce que ne saisit pas Zemmour, ne parlons pas d’Onfray là aussi dans les choux à l’instar d’un Mélenchon également…) ; mais il aurait fallu poursuivre en lien avec les Kurdes du moins débarrassé de leur tutelle du PKK qui empêche leur réelle avancée en Turquie comme en Iran, ce que n’ont pas fait les Républicains tendance Cheney et Rumsfeld… Et donc soutenir durablement en Afghanistan toutes les forces réellement modernes (comme Abdullah Abdullah successeur de Massoud, mais affaibli par des élections truquées) au sens méritocratique et laïque (non pas athéisme, mais ouverture d’esprit) au lieu de chercher des compromis tordus avec les djihadistes de diverses obédiences qui n’auraient pas de poids réel (à la différence des chefs de tribus) s’ils n’avaient pas été soutenus par les wahhabites et les khomeynistes avec la complicité tacite des services secrets occidentaux jouant à ces Talleyrand/Chamberlain aux petits pieds que vilipendait tant Churchill, d’où la situation présente tout de même…

En tout cas, dire, « nous n’avons rien à faire là-bas » revient non seulement à revivre Saïgon et Evian, mais surtout à réitérer la position des Verts allemands avec leur « mieux vaut être rouge que mort » dans l’affaire des Pershing. Et puis dans cet état d’esprit jamais Reagan n’aurait entamé la Guerre des étoiles qui aura fait plier l’URSS… De même aujourd’hui soutenir Taïwan reste un casus belli (mais pour cela il faudrait renforcer nos forces armées, déjà en arrêtant le cirque corona actuel à la létalité égale à une grippe sévère qu’il faut certes soigner adéquatement avec des traitements précoces, mais sans sacrifier le pays)…

« Si tu veux la paix prépare la guerre » selon l’adage. Aussi si chute de Kaboul il y a, cela ne présagera rien de bon sinon renforcer les relativistes de tous bords (« c’est un pays musulman, que voulez-vous », ce qui est déjà faux) acceptant de fait des « londonistan » partout ou bases avancées qu’il n’est de plus en plus toujours pas possible d’admettre du point de vue non seulement géostratégique, mais civilisationnel au sens également morphologique du terme.