Syndrome d’Asperger : ce qu’il faut savoir pour ne plus juger

21/05/2019 (2019-05-21)

[Source : Monsieur Mondialisation]

Auteur : Marie Josée Cordeau

Syndrome d’Asperger : ce qu’il faut savoir pour ne plus juger

L’autisme est pluriel et ses aspects assez méconnus de la population. Il en existe des formes lourdes, d’autres plus légères. Ces dernières, surtout, sont plus difficiles à distinguer pour les personnes non avisées et donnent lieu à des malentendus et de mauvaises interprétations de leurs intentions. Des réactions qui peuvent causer de vives souffrances chez les personnes autistes. Spécialiste de l’autisme, Marie Josée Cordeau nous décrit quelques aspects d’une forme d’autisme nommée communément le syndrome d’Asperger.

Bien que l’autisme et le syndrome d’Asperger soient des termes de plus en plus fréquemment lus et entendus dans les médias, leur connaissance réelle demeure à un niveau embryonnaire auprès du grand public. Il est d’ailleurs très compliqué d’en donner une définition simple, englobant l’ensemble des caractéristiques autistiques. Si l’on associe le terme de maladie à l’autisme, il est plus approprié de parler d’un état d’être différent. L’autisme touche en effet toutes les sphères de vie de la personne : ses relations sociales, sa perception du monde, sa manière de communiquer et ses champs d’intérêt. L’autisme apparaît dès la naissance de l’individu et demeure avec lui tout au long de sa vie.

Tout d’abord, chaque personne autiste est différente. Les autistes ne forment pas un groupe homogène : certaines personnes sont introverties, timides et réservées, et d’autres extraverties, volubiles, cherchant volontiers la compagnie des autres. Loin du cliché d’un Rain Man, demeuré la référence populaire par excellence, l’autisme est d’une grande diversité, ce qui en rend la détection et la compréhension d’autant plus complexe. D’ailleurs, de nombreux adultes actuellement sur le spectre autistique ignorent en faire partie. La grande majorité d’entre eux, ceux qui sont des adultes fonctionnels, ignorent leur affiliation à l’autisme, mais se sont toujours sentis différents et décalés par rapport à leur entourage.

Des intérêts particuliers

Certains traits communs définissent cependant les personnes autistes. En premier lieu, les autistes des intérêts dits « restreints ». Alors que Monsieur et Madame « Tout-le-monde » ont leurs domaines de passion mais peuvent bavarder de tous les sujets, les personnes autistes sont moins généralistes dans leurs lectures et l’utilisation de leur temps. Ils tendent à se focaliser sur un ou quelques centres d’intérêt spécifiques qu’ils tendent à approfondir jusqu’à une expertise étonnante. Ces intérêts ne sont pas non plus soumis aux modes et aux influences environnantes. Une adolescence pourrait devenir éprise de poésie du XIXème siècle ou de cinéma des années 20 même si elle est la seule à des kilomètres à la ronde à y porter intérêt.

Les individus autistes peuvent ainsi discourir durant des heures sur leur sujet de passion du moment, mais devenir plus mutiques lors de la petite conversation sociale ordinaire. Cette particularité tend à rendre les contacts sociaux plus ardus, car la personne autiste ne naviguera pas naturellement d’un sujet à l’autre lors d’une conversation régulière. Les difficultés à entretenir des conversations légères sont davantage liées à un manque de maîtrise de l’usage social qu’à une tendance volontaire à refuser le contact informel. Les autistes ont des sujets d’intérêts très différents les uns des autres, bien au-delà de l’image du garçonnet qui mémorise des horaires de trains ou qui ne parle que de dinosaures durant tout l’après-midi. Certains œuvrent dans des domaines artistiques, d’autres dans l’informatique, l’ingénierie ou les sciences. Si les activités à caractère factuel sont souvent privilégiées, la créativité et l’imagination sont bien présentes chez la plupart des autistes.

Des difficultés relationnelles

Là où la plupart des personnes autistes ressentent leur différence, c’est au niveau de leurs relations sociales. Se faire des amis, les conserver, entretenir les relations amicales et amoureuses sur le long terme peut devenir un défi. Alors qu’il est inné chez la majorité des gens d’apprendre en bas âge par essai et erreur comment entretenir ses relations sociales, l’autiste a besoin d’un mode d’emploi clair et explicite sur les attitudes à prendre et la manière d’aborder les gens et d’interagir dans diverses situations. Sa manière de s’exprimer différente des attentes sociales peut nuire au développement de relations durables. Il n’y a là pourtant aucune mauvaise volonté de leur part, mais « le naturel » est moins présent.

L’autiste n’a pas, par exemple, le réflexe de saluer ses contemporains lors d’une rencontre ou de répondre à la question « comment ça va ? » selon l’usage entendu voulant que tout aille bien et de retourner la politesse. Il peut même fréquemment arriver qu’à cette question, l’autiste apporte une réponse détaillée sur son état de santé physique, ses soucis personnels trop intimes et donne des informations jugées socialement inadmissibles. Cette difficulté à absorber naturellement les signes sociaux admis dans son entourage comme étant implicites, donc jamais verbalisés, peut conduire au rejet dans les milieux scolaires ou professionnels.

Une manière alternative de communiquer

L’autiste a tendance à dire la vérité sans filtre. Ses commentaires peuvent donc être mal perçus, considérés comme impolis, provocateurs et inappropriés. La méconnaissance des usages sociaux l’amène à donner des informations utiles à ses yeux, par exemple en disant à une collègue que sa coiffure n’est pas seyante. L’autiste passe donc, à tort, facilement pour fruste, indélicat et arrogant. Son intention pourtant n’est pas de blesser, mais d’énoncer la vérité ; c’est pourquoi, d’ailleurs, les autistes sont particulièrement honnêtes. Une gestuelle ou une attitude physique inadaptée peut se remarquer aussi chez l’autiste, qui ne sait pas toujours à quelle distance des autres se placer dans un cercle de discussion. Il peut arriver que l’on décèle des différences dans son intonation de voix, parfois moins nuancée et plus monocorde ou parfois en parlant trop fort alors que son interlocuteur se trouve à moins d’un mètre d’elle.

L’autisme expliqué aux enfants

Dans la réception de la communication, l’ironie, les double-sens, le sarcasme, peuvent ne pas être perçus par l’autiste. Il pourrait ne pas réagir à une provocation verbale en apparence évidente pour les autres ou, à l’inverse, réagir excessivement à une taquinerie innocente en ne percevant pas l’intention véritable de son interlocuteur. Déceler l’intention de l’autre est souvent une course d’obstacles. L’incompréhension des intentions de l’autre peut rendre l’autiste particulièrement vulnérable aux abus, aux moqueries et à l’intimidation, voire au harcèlement. On le présume naïf, car souvent il ne sait pas se défendre alors que son cerveau tourne en boucle à la recherche de toutes les hypothèses logiques et potentielles d’une interprétation au premier degré. Sa pensée n’est pas capable de saisir immédiatement le second degré.

L’empathie

Les autistes ne seraient, croit-on souvent, pas empathiques. Pourtant, elles sont souvent extrêmement sensibles aux injustices et aux situations difficiles de la vie. Il n’est pas rare de confondre l’empathie avec la sympathie et de croire que l’autiste, n’utilisant pas les termes consolateurs espérés, n’est pas empathique à son prochain. Beaucoup de personnes autistes, même si elles ne donnent pas une petite tape dans le dos et ne disent pas avec un triste regard « pauvre de toi, je te comprends tellement », ressentent profondément la détresse et le besoin d’aide de l’autre. Parfois, le manque de réactivité provient d’une incapacité à saisir quelles sont les réactions adéquates à démontrer et quelles sont les attentes à combler dans la situation présentée.

D’autres fois, ce sont les conseils pratiques qui seront prodigués, même si la personne attristée ne ressent que le besoin de parler et de partager ses émotions. Plus encline à être rationnelle, la personne autiste peut avoir le réflexe de donner une marche à suivre pour régler le problème énoncé au lieu de mettre ses bras autour de la personne affligée et de se contenter d’une écoute toute simple. Cette réaction, loin d’être la marque d’un manque d’empathie, est la réponse humaine d’un individu qui ne vous dira jamais « tout va bien aller, ne t’en fais pas ». Surtout s’il n’a pas le pouvoir justement de faire disparaître le problème. Une fois encore, l’honnêteté sans filtre prime.

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Image : Blaise Dehon

L’apparence de « normalité »

Plus la personne est considérée comme étant sur la partie haute du spectre autistique (autisme de haut niveau, syndrome d’Asperger, autisme léger, etc.), plus son autisme paraît diffus et risque d’être oublié dans les petits gestes du quotidien. Même avisé de l’autisme d’un proche, une tante, un ami, un grand-père pourrait l’oublier et ne pas comprendre son mode de fonctionnement différent.

Il est donc courant que les autistes, prenant conscience des attentes sociales qui leur sont étrangères, se sentent démunis. Comme l’autisme ne parait pas de l’extérieur sauf pour un œil averti et lors de circonstances particulières, la personne se voit attribuer des défauts qui n’en sont pas, puisque ses gestes et paroles sont interprétés selon les critères « standards ». On le dira capricieux s’il est incapable de faire une tâche considérée facile, comme répondre au téléphone à la maison. On la jugera prétentieuse, car ses sujets de conversation sont plus pointus et intellectuels et qu’elle ne participe pas à la conversation courante. Les difficultés d’un adolescent à approcher ses camarades de classe pourraient lui valoir la réputation d’être froid et hautain. Le jugement est rugueux et brutal vis-à-vis de l’autiste, évalué selon des critères ordinaires qui ne concordent pas sa façon d’être.

Intérieurement, une personne autiste peut développer des troubles anxieux, car il lui est difficile d’interpréter le monde qui l’entoure. Sa manière de voir le monde passe davantage par la logique et ce qui n’est pas rationnel peut la consterner. Elle a besoin de repères et les changements de dernière minute et les imprévus peuvent venir chambouler ses plans et créer un profond désarroi. On oublie également ses particularités sensorielles, car souvent les bruits ambiants sont plus agressifs pour elle. Elle peut être extrêmement sensible à la lumière vive ou au contact de certaines matières ou au contact physique. Alors, elle devient hautement réactive à des stimuli qui généralement ne dérangent personne. Les restaurants bondés, les centres commerciaux où elle se fait bousculer, les lieux inconnus, tout peut la déstabiliser à tout instant.

Le grand défi est d’intégrer les autistes de tout niveau, leur permettre de demeurer elles-mêmes, de développer leur potentiel selon leurs capacités propres et les accepter sans discrimination. Il s’agit de cesser de les faire entrer dans un moule qui ne correspond pas à leur forme d’être et, au contraire, les encourager à prendre leur place dans le monde en les aidant à valoriser leur potentiel d’adaptation tout en tenant compte des limites et des besoins de chacun. Car les autistes ont toujours été présents, sans aucun doute, à toutes les époques de l’histoire.

– Marie Josée Cordeau


Auteure, conférencière et consultante, Marie Josée Cordeau s’est donné pour mission de faire le pont entre le mode de pensée autistique et le mode de pensée non autiste. Elle apporte sa connaissance personnelle de plus de 40 ans de vie comme autiste Asperger. Elle est également l’auteure du livre « Derrière le mur de verre ».

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